Je vais commencer par une confession, et il y en aura certainement d’autres au fil des pages. Chaque fois que je me retrouve debout quelque part, dans une (trop longue) file d’attente au supermarché, lors d’une (trop longue) réception, ou encore avant de monter sur scène pour prononcer un discours, je fais la même chose. Je répète l’exercice assise à mon bureau pendant de (trop longues) séances d’écriture, entre deux étirements pour retrouver les sensations dans mes jambes. À me regarder, on ne pourrait même pas s’en rendre compte, à moins de m’observer très, très attentivement. Je fais quoi, exactement  ? D’abord, j’enfonce mes pieds fermement dans le sol qui me soutient. Ensuite, j’essaie de déterminer où se situe ma respiration dans mon corps ; je la rends plus profonde, j’allonge mes inspirations, mes expirations, je ramène mon souffle dans mon ventre plutôt que dans ma poitrine. Puis, je vérifie si mes épaules sont trop proches de mes oreilles et je les relâche. Enfin, que je sois debout ou assise devant mon ordinateur, je bascule légèrement mon bassin en poussant mes hanches vers l’avant et en abaissant mon coccyx vers le sol. Tout d’un coup, je me sens plus ancrée, plus solide, plus calme.

La façon dont les gens habitent leur corps m’a toujours fascinée. Enfant, je saisissais sans peine les expressions et les changements révélateurs des visages, je remarquais les bizarreries des postures, les tons de voix ou les tics. De retour dans l’intimité de ma chambre, j’essayais d’imiter les positions et les mouvements des humains qui avaient croisé ma route. (Surprise, surprise  : mes enfants ont des talents d’imitateurs  !) Depuis que j’ai étudié le yoga, à l’âge de 30 ans, et que je l’enseigne à temps partiel, j’ai un désir naturel et bienveillant de rajuster le positionnement squelettique des corps qui m’entourent. Si vous avez déjà assisté à un cours de yoga et consenti à des rajustements manuels, vous savez de quoi je parle. Il s’agit d’une belle aide lorsque, assis sur notre tapis, le professeur prend ses deux mains pour faire rouler nos épaules vers l’arrière, ou allonger notre cou en soulevant doucement notre tête. Parfois, c’est tout ce qu’il faut pour se sentir plus détendu et pousser un grand soupir de soulagement.

Peut-être avez-vous déjà, en lisant ces quelques lignes, rectifié légèrement la position de votre corps  ?

Il ne fait aucun doute que je m’intéresse de près à l’alignement physique, qui peut donner des indications sur l’humeur, la santé, la maladie, la personnalité et l’énergie d’un individu. Il peut être très révélateur d’observer notre posture lorsqu’on est debout, assis ou en train de marcher. Mais je suis aussi fondamentalement et passionnément curieuse d’un tout autre type d’alignement  : notre alignement émotionnel, unique à chacun. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai décidé d’écrire ce livre.

Depuis plus de deux décennies, la santé mentale, l’éducation émotionnelle et l’égalité des sexes sont mes chevaux de bataille. Ce ne sont pas de simples causes que j’épouse, mais bien des réalités et des injustices qui sont communes à tous. J’ai découvert, au cours de ces deux décennies, plus de choses sur les émotions humaines que je l’aurais cru possible. On est des êtres pensants, sensoriels, sensibles. C’est la base  ! Qu’on soit heureux et pleins d’espoir ou en colère et craintifs, on le reflète par une expression physique et faciale… mais aussi par une posture émotionnelle. Est-on vraiment conscient de ce processus, de la manière dont on se positionne de l’intérieur  ? Est-ce qu’on observe et renforce les parties de nous-même et de notre esprit qui en ont le plus besoin  ?

Soyez honnête  : si vous deviez prendre un cliché de votre paysage mental, à quoi ressemblerait-il  ? Quelles que soient les lumières et les ombres que vous pouvez discerner, quelles que soient les humeurs, les émotions et les images qui émergent, sachez qu’elles font toutes partie de vous. Une grande part de ce qu’on voit ou de ce qu’on ressent en pensant à cette image a été inscrite dans ce qu’on appelle notre «  cerveau primitif  » pendant l’enfance. C’est le résultat de notre relation, de notre attachement à nos parents ou à nos figures parentales. Ce bagage, on le conserve tout au long de notre enfance, de notre adolescence (rebelle ou pas) et à travers les découvertes émotionnelles qu’on fait au cours de notre vie d’adulte.

