Depuis le hublot de l’avion parti de Winnipeg, le paysage devient lunaire à mesure qu’on approche de Churchill. Le décor est dépouillé, plat jusqu’à l’horizon, parsemé de bouquets de conifères. Des taches grises et abstraites sur la plaine blanche. Le soleil tente une timide percée à travers l’épaisse couche de nuages, et seule la fine bande de ciel bleu dans le lointain est là pour rappeler l’existence d’un monde en couleurs. Le regard ne rencontre rien d’autre dans cette région subarctique jusqu’à ce qu’on aperçoive une route, un unique sillon qui fracture l’étendue vierge, preuve de l’activité humaine.

Nichée au bord de la baie d’Hudson, Churchill est de fait un point d’ancrage, qui profite d’un port important pour le commerce maritime. Située sur la route du Passage du Nord-Ouest, elle relie les océans Atlantique et Pacifique. Mais ce n’est pas pour cette raison que les touristes affluent chaque automne dans ce village d’environ 900 habitants. L’endroit est d’abord et avant tout réputé pour être la «capitale mondiale de l’ours polaire», où il est possible d’apercevoir cette bête sauvage sur la terre ferme avant que la banquise ne se forme et avant que l’animal ne parte chasser pendant de longs mois loin du rivage.

Jenny Wong

Pour la protection des ours polaires

Au sortir de l’avion, la température se situe juste au-dessous de zéro. On est début novembre, et le climat est particulièrement doux pour cette période de l’année. Une anomalie qui devient la norme, comme on l’entendra souvent au cours du séjour. Ici, les effets des changements climatiques se font considérablement sentir. Pour mieux saisir l’ampleur du désastre qui, chaque année, gagne du terrain, il faut se rendre dans la zone de gestion de la faune de Churchill, un espace naturel où la taïga et la toundra se rencontrent, et qui abrite un grand nombre d’espèces sauvages, dont les ours polaires, qui reviennent normalement sur la terre ferme au début de l’été et y restent jusqu’à l’automne suivant.

Seules trois entreprises sont autorisées à emmener les touristes dans cette aire protégée. L’une d’elles, Frontiers North Adventures, est à l’origine de la création des Tundra Buggy: ces véhicules tout-terrain faits pour rouler dans des conditions extrêmes sillonnent les routes à la recherche de ces créatures dont la fourrure d’un blanc crème se détache à peine de la fine couche de neige tapissant le sol. Ces routes, c’est à peine si on ose les qualifier ainsi tant ces chemins de fortune, creusés par les années et le passage de ces poids lourds, sont désormais mangés par des flaques de la taille d’un étang.

Polar Bears International (PBI) a également un droit de passage à bord du Tundra Buggy One, qui lui a été offert par Frontiers North Adventures. Cet organisme sans but lucratif, formé par un groupe de scientifiques, d’activistes et de volontaires, soutient la recherche et prend part à des programmes de sensibilisation à la situation des ours polaires dans le monde afin d’assurer leur conservation et leur survie à long terme face aux changements climatiques qui bouleversent leur écosystème. Sur le terrain, PBI récolte et analyse des données qui servent autant à connaître la population réelle de ces mammifères qu’à trouver des solutions efficaces pour les maintenir à distance des communautés établies non loin de leur habitat naturel, que ce soit au Canada (où vivent les deux tiers des ours blancs de la planète) ou dans l’un des quatre autres pays où ils ont été recensés, soit aux États-Unis, au Groenland, en Norvège et en Russie.

