En janvier 2023, je me suis envolée pour Conakry. J’ai fait de l’espace dans mon agenda et je me suis décidée à retourner en Guinée, le pays de mon père. Pour reconnecter, vibrer autrement et serrer ma grand-maman dans mes bras pour la première fois depuis 2007. 

«L’important, c’est d’être ensemble.» 

C’est ce que ma mère m’a dit avant mon départ. Hier, faisons comme si c’était hier. De toute façon, j’ai la notion du temps aussi décalée que les émotions, surtout le jour où je pars en voyage. Je suis dans un état de léthargie, quelque part entre une envie de sommeil et la sensation à la fois vivifiante et anxiogène de tomber dans le vide. J’ai beau être Capricorne ascendant Scorpion, là, maintenant, je ne sais pas comment me gérer. 

Dans la file pour embarquer à bord du vol Paris-Conakry, une femme me tend son bébé plutôt que son sac quand je lui demande: «Avez-vous besoin d’aide?» Avec le décalage émotionnel et les nuits d’insomnie des dernières semaines, j’adore qu’un petit être me gazouille au visage. Je fixe impudiquement les corps autour de moi. Je suis ébahie. Je ne me souviens pas d’avoir été la plus pâle dans un endroit. Les gens portent plus de couleurs que ce que j’ai l’habitude de voir; les gens sont beaux. 

— Quel est son nom? 

— Hawa. Elle s’appelle Hawa, et je suis Aïcha. Merci de l’avoir tenue. 

Une Aïcha, comme moi. 

Elle me sourit avant de gagner son siège pendant que je rigole intérieurement en réalisant l’absence d’originalité de mon prénom en dehors de l’Occident. Il y a quelque chose d’étrangement rassurant dans le fait d’avoir des homonymes.

Liées par le prénom. Liées par la culture.

Les gens discutent, du décollage à l’atterrissage. J’ai davantage l’impression d’être à un barbecue familial que sur un vol d’Air France. Le vol Montréal-Paris m’apparaît drôlement gris, quand j’y repense. 

En marchant vers la maison de ma grand-mère, je ne suis pas choquée par l’absence de lampadaire, le sol inégal, l’odeur du sable rouge dans l’air, les coquerelles qui se faufilent… ou par le fait que nous formons maintenant l’équivalent d’une procession, puisque le voisinage se joint progressivement à moi. Je n’entends que les percussions qui résonnent jusqu’en haut de la colline. Les gens dansent et chantent. C’est la fête au village, comme on dit. 

«J’ai pris un avion pour Conakry en ne sachant pas vraiment ce que je venais y chercher. J’y ai trouvé des larmes de joie et des frissons de bonheur pour toute une vie. De quoi éclairer mes nuits les plus sombres, ranimer un feu que je pensais éteint.»

Et je la vois finalement, debout, les bras tendus, prête. Elle m’a entendue arriver grâce à la réaction sonore des gens autour d’elle depuis plusieurs minutes déjà. Ma grand-maman, Mariama, ne voit plus depuis longtemps; pourtant, c’est l’esprit le plus clairvoyant que je connaisse. Je manque de m’effondrer d’émotion, mais elle me rattrape. Tellement de force pour une octogénaire. S’enlacer si fort. Sa voix, son odeur, ses mains. L’entendre me dire de ne pas pleurer, alors qu’elle pleure elle-même à chaudes larmes. Et rire. Elle a guéri en moi des choses que d’autres avaient brisées. Quand elle a pris mon visage entre ses mains et m’a embrassé le front, j’ai compris. 

J’ai pris un avion pour Conakry en ne sachant pas vraiment ce que je venais y chercher. J’y ai trouvé des larmes de joie et des frissons de bonheur pour toute une vie. De quoi éclairer mes nuits les plus sombres, ranimer un feu que je pensais éteint.

Ma mère a raison: rien ne bat le fait d’être ensemble. 

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