Un saut dans le vide qui porte fruit puisque, depuis cinq ans, le public peut admirer son talent dans le film de Noël 23 décembre, les émissions L’œil du cyclone et L’île Kilucru, et dans l’excellente série Lakay Nou, pour laquelle elle a ajouté le chapeau de coscénariste à celui d’interprète. Rencontre avec une artiste intuitive et entière.

Je suis habitée par une intuition, par une puissante boule de feu qui me souffle constamment d’être moi-même, et de manière incandescente», me confie Catherine Souffront en plaçant les mains sur son plexus solaire. «Mon but dans la vie, c’est de faire honneur à cette flamme qui brûle en moi. Plus je l’honore, plus je me sens entière, et plus je rayonne. En nourrissant mon brasier, je vais certainement allumer un lampadaire qui va éclairer d’autres personnes.» Cet ardent désir de réaliser son plein potentiel est ce qui l’a convaincue d’accrocher sa toge il y a quelques années pour laisser libre cours à son âme d’artiste. Le changement de cap de cette jeune femme aujourd’hui âgée de 32 ans fait déjà le bonheur du public québécois, qui n’a certainement pas fini de la voir briller de mille feux.

«Mon but dans la vie, c’est de faire honneur à cette flamme qui brûle en moi. Plus je l’honore, plus je me sens entière, et plus je rayonne.»

SE RÉVÉLER

À la table où nous sommes installées, je remarque entre nos tasses de café un livre rose, Indomptée, le best-seller du New York Times de l’autrice et activiste américaine Glennon Doyle Melton. «Ça va avoir l’air ésotérique, mais quand je me prépare pour une entrevue, je pige un livre dans ma bibliothèque et je lis des passages au hasard. Ça oriente ma pensée et m’inspire des réflexions», dit-elle. C’est vrai qu’un titre comme Indomptée donne le ton à la conversation. «Tous les extraits que je lis depuis ce matin parlent d’émancipation, du désir d’échapper aux diktats de la société et de l’envie de se réaliser.» 

Pour la trentenaire, être pleinement en harmonie avec elle-même est une condition sine qua non à son existence et à son bonheur. 

«Je me revois marcher dans la rue, en direction du travail, à 6 h 45 du matin, les bras pleins de dossiers, et me demander ce que je fais là», se remémore Catherine, alors jeune procureure de la Couronne. «J’arrivais à mon bureau, je fermais la porte et me mettais à pleurer. C’est comme si je ne menais pas la bonne vie, mais que j’avais le bras dans un engrenage. J’étais pleine de peurs et je suivais le chemin que ma famille souhaitait me voir emprunter.» 

Elle précise alors que ce désir de réussir professionnellement en se conformant aux attentes parentales est partagé par beaucoup d’enfants issus de l’immigration. «Mes parents sont arrivés au Québec lorsqu’ils étaient adolescents. Mes grands-parents ont quitté la vie aisée qu’ils menaient en Haïti pour offrir une vie plus stable à leurs enfants. La notion de sacrifice et le sens du devoir sont des valeurs très présentes chez les enfants d’immigrants. Catherine s’est tournée vers un mentor, le formateur à l’École nationale d’administration publique, Hubert Makwanda, pour qu’il l’aide à peser le pour et le contre d’un tel changement d’orientation et, surtout, à se débarrasser de la honte de vouloir être une artiste. «Hubert m’a dit une phrase qui m’a marquée à l’époque: “Lorsque le fruit est mûr, il tombe.” Quand j’ai été prête, j’ai annoncé à mes parents que je quittais le droit pour tenter ma chance comme actrice. Ç’a été un deuil pour eux; mon succès était leur succès.»

Hadi Mourad

«Que se passera-t-il si tu ne réussis pas à percer comme comédienne?», «N’as-tu pas peur de quitter la stabilité du droit pour la précarité des arts?», lui demandait alors incessamment son entourage. Mais pour l’interprète de Mylène dans L’œil du cyclone, le véritable échec aurait été de ne pas tenter le tout pour le tout. Il faut aussi avouer que quand sa décision a été prise, la peur s’est évaporée, comme par magie. Enfin, elle était au bon endroit. Sur son X, comme on dit. 