On a tendance à se convaincre qu’on est unique, différent de ceux qui nous entourent. En réalité, la structure de notre cerveau n’a pas changé depuis plus de deux cent mille ans. Ce qui nous différencie de nos pairs, c’est notre programmation, qui dépend des soins qu’on a reçus, des relations qu’on entretient et des expériences qu’on vit. Comme l’explique la thérapeute et autrice Vienna Pharaon dans The Origins of You, «  la compréhension de notre blessure d’origine et des schémas destructeurs de longue date qui en découlent nous aidera à résoudre les conflits et les comportements qui nous perturbent aujourd’hui  ». Si vous doutez que les événements que vous avez vécus dans votre enfance, qu’ils soient traumatisants ou non, influent sur vos relations avec les autres et avec vous-même, alors, tout comme moi, vous serez surpris par ce que vous apprendrez dans ce livre.

Il y a vingt ans, alors que j’étais une jeune animatrice de radio et de télévision au Québec, une toute nouvelle venue dans le domaine, j’ai décidé de parler publiquement de ma bataille contre un trouble alimentaire. Cette décision n’a pas été facile à prendre. J’hésitais à me montrer vulnérable en public et je me demandais si, à la suite de ces révélations, on m’embaucherait à nouveau. À l’époque, la santé mentale et les troubles alimentaires n’étaient pas des sujets très populaires, dont on discutait sur toutes les plateformes. Malgré tout, au fond de moi, je sentais que c’était la bonne chose à faire. J’ai affronté ma peur et je suis allée de l’avant. C’est le moment charnière qui a donné une direction au reste de ma vie.

La souffrance fait partie de la vie. On n’a pas besoin de l’éviter ni de la transcender. On doit plutôt développer notre sagesse, notre autonomie et notre résilience à travers et avec notre douleur. On doit découvrir quelles en sont ses véritables racines, puisqu’elles se manifestent dans tout ce qu’on fait et dans toutes les relations qu’on entretient. Laurie R. Santos, professeure de psychologie à Yale, qui a étudié la science du bonheur, a découvert que nombreux sont ceux qui nuisent à leur niveau de bonheur sans même le savoir. «  La sélection naturelle ne veut pas qu’on soit heureux, a-t-elle déclaré dans une interview accordée au magazine Time, dans laquelle elle évoquait sa propre expérience d’épuisement professionnel au cours des années de pandémie. Elle préfère qu’on s’épuise à essayer de survivre, de se reproduire et d’obtenir le plus de ressources possible. Ce n’est pas la joie qui compte.  »

Réfléchissez-y une minute  : d’un point de vue purement neurologique, notre cerveau se moque de savoir si on est heureux. C’est à nous de trouver un moyen d’y arriver, et ce n’est pas en s’éreintant à courir après les notes parfaites, le statut, les titres, l’argent et les mentions «  J’aime  » qu’on va y parvenir.

En fait, il faut du courage et du travail pour être heureux. On doit apprendre à vivre avec intégrité et cohérence, en restant fidèles à ses valeurs et en exprimant son soi authentique. C’est ainsi qu’on peut prendre le contrôle de soi-même et de sa vie. Comme le dit Laurie R. Santos : «  Il faut arrêter d’entraver son propre chemin. C’est le premier pas vers le bonheur.  »

Je suis encore en train d’apprendre à ne pas entraver le mien. Lorsque j’ai découvert la complexité de ma posture émotionnelle, de mon enfance, des mécanismes de défense que j’ai développés, de mon désir permanent de sécurité et plus encore, j’ai pu mieux comprendre pourquoi j’ai souffert d’un trouble alimentaire. Je sais maintenant comment vivre avec la souffrance qui en est à l’origine, et mieux l’accepter. En cours de route, tout au long du processus jalonné d’étapes, je transforme ma vie… et mon cerveau.

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