Que Marie-Mai se rase la tête… qu’est-ce que ça peut bien nous faire? Beaucoup de bien, si on va à la racine de l’histoire. Parce qu’il n’est pas question ici de mode, de look, ni même d’apparence. On parle plutôt de ces questions si fondamentales qui nous taraudent toutes, à savoir si on peut vraiment vivre avec toutes les femmes qui nous habitent et comment les incarner.

« Oh my God! Ils vont me demander de me raser les cheveux! » C’est cette idée incisive qui a piqué Marie-Mai aux tripes lors d’une  réunion avec l’équipe de Leucan à la fin de 2019. La rock-star, qui cherchait pourtant une façon de s’engager davantage en tant que marraine de l’organisme, s’est brièvement sentie prise au piège. «Je me suis vue réagir. C’était ma tête qui disait: “Je ne peux pas croire qu’ils me demandent ça.” Qu’est-ce que mon coiffeur va dire? Et mon styliste? De quoi je vais avoir l’air? Puis, une fraction de seconde plus tard, je me suis demandé ce que mon cœur, lui, avait envie de répondre. Il voulait dire oui. Il voulait se foutre de mes insécurités et me laisser mettre mes paroles en action. Je me suis dit, c’est le premier pas. Je reprends le contrôle de ce que je suis.»

C’est notre première rencontre, et l’opération rasage n’a pas encore eu lieu. Le tout doit demeurer secret jusqu’à la parution du magazine. Dès les premières minutes, je comprends que la symbolique de ce geste est beaucoup plus grande que ce que je pouvais imaginer. Elle me l’assure, ce n’est pas une autre réinvention, un autre look phare à ajouter au portfolio des 18 dernières années. C’est d’abord un acte solidaire envers ceux que la chimiothérapie force à faire ce geste, mais c’est aussi l’occasion de faire table rase de toutes les incarnations passées. Et elle anticipe le moment avec un calme étonnant: «Je l’ai visualisé. Je veux que ça se fasse chez moi. J’ai commencé à penser à comment j’allais en parler à ma fille. Je veux qu’elle soit là.» Dans ce café un peu trop bondé et peu propice aux confidences, je note à quel point sa transparence et son ouverture sont une bénédiction. Je comprends aussi, à la manière dont elle se livre, qu’il n’y a aucune cassette. Et s’il y en a déjà eu une (qu’elle a parfois pu démarrer même inconsciemment), elle a été jetée aux poubelles il y a quelques mois. Je m’explique. Rewind.

Dans son documentaire Notre histoire, paru à l’automne 2019, Marie-Mai abordait essentiellement sa quête d’équilibre entre la bête de scène sublimée, dévoreuse de micro, et l’humaine qu’elle est. Sous la carapace de paillettes frissonnait un être sensible, qu’elle peinait encore à préserver.

Faisant écho à l’album Elle et moi, qu’elle révélait du même coup, elle annonçait sa renaissance après une absence de quatre ans, les divorces, tant personnel que professionnel, la naissance de son enfant et d’autres grands changements qui avaient de toute évidence chamboulé sa vie. Elle souhaitait, phénix venant de renaître de ses cendres, qu’on comprenne que, cette fois, elle était bel et bien une artiste à part entière: non seulement une autrice-compositrice-interprète capable de faire des hits «toute seule», mais aussi une femme (une mère, une blonde, une amie), avec tout ce que cela implique d’exigences et de merveilleux. Bref, le package disque-documentaire se voulait l’aboutissement d’un cheminement personnel qui menait à la définition de chacune de ses précieuses facettes. Or, au final, ce n’était encore l’aboutissement de rien du tout. Parce que la tournée de Elle et moi allait replonger l’artiste dans un tourbillon qu’elle connaissait trop bien et lui faire perdre à nouveau ce foutu fragile équilibre. Oui, il y avait dans Notre histoire les germes d’un véritable changement. Oui, les cartes étaient sur la table, mais la vie n’avait pas encore sorti son joker.

Carlos + Alyse

L’épuisement en cadeau

Les dates de spectacle ont rapidement rempli toutes les cases du calendrier, comme avant le grand silence radio de quatre ans. L’horaire a été encore une fois réglé au quart de tour. «Quand tu commences à penser en termes de carrière et d’avancement professionnel, tu te mets à dire oui à des choses auxquelles tu dirais normalement non. Une entrevue que tu n’as pas le goût de faire, ou un plateau télé… Même si ton cœur te dit: “Reste chez vous.” Pis c’est comme ça que tu finis par te fatiguer. Tu sais, tu n’es pas censée te brûler quand tu fais ce que t’aimes. J’ai tellement passé de temps sans m’écouter que je ne savais même plus par où commencer.»