Canada Goose, le partenaire et commanditaire principal de PBI depuis 2007, appuie cet organisme dans ses différentes activités, et lui verse notamment une partie des recettes de sa collection de vêtements Polar Bears International, reconnaissable aux vestes et aux manteaux bleu électrique parés du logo de PBI. «La faune, la flore, les personnes et les paysages du Nord sont d’une importance vitale; ce qui s’y passe nous affecte tous», souligne Gavin Thompson, vice-président responsable de la citoyenneté d’entreprise chez Canada Goose. «Il est de notre responsabilité de jouer un rôle de premier plan pour favoriser le changement, d’avoir un [effet] et d’aider à lutter contre la crise climatique.» Pour souligner cette vision, la marque a versé à ce jour plus de 3,5 millions de dollars à PBI, et financé la construction de la Polar Bears International House, à Churchill, qui accueille un centre éducatif sur les ours polaires, ouvert au public, qui héberge au besoin des scientifiques et des invités de l’organisme.

Jenny Wong

De jeunes ours s’amusent à se battre.

L’importance de la banquise

Ça fait environ une heure que nous roulons à bord du Tundra Buggy One – la vitesse de croisière avoisine les 10 km/h tant il est compliqué ici de s’adapter au terrain hostile – lorsque l’animal nous apparaît pour la première fois. C’est un jeune ours, plutôt un ourson vu sa taille, suivi de près par sa maman qui le protègera farouchement jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de trois ans. Au cours de la journée, on verra d’autres de ces créatures, de près ou de loin, en groupe ou solitaires, faire la sieste dans les buissons ou se bagarrer avec indolence (à cette période de croissance, c’est encore un jeu, en préparation des vrais combats, brutaux, qui auront lieu au printemps, pour s’attirer les faveurs d’une femelle).

L’image est exceptionnelle: pouvoir admirer cet animal dans son milieu naturel n’arrive pas tous les jours. Mais la réalité cache un tableau plus sombre. Au même moment l’an dernier, la banquise – qui se crée lorsque la surface de la mer gèle – était déjà là et on ne pouvait plus apercevoir d’ours sur la terre ferme. Cependant, le réchauffement climatique retarde chaque année le moment de sa formation, et, en ce mois de novembre, c’est un nouveau record. Depuis une semaine, les températures sont au-dessous de zéro, mais les éléments nécessaires pour que la glace se forme ne sont pas encore réunis. C’est qu’il faut au moins deux semaines à -15 0C pour que la couche de gel puisse s’étendre sur la baie d’Hudson. Sans ça, l’ours ne peut pas quitter le rivage pour chasser le phoque, sa nourriture principale qui lui permet de stocker suffisamment de graisse avant de revenir sur la terre ferme lorsque la banquise fond, normalement au début de l’été. Il restera ensuite sur le rivage sans manger jusqu’à l’automne, dans un état d’hibernation itinérante.

Mais ce n’est pas juste la création de la banquise qui pose problème aujourd’hui. «Dans l’ouest de la baie d’Hudson, la fonte commençait historiquement aux alentours du 15 juillet, mais on constate qu’elle se produit de plus en plus tôt», dit Alysa McCall, scientifique et directrice de la sensibilisation à la conservation chez PBI. «En 2021, par exemple, elle a eu lieu le 15 juin.» Et en ce début de novembre, les ours blancs de la région – qui perdent 1 kg par jour en moyenne lorsqu’ils sont sur la terre ferme, où ils passent environ un mois de plus que leurs grands-parents – n’ont pas mangé depuis 146 jours. Au seuil critique de 180 jours, 21 % des adultes mâles et 63 % des jeunes risquent de mourir de faim. Il reste donc un mois tout au plus pour que la situation change, et vite! 

Jenny Wong

Vue aérienne de la zone de gestion de la faune de Churchill.

Un problème à l’échelle mondiale

À la recherche de nourriture, l’ours blanc s’aventure parfois du côté de Churchill, mettant en danger les populations locales. Du matin jusqu’à 22 h, heure à laquelle une alarme sonne dans toute la ville pour prévenir de la fin du guet, une patrouille – prête à dégainer son fusil hypodermique, qui administrera une dose de tranquillisant à cet animal – surveille les rues. Dans les commerces, des panneaux sont là pour indiquer la conduite à suivre: éviter de se promener seul et se préparer à l’attaque si jamais un ours s’approche de soi. À voir ceux que nous croisons dans la zone de gestion de la faune de Churchill, à l’abri dans notre véhicule, nous nous disons que nous avons peu de chance de nous en sortir vivants dans cette situation hypothétique. Or plus la banquise tarde à se former, plus les risques de croiser un ours à Churchill et dans d’autres villes du Nord sont grands. 

