Lorsque je pénètre dans le hall de l’Hôtel Le Germain, à Ottawa, pour rencontrer Sophie, ma mère est à mes côtés. Elle ne voulait pas que je conduise seule depuis Montréal dans les mauvaises conditions routières de l’hiver canadien; alors, elle m’a accompagnée.

Quand on arrive, Sophie, vêtue d’un manteau matelassé noir ceinturé, est debout, décontractée. Dès qu’elle nous aperçoit, elle se précipite vers nous, se présente et me serre dans ses bras. Quand vient mon tour de lui présenter ma mère, ses yeux s’illuminent. «Vous me rappelez tellement ma maman et moi. Elle aurait fait exactement la même chose et m’aurait accompagnée.»

C’est la première chose que j’apprends de Sophie: elle ressent les choses très profondément et ses émotions sont prêtes à déborder et à envelopper ceux qui l’entourent. Ce qui n’a rien de désagréable. Au contraire, c’est chaleureux, sincère et bienveillant. Cette Québécoise de 48 ans dégage une ouverture d’esprit qui met immédiatement à l’aise. Elle est comme l’amie à qui tout le monde confie ses secrets.

Mais qu’elle choisisse ou non de partager les événements de sa vie, ils sont étalés au grand jour — notamment ses 18 ans de mariage avec le premier ministre canadien actuel, Justin Trudeau, et sa récente séparation d’avec celui-ci, car le couple a annoncé sa rupture sur Instagram le 2 août dernier. Cette déclaration a fait le tour des nouvelles internationales et suscité maintes spéculations et des articles interminables sur les raisons qui auraient fait éclater le couple. Mais la séparation est un sujet que Sophie a refusé d’aborder dans les médias jusqu’à présent.

Marie H. Rainville

En revanche, elle a toujours accepté de parler de ce qu’elle considère comme le but de sa vie: la santé mentale, cause à laquelle elle se consacre depuis des décennies. En 2022, elle a été nommée première bénévole nationale de l’Association canadienne pour la santé mentale et s’est récemment exprimée sur la littératie émotionnelle, l’égalité et la santé mentale lors du sommet Forbes 30/50, qui s’est tenu à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis. La sortie, le 24 avril, de son livre Entre nous: mieux se connaître, mieux s’aimer, qui traite de la connaissance de soi, de l’acceptation et de l’empowerment, revêt donc une grande importance pour elle. Le livre plonge d’abord dans la vie et les expériences personnelles de Sophie avant de faire le lien avec des sujets plus vastes, tels que la santé mentale, les traumatismes, les relations interpersonnelles ou l’éducation des enfants. «Je veux être en contact avec les gens. Et je veux aussi donner un peu de moi-même. Pour moi, il ne s’agit pas juste d’un livre; c’est un lien que je tisse avec les gens, un lieu où je souhaite qu’ils se sentent les bienvenus.» Afin d’approfondir les sujets abordés dans son ouvrage, elle a interrogé des experts de renommée mondiale, notamment le Dr Gabor Maté, auteur de best-sellers et spécialiste de sujets comme la dépendance, le stress et le développement de l’enfant; Gordon Neufeld, psychologue du développement et une autorité en matière de développement de l’enfant; Liz Plank, journaliste canadienne primée, autrice et animatrice de balados, versée en politique, en questions de genre et en droits reproductifs; John Grey, conseiller américain en relations amoureuses; et Mary Simon, première gouverneure autochtone du Canada.

«Je veux être en contact avec les gens. Et je veux aussi donner un peu de moi-même. Pour moi, il ne s’agit pas juste d’un livre; c’est un lien que je tisse avec les gens, un lieu où je souhaite qu’ils se sentent les bienvenus.»

Dans son livre, Sophie révèle un peu de leur histoire et comment, lors de leur première date, en 2003, «la conversation est devenue plus profonde. Il m’a regardée avec une telle intensité que j’ai senti que je vivais un moment particulier. Il m’a dit : «J’ai trente et un ans. Je t’attends depuis trente et un ans. Et si on sautait la phase de “ma blonde” et qu’on commençait tout de suite avec “ma fiancée” ?». Ils ont fêté leurs fiançailles en 2004, se sont mariés en 2005, et lorsque Justin Trudeau est devenu premier ministre du Canada (comme son père, Pierre Elliott Trudeau) en 2015, ils avaient trois enfants de moins de huit ans.

Au Canada, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, être l’épouse d’un chef de gouvernement n’est assorti d’aucun titre officiel, d’aucune fonction particulière ni d’aucun cabinet à diriger. Quoi qu’il en soit, nombreux sont ceux qui considèrent Sophie comme la première dame du Canada, même si elle affirme ne s’être jamais considérée comme telle. «Il s’agissait d’un poste non officiel. Donc, c’était comme naviguer en eaux troubles. Alors, je faisais ce que j’avais à faire, en mettant un pied devant l’autre. Je n’avais pas de rôle particulier ni de responsabilités définies, et il était donc clair pour moi que j’allais continuer mon chemin en me concentrant sur la santé mentale, les troubles alimentaires et l’estime de soi.»