«Je me demande souvent ce que je risque de regretter sur mon lit de mort», ajoute-t-elle en précisant qu’elle n’avait pourtant pas de plan clair. «Tout ce que je savais, c’est que je voulais jouer, chanter et écrire. Je suis profondément convaincue que quand je vais arriver au bout de ma vie, je ne regretterai pas d’avoir tout donné. Je savais que si j’honorais ma fameuse boule de feu, la vie me le rendrait de manière décuplée.» 

Comme de fait, elle a décroché son premier rôle marquant à la télévision dès 2021 et intégré l’impressionnante distribution de L’œil du cyclone aux côtés d’artistes chevronnés comme Christine Beaulieu, Patrick Hivon et Véronique Cloutier. 

La comédienne, qui conçoit l’existence comme un véritable laboratoire, revendique le droit d’essayer et, surtout, de se tromper. «Je suis en amour avec le processus bien plus qu’avec le résultat. On n’a pas l’obligation de se trouver, mais on a certes l’obligation de se chercher en tant qu’humain.»

Hadi Mourad

AVEC JOIE

Dans la nouvelle comédie intergénérationnelle Lakay Nou, qui signifie «notre maison» en créole haïtien, elle tient le rôle de Myrlande Prospère, une avocate et mère de famille qui est la conjointe d’Henri Honoré, interprété par Frédéric Pierre. Ce dernier est également idéateur et coscénariste de la série, en trio avec Angelo Cadet et Catherine. À la croisée des chemins, Myrlande et Henri osent enfin tracer leur voie personnelle et professionnelle, ce qui ne sera pas sans répercussions sur leurs trois enfants et leurs propres parents. 

«Dans Lakay Nou, on voulait incarner la black joy, c’est- à-dire la joie ressentie par les personnes noires», raconte Catherine. Le mouvement black joy, ou «joie des noirs», en français, est une réponse positive à l’omniprésence des images de brutalité policière, de violence, de discrimination et de marginalisation souvent associées à ce que subissent les communautés noires. «Avec la série, on souhaitait montrer autre chose que des personnes noires misérables. À une époque teintée par le mouvement Black Lives Matter, incarner la joie est un acte de résistance. Encore aujourd’hui, beaucoup de personnes sont plus habituées, voire plus à l’aise, de nous voir dans la misère. Mais est-ce que je souhaite laisser les gens me dire ce qu’ils veulent voir de moi ou si je souhaite plutôt décider de la manière dont je veux me présenter à eux?»

Poser la question, c’est y répondre. En effet, Catherine se dit fière de contribuer à une représentation lumineuse de la communauté haïtienne. Dans sa famille, on parle fort, on rit fort, on embrasse la démesure et on aime se rassembler. «Lakay Nou montre la communauté haïtienne telle que je la connais, dans toute sa flamboyance. La série ne se prive pas d’aborder certains sujets plus sensibles comme le racisme et la santé mentale, mais c’est la joie et la lumière qui y sont d’abord célébrées.» 

Une telle perspective n’a rien d’anodin. Pour Catherine, son engagement dans Lakay Nou est une manière de conjuguer plusieurs facettes de son être. Comme quoi son penchant pour la justice sociale continue de s’incarner par l’intermédiaire de l’art. 

«Comme procureure, je défendais la veuve et l’orphelin afin que justice soit faite. Comme actrice, je continue de militer pour que les réalités des personnes noires soient bien représentées, au petit comme au grand écran», déclare-t-elle avant d’ajouter que, bien que Lakay Nou soit une comédie qui se regarde avec plaisir, l’existence même de la série a des allures de revendication politique. «J’ai toujours souhaité que mon côté justicier et mon côté artistique ne fassent qu’un. Je pense qu’en incarnant ce que je suis dans mon entièreté, sans m’en excuser — et ça inclut mon identité de femme noire —, je fais le pont entre plusieurs facettes de moi. Et tant mieux si ça inspire certaines personnes!»

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ELLE QUÉBEC — MAI 2024

ELLE QUÉBEC — MAI 2024Hadi Mourad

Photographie Hadi Mourad Direction de création, Samantha Puth Stylisme Amanda Lee Shirreffs, Maquillage Celica Sea Coiffure Yodit Michele, Production Claudia Guy Assistant.e.s à la photographie, Maxime Guay, Raphaël Nikiema et Aime-Elle Buisson, Assistant au stylisme Gabriel Dupuis