Ajoutez à cela les commentaires coupants, gratuits, méchants sur les réseaux sociaux, qui sont revenus polluer son bonheur de fille qui pensait que la pause avait été salutaire. Et les insécurités sont remontées à toute vitesse à la surface, comme l’oxygène sous le poids de mètres d’eau. «J’en suis venue à me demander ce que je devais faire pour changer. J’avais l’impression que tout était contre moi. Jusqu’à m’enlever le goût de faire ce métier-là. Jusqu’à ce que j’aie envie de dire: “OK, bye, c’était l’fun!” À ce moment-là, j’aurais voulu tout arrêter tellement j’étais écœurée.»

«PLUS JE ME RAPPROCHE DE CE QUE JE SUIS, MOINS J’AI D’EGO.»

Puis, un soir de l’automne dernier, alors qu’en bonne performeuse elle enflammait la scène en Gaspésie, Marie- Mai s’est mise à oublier les paroles de ses chansons. Les couplets qu’elle avait écrits et répétés des centaines de fois la fuyaient. Devant elle, des dizaines d’enfants sautillant et buvant ses paroles trouées. Mais Gisèle, sa fille, n’était pas là. «J’étais fatiguée, je n’étais pas bien, et elle me manquait. J’en suis venue à ne même plus savoir comment bouger. J’étais complètement sortie de mon personnage.» Entre deux chansons, la star s’est entièrement consumée. Un phénix en cendres. Elle n’avait même pas l’énergie de fuir. Elle s’est assise sur la scène et s’est excusée à son public. «Je n’étais pas capable de remettre ma cape de superhéros; alors, je me suis ouverte. J’ai expliqué aux gens que Gisèle me manquait. Que c’était difficile. Et il s’est passé quelque chose. D’un seul coup, j’ai senti que les spectateurs et moi, on était ensemble. Ils comprenaient ce que je vivais. On passe tous par là. En l’espace de quelques minutes, ce qui était mon pire show est devenu le meilleur de toute ma vie.» Pourquoi? Parce que Marie-Mai a compris que «Elle» et «Moi» pouvaient être la même personne. Oubliée, la cape. Bas les masques!

M comme mantra

«À un moment donné, tu n’as pas le choix d’aller plus loin.» C’est là que Marie-Mai était rendue. Au-delà de la fatigue, du vertige de prendre conscience qu’elle s’était complètement perdue. Par «plus loin», elle n’entend pas le fond de son lit, la ville voisine ou l’autre côté de l’océan, mais bien au plus profond d’elle-même.

«Un jour où je disais à mon manager du Canada anglais que j’avais du mal à dormir, il m’a parlé d’une application de méditation. Je l’ai téléchargée. Je me suis dit que je pouvais bien essayer. Je n’avais rien à perdre à passer du quiet time with myself

Marie-Mai parle généreusement, et la digue a du mal à ne pas céder. Les larmes vont couler. Et elles coulent, et on s’en fout. Dans la forte rumeur du café, Marie-Mai refait le chemin en apparence si simple et si direct, mais pourtant si complexe, entre cet état de l’enfance qui la reliait directement à son intuition et aujourd’hui. «Je savais où c’était. En méditant, je l’ai touché. Je me suis retrouvée. Je savais exactement quoi faire.» Si loin. Si près.

Quelques mois plus tard, elle pratique encore la méditation quotidiennement et avec beaucoup d’humilité. C’est une manière de maintenir la connexion, de sonder son âme, de se centrer tous les matins. Comme elle le dit si éloquemment: «La méditation, c’est la claque en pleine face… euh, non… c’est plutôt la tape dans le dos qui te ramène, pas subtilement mais gentiment, dans ton chemin.»

Sa voie? La musique. D’aussi loin qu’elle se souvienne, et ça ne changera pas. Malgré tout, rien ne sera plus jamais pareil: «J’ai complètement changé ma perspective ou, plutôt, je l’ai retrouvée. Maintenant, quand je fais des shows, je vois les gens. Pendant plusieurs années, quand les choses allaient trop vite, je les ai perdus. Ils étaient devenus flous dans le tourbillon.»