Lorsqu’ils se sont installés à Ottawa, les Trudeau avaient une très jeune famille, ce qui n’était pas sans comporter des défis. «On s’est adaptés. Mais l’adaptation vient toujours avec des œillères. Et c’est une bonne chose qu’on ne vous dise pas ce qui vous attend, lorsque vous entrez en politique avec une jeune famille, parce que je ne pense pas que beaucoup de gens dans la même situation que l’était notre famille seraient encore candidats. J’ai de l’empathie pour les personnes qui ont de jeunes enfants et qui exercent ce métier — je sais quel est le prix à payer.» Une partie de ce coût est d’être présents à 100 %. Il était très important pour elle d’être physiquement et émotionnellement là pour ses enfants durant cette période. Et comme son mari assumait un rôle très important et chronophage, elle s’est engagée totalement à assurer leur sécurité et leur bien-être. «Je voulais être là quand ils se réveillaient le matin; je voulais être là quand ils rentraient de l’école. Et c’est ce que j’ai fait jusqu’à présent. Je ne regretterai jamais d’avoir été présente. Pour moi, l’amour, c’est la présence.» L’amour est d’ailleurs un sujet très important pour elle. Dans son livre, elle y consacre un chapitre entier, dans lequel elle aborde aussi les relations, la façon de se comprendre mutuellement et d’être vulnérable. C’est pourquoi la décision qu’elle et Justin Trudeau ont prise d’annoncer leur séparation a été si lourde. Je sens son énergie changer lorsque je lui demande délicatement comment s’est passée la séparation. «Difficile», dit-elle, comme si elle essayait de ravaler ce mot. «J’ai dû faire face à la vérité et, entre l’authenticité et l’attachement, choisir l’authenticité. Je suis une femme de famille. La famille est tout pour moi, parce que je suis enfant unique. Alors, l’idée de briser ce moule ou de le transformer… Même les mots qu’on utilise pour décrire les relations me troublent: soit c’est un succès, et vous restez ensemble, soit c’est un échec, et vous empruntez des chemins différents. Les êtres humains doivent vraiment développer un nouveau vocabulaire à mesure qu’ils tracent leur propre voie.»

Avant de finalement accepter de suivre son chemin, Sophie a dû pleinement saisir que, quoi qu’elle fasse, ce serait déchirant et que ça aurait un impact considérable sur sa famille. «J’ai dû m’arrêter et me dire: “OK, tu dois prendre des décisions maintenant. Et elles vont toutes te coûter. Laquelle choisis-tu?” Ç’a donc été très éprouvant.» Comme elle est une personnalité canadienne de premier plan, elle était aussi profondément consciente de la manière dont ceux qui sont dans l’œil du public sont jugés et disséqués dans les médias et les réseaux sociaux, et consciente aussi qu’une telle annonce allait sans aucun doute faire la une et servir de fourre-tout politique. «J’ai dû mettre de côté la perception que le monde avait de moi et me demander: “Si tu repousses ça, qui reste-t-il? Qui est cette personne? Comment est-ce que tu veux vivre intérieurement? Comment as-tu envie d’aimer? Comment as-tu envie de donner?” Et j’ai eu mes réponses. Ont-elles été faciles à accepter? Non. Sont-elles pleines d’intégrité? Oui. Y a-t-il des jours où je me demande: “Qu’est-ce que j’ai fait?” Oui. Au fond de moi, est-ce que je ressens de l’intégrité et de la congruence? Oui. Alors, je m’assois avec tout ça. C’est chaotique, c’est le désordre, mais c’est aussi empli d’amour, de compassion et de tendresse.»

L’ancien couple est aujourd’hui dans une nouvelle phase: il se comprend beaucoup mieux, mais il a accompli un travail considérable pour en arriver là. «On développe plus d’empathie», dit Sophie sur le fait d’établir une nouvelle relation avec un ex-partenaire qui est aussi un coparent. «Ça ne veut pas dire que ça fait moins mal, mais on prend les choses moins à cœur, parce qu’on comprend mieux le fonctionnement de l’être humain.» Le plus important, c’est qu’ils rient toujours beaucoup ensemble. «Et ce sera le cas pour très longtemps», dit-elle en souriant.

«J’ai dû m’arrêter et me dire: “ok, tu dois prendre des décisions maintenant. Et elles vont toutes te coûter. laquelle choisis-tu?”»