D’ailleurs, l’absence de gel dans la baie d’Hudson n’affecte pas seulement l’animal: c’est toute la chaîne alimentaire qui est touchée. De fait, la banquise, sans vie en apparence, est un terrain fertile pour les algues, qui poussent sous sa surface. Ces algues nourrissent des diatomées, de microalgues unicellulaires, qui sustentent de petits crustacés appelés copépodes. Ceux-ci constituent l’aliment principal des morues polaires, que consomment les phoques avant d’être mangés à leur tour par les ours. La nature est un équilibre bien fait, mais précaire, mis en danger par les changements climatiques, dont les effets se font sentir plus profondément année après année. Sans banquise, il n’y a plus d’algues et, en fin de compte, plus de phoques ni d’ours.

Mais après tout, pourquoi devrions-nous nous inquiéter d’un problème qui se passe à des milliers de kilomètres de chez nous? «Tout d’abord, notre monde ne serait pas aussi riche et merveilleux si nous laissions les animaux disparaître», dit Dre Thea Bechshoft, scientifique pour PBI. «Ensuite, si on protège les ours polaires, ça signifie qu’on protège aussi la banquise, qui fonctionne comme le climatiseur de la planète. Cette énorme surface blanche réfléchissante aide en effet la Terre à se refroidir non seulement dans la région arctique, mais partout dans le monde. Lorsqu’il n’y a pas de glace, l’océan, sombre, absorbe plus de lumière et plus de la chaleur du soleil, ce qui crée de grandes fluctuations dans les modèles météorologiques et les rend très différents de ce qu’on connaît.»

L’espoir de voir les choses s’améliorer pour les ours polaires, la faune arctique et la planète est encore là. C’est un espoir qui reste tangible malgré tout, mais il faut intervenir rapidement. Ultimement, c’est aux gouvernements à s’engager pour la protection de l’environnement. Dans nos sociétés démocratiques, nous pouvons faire notre part en utilisant notre droit de vote pour élire des politiciens qui ont à cœur l’écologie et les tenir ensuite responsables de joindre le geste à la parole. Nous pouvons aussi privilégier les énergies renouvelables dans notre quotidien, faire un don à PBI et à d’autres organisations environnementales, et utiliser notre pouvoir d’achat à bon escient, en soutenant financièrement des marques, des entreprises et des organismes dont les valeurs et les actions écoresponsables sont réelles et bien documentées. «La zone arctique se réchauffe environ trois fois plus vite que la plupart des autres endroits de la planète, ajoute Thea Bechshoft. Mais on a tous les outils pour renverser la situation. Il faut maintenant une transition rapide pour abandonner les combustibles fossiles, et utiliser des ressources énergétiques durables, comme les énergies éolienne et solaire. Ça prendra du temps, mais le climat réagira; si nous réussissons à empêcher la température d’augmenter davantage, la banquise reviendra!» Et la population d’ours polaires – qui a décliné de 30 % dans la baie d’Hudson depuis le début des années 1980 – augmentera de nouveau. La science est formelle.

D’ici là, le gel aura une fois de plus tardé à venir cette année. À Churchill, il aura fallu attendre la toute fin du mois de novembre pour que la banquise commence à se former. Un triste record qui, si rien ne change, deviendra la norme jusqu’à ce que cette mer de glace – et ses majestueuses créatures à la fourrure blanche – ne soient plus qu’un lointain souvenir… Plus que d’espérer que ça n’arrive jamais, il est crucial d’agir maintenant!