Lorsque Will est entré dans ma vie,  je commençais à me dire que j’allais me contenter de cohabiter avec des chats. Pas par résignation, mais plutôt par choix: je savais d’expérience qu’on ne se sent jamais autant seule que dans une relation avec la mauvaise personne. Mes amis, eux, diraient que j’étais extrêmement sélective (lire: difficile), et pas très ouverte à négocier.

Mais en découvrant le profil Hinge de Will, j’ai été parcourue d’un enthousiasme que je n’avais jamais ressenti avant devant une application de rencontres — facile, vous me direz, devant la photo d’un ingénieur slash ancien surfeur pro de 6 pi 4 po tout sourire avec son golden retriever. Un seul hic, sa localité: Burlington, Vermont.

J’ai hésité. Les amourettes à distance, j’en avais fait l’expérience, et j’en étais sortie épuisée et échaudée. Mais je suis pratico-romantique: pour la bonne personne, je suis prête à déplacer des montagnes — ou, tout du moins, à les traverser en voiture. J’ai «swipé» à droite, puis j’ai attendu. Deux jours plus tard, son premier message est arrivé.

Immédiatement, les conversations ont pris une tournure différente de tout ce que j’avais vécu dans mes expériences précédentes de dating. Un rituel quotidien s’est installé: je lui écrivais le soir, avant de me coucher. Il répondait au réveil. On se racontait nos passions, notre vie. En toute légèreté, avec un humour complémentaire, et des points communs qui se dessinaient sans effort. Sans que je m’en rende compte, une intimité confortable s’est installée.

Si confortable qu’un dimanche, après trois semaines à le découvrir, je me suis soudainement demandé ce que j’attendais. Qu’il rencontre quelqu’un d’autre? Qu’il se fasse faire un passeport dans le seul et unique but de venir me rencontrer? Mon passeport, à moi, était bien valide. Alors, j’ai tenté ma chance. «Veux-tu aller souper? Je peux être là dans trois heures.»

Une heure plus tard, j’attendais au coin de ma rue que le feu passe au vert, avec mon passeport en poche et une soudaine avalanche de doutes en tête. Aller rencontrer un inconnu dans un pays étranger à la tombée de la nuit, ça fait beaucoup de red flags! Pourtant, mon intuition me dictait que c’était la bonne chose à faire.

J’ai pris une seconde pour me rappeler que je pouvais faire demi-tour. Mais quand le feu est passé au vert, j’ai choisi de prendre la direction de l’autoroute.

Mes mains tremblaient un peu lorsque j’ai remonté à pied College Street, au centre-ville de Burlington, vers l’adresse que Will m’avait donnée. Il m’attendait à l’entrée du bâtiment — décontracté, charmant… et réel. Nous avons échangé un hug spontané, comme si on se connaissait depuis toujours; le reste de la soirée est un vertige dans ma mémoire.

Ce dont je me souviens, c’est d’une longue conversation sans que le moindre silence ne s’installe, dans le sofa de son Airbnb vermontois tout récent, au restaurant que je rêvais d’essayer, en marchant dans le froid de novembre accrochée à son bras, puis en réalisant, stupéfaite, qu’il est déjà 2 h du matin et que je n’ai pas l’énergie (et encore moins l’envie) de reprendre la route. C’est aussi des premiers rayons du soleil qui éclairent la chambre tandis qu’on est encore en train de se raconter. D’être allés prendre un café pour continuer de jaser. Et je me souviens aussi de la peur subite que tout s’arrête, une fois que la réalité aurait repris son cours.

«Aller rencontrer un inconnu dans un pays étranger à la tombée de la nuit, ça fait beaucoup de red flags! Pourtant, mon intuition me dictait que c’était la bonne chose à faire.»

Lorsque pour notre rendez-vous suivant, deux semaines plus tard, il a conduit 22 heures d’affilée depuis sa Floride natale — et devancé son déménagement de quelques jours — juste pour venir me retrouver, j’ai compris que cette peur était partagée. C’est ainsi que les premières pages de notre histoire se sont écrites: à coups de week-ends entiers, une semaine sur deux, pour concilier notre amour naissant avec la garde de ma fille.

En une année à vivre un peu ici, un peu là (et aussi un peu à Salem, Massachusetts, notre ville coup de cœur), on a trouvé une sorte d’équilibre. On se crée des rituels pour structurer le temps. Le vide laissé par la distance, lui, se comble de petites attentions qui dissimulent l’absence pendant quelques moments: ses chocolats préférés cachés dans les poches de son manteau, un I love you forever griffonné dans la buée de la vitre de ma douche, qui réapparaît chaque matin comme s’il venait de partir… On s’arme de communication, de souplesse, de créativité. Et d’une bonne dose de patience.

Lorsque je repense à ma décision légèrement chaotique de traverser une frontière sur un coup de tête pour aller rencontrer Will, je me félicite d’avoir suivi ma petite voix intérieure. Reste que le fait qu’on vive une relation entre deux pays, c’est surprenant pour bien des gens. Mais si on vous disait que la personne de votre vie vous attend à moins de deux heures de chez vous, ça vaudrait le coup de tenter le pari, non?

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