Carlos + Alyse

Ensemble Valentino

Table rase

Une semaine après la discussion au café défilent les courbes enneigées qui mènent à la maison laurentienne que la chanteuse habite avec son amoureux, David Laflèche, et leur fille, Gisèle. Voici venu le moment de passer des paroles aux actes et de révéler physiquement ce changement de paradigme. Le ciel de février et les yeux de Marie- Mai se font concurrence: leurs bleus rivalisent d’éclat et de profondeur. Elle est calme. Son David, un peu moins, et la fabuleuse Gigi existe merveilleusement de tous ses (presque) trois ans. Elle bourdonne doucement autour de l’équipe tricotée serré de Marie-Mai: la gérante, la caméraman, la maquilleuse, le coiffeur.

C’est l’amoureux qui donne le premier coup de clipper. Le visage éthéré de la chanteuse est serein. Souriant même. On y lit bien un petit moment d’excitation avant que le rasoir ne la touche pour une première fois, mais c’est très bref. Gisèle caresse les cheveux du bout des doigts. «C’est doux!» Elle joue avec les mèches platine qui jonchent le sol en bois clair, les fait voler comme si c’étaient des plumes. Et alors que le coiffeur (et meilleur ami) de la chanteuse, David D’Amours, prend le relais, son amoureux s’appuie contre le mur, en retrait, et ne peut détacher son regard de la scène. On a envie de disparaître dans le plancher en voyant qu’il retombe amoureux. Puis, vient le moment où elle se lève et se plante devant le miroir. Son cri – «Oh my God!» quatre fois – est un cri de joie. Non, plutôt de libération: «Tout mon stress des dernières années, toute mon insécurité, tout ça, c’est parti. Je ne peux plus me cacher derrière mes cheveux. Je me suis longtemps dit que si j’avais des beaux cheveux et un beau maquillage, j’allais me sentir belle. C’était devenu une armure. J’ai envie que mon rapport à mes cheveux soit spontané et léger. Je ne veux plus faire de choix pour encadrer mon visage et cacher ce que je ne veux pas qu’on voie.»

Il faut la voir se tenir droite et fière, la tête nue dans la lumière hivernale, pour comprendre à quel point l’engagement de Marie-Mai avec Leucan prend tout son sens. «Je me suis fait raser par solidarité avec ceux qui n’ont pas le privilège de faire ce choix; et, grâce à eux, je sais maintenant que le courage, la beauté, la force n’a rien à voir avec la longueur des cheveux.» Oui, un look peut exprimer un état d’esprit, mais le temps où l’estime de soi ne tenait qu’à une frange est balayé.

«Ce qui est fabuleux quand tu as confiance en toi, en ton potentiel et en la vie, c’est que tu comprends que c’est normal de ne pas savoir où tu t’en vas, mais que tu sais que ça va être great. Parce que tu t’écoutes et que tu fais les choses que tu as envie de faire. Je n’ai jamais été aussi inspirée et pleine de projets. De choses que je n’aurais jamais pensé être capable de faire avant. Quand tu ouvres cette porte-là, il y a un genre de courant qui se fait, et je veux suivre ce flow. Depuis quelques mois, je me suis remise à rêver.»

Ça donne envie de remettre le compteur à zéro.

 

En 2020, le Défi têtes rasées Leucan célèbre ses 20 ans. Pour l’occasion, l’association souhaite susciter un grand mouvement de solidarité envers les enfants malades en réunissant 20 femmes inspirantes, artistes, militantes, femmes d’affaires et autres figures québécoises importantes qui, comme Marie-Mai, se raseront la tête cette année. Leurs noms seront dévoilés ce printemps.

Découvrez toutes les photos de notre shooting mode avec Marie-Mai dans le ELLE Québec en kiosque. On vous en donne un avant-goût ici.

C’est chez elle aux côtés de sa fille et de son amoureux David Laflèche, que Marie-Mai s’est rasé les cheveux. Découvrez sa réaction en vidéo plus bas.

ELLE Québec Avril 2020

ELLE Québec Avril 2020Carlos + Alyse

Marie-Mai porte des boucles d’oreilles en bronze et or plaqué 24 ct (Alighieri, chez SSENSE). Direction de création: Annie Horth. Photographie: Carlos + Alyse. Assistant à la photographie: Joseph Bulawan. Stylisme: Patrick Vimbor. Assistante au stylisme: Bianca Di Blasio. Maquillage: Nicolas Blanchet (Folio Montréal), avec les produits Tom Ford Beauty. Coupe et coloration: David D’Amours, avec les produits Kérastase. Production: Estelle Gervais. Éditrice: Sophie Banford. Rédactrice en chef: Joanie Pietracupa. Direction artistique: Isabel Beaudry.

On vous invite dans l’intimité de Marie-Mai pour découvrir ce moment d’émotion.