Parmi les innombrables articles de style «pièges à clics» publiés sur le couple qu’elle formait avec Justin Trudeau et sur les spéculations entourant leur séparation, ce qui a le plus surpris Sophie est le degré de sympathie et de gentillesse qu’elle a perçu et qu’elle continue de percevoir de la part des Canadiens. Des inconnus l’arrêtaient dans la rue pour lui dire qu’ils saisissaient la gravité de sa décision. «Je ressens le soutien des gens et je me sens près d’eux. Au cours de mes quelque 12 années d’expérience en politique, je ne me rappelle pas un moment durant lequel j’ai senti de la haine ou de l’agressivité de la part de qui que ce soit. Zéro. Ce n’est jamais arrivé.»

Compte tenu de la manière dont la politique a évolué — et la façon dont les gens communiquent entre eux et se considèrent les uns les autres —, c’est un soulagement de l’entendre aborder le sujet de l’intimidation. «Si on compare avec ce qui se passait en politique il y a 10, 15 ou 20 ans, on constate que les choses sont très différentes. Je pense qu’il faut prendre ça au sérieux. C’est un reflet de ce que nous sommes: on a perdu la capacité à faire preuve de discernement dans notre discours. Parfois, les gens ne veulent pas sortir de la zone qu’ils connaissent, parce que ça leur fait trop peur, mais un état d’esprit statique est dangereux. Et c’est dangereux pour la démocratie, car si la presse libre est en danger, la démocratie est en danger — et la vérité est en danger.»

Marie H. Rainville

Pour Sophie, la crise de la santé mentale qui affecte notre pays est toujours une priorité. Selon elle, tout commence par l’éducation, qui doit être suivie par l’accès à des outils et à des lieux où les gens peuvent se rendre pour obtenir de l’aide. «On doit parler du manque d’éducation, de sensibilisation, d’autonomie et de réglementation à notre disposition. Et puis, bien sûr, il y a tous les soins urgents à prodiguer en matière de santé mentale et les structures à mieux financer.» Mais il n’y a pas que de mauvaises nouvelles. Sans prêcher pour sa paroisse, elle estime que le Canada a établi un standard dans ce domaine (pensons au récent investissement fédéral de près de 5 millions de dollars dans des projets de recherche sur les normes en matière de santé mentale et de soins pour les jeunes) et elle souligne que l’initiative se poursuit. «C’est incroyable, et ça repousse vraiment les limites de ce qu’on peut accomplir. Mais ce n’est jamais assez, et ce n’est pas assez rapide.»

Avec tout le travail qu’elle consacre à promouvoir l’estime de soi, l’égalité des genres, la littératie émotionnelle et l’activité physique chez les jeunes, tout en se préparant à faire la tournée promotionnelle internationale de son livre, il est difficile d’imaginer que cette mère à temps plein — qui est aussi professeure de yoga certifiée et qui médite régulièrement — ait du temps à consacrer à sa vie personnelle et à son bien-être. Mais lorsque je la rencontre à l’Hôtel Le Germain et que je la revois lors de la séance photo pour notre couverture, elle rayonne de l’intérieur. Elle semble vraiment heureuse. Est-ce dû à l’étape où elle est rendue dans sa vie, au travail qu’il lui a fallu accomplir pour y arriver — et qu’elle continue de faire pour apprendre à se connaître et à connaître les autres — ou à la rumeur à propos d’une nouvelle relation avec un charmant chirurgien pédiatrique? Est-ce vraiment important, en fin de compte? Après tout, ce que Sophie mérite peut-être à ce moment ci, c’est la liberté de poursuivre le prochain chapitre de son parcours et la possibilité de garder certains de ses secrets… secrets.

ELLE QUÉBEC — AVRIL 2024

ELLE QUÉBEC — AVRIL 2024Marie H. Rainville

Photographie Marie H Rainville Direction de création Samantha Puth Stylisme Nariman Janghorban Maquillage Geneviève Lenneville (DIOR beauté), Coiffure Emy Filteau (Oribe), Styliste décor Lisa Yang Production Claudia Guy Assistants à la photographie Axel Palomares et William Cole Assistantes au stylisme Edoh Agbetossou et Raph Simard Assistante au stylisme décor Diane Kim-Lim Assistantes production mode Laura Malisan et Estelle Gervais.

Lisez notre entrevue avec Sophie Grégoire dans le magazine ELLE Québec en kiosque maintenant!

Pour précommander le livre de Sophie Grégoire, Entre nous. Mieux se connaître, mieux s’aimer, c’est par ici!

Le numéro d’avril 2024 d’ELLE Québec est en vente dès maintenant, en kiosque, en abonnement et en version numérique.

Lire aussi:
Sophie Grégoire est en couverture du magazine ELLE Québec d’avril 2024
Exclusif: un extrait du livre ENTRE NOUS: mieux se connaître, mieux s’aimer de Sophie Grégoire
Comment ça va? – Série de IG live avec Sophie Grégoire