«Je ne t’aime plus et je m’en vais.» Marcel regardait dehors lorsqu’il m’a lancé cette phrase le 12 décembre 1998. Sur le coup, j’en ai eu le souffle coupé! Après presque 30 ans de bonheur conjugal, je ne m’y attendais absolument pas. J’avais l’impression que j’allais passer mes vieux jours avec lui… Où était passé le jeune homme qui avait réussi à me conquérir quand j’avais tout juste 15 ans? Comment est-ce que j’allais apprendre la nouvelle à nos trois filles dans la vingtaine? Le choc a été énorme. J’ai passé des jours à pleurer, désespérée. Je vivais péniblement ma première peine d’amour. Du jour au lendemain, ma vie a radicalement changé. De femme mariée à la vie sociale très active, je me suis retrouvée devant un grand vide. Après plusieurs mois de déni et avec la précieuse aide de ma psychologue, j’ai finalement accepté le fait que j’allais vivre en solo dorénavant. Je voyais enfin la lumière au bout du tunnel.

Un matin, j’ai décidé de sortir de ma torpeur et de mettre la maison familiale à vendre. Je réfléchissais à l’avenir. Qu’est-ce qui m’attendait maintenant? Qu’avais-je envie de faire de ma vie? Quand enfin la vente a été conclue, neuf mois plus tard, j’ai ressenti un énorme soulagement. Je m’étais rendu compte que cette luxueuse demeure que j’avais tant aimée n’avait plus de signification pour moi sans famille avec laquelle l’habiter. Dans la foulée, j’ai donné tout son contenu: meubles, bibelots, cadres… J’avais un grand besoin de repartir à zéro.

J’ai seulement gardé deux valises de vêtements, des photos de famille et des souvenirs de voyages. Et c’était loin d’être anodin… Depuis que j’étais toute petite, j’avais le rêve fou de faire le tour du monde. Née dans une famille défavorisée, je n’ai pu commencer à parcourir le monde que lorsque je me suis mariée. Au fil des ans, ce plaisir ne m’a jamais quittée, et ce, même si je n’ai jamais réussi à le communiquer à Marcel. Chaque fois qu’on partait ensemble, j’avais l’impression de le forcer… Je revenais souvent au Québec insatisfaite, restée sur ma faim de découvertes.

Et si je m’évadais seule, histoire de voyager à mon rythme? J’étais en santé, j’avais de l’argent, du temps… Alors, pourquoi pas? Mon ancienne vie n’existait plus; je pouvais faire tout ce que je voulais. J’avais une telle soif de liberté! Mon plan a pris forme tranquillement. Après avoir démissionné de mon emploi à la bibliothèque de ma ville, j’ai décidé de visiter l’Europe pendant six mois. En apprenant mon projet, une amie m’a présenté une connaissance italienne vivant à Montréal. Celle-ci m’a aidée à me trouver une chambre à Lignano Sabbiadoro. C’était trop beau! Impossible de reculer maintenant.

Ironiquement, le 31 mai 2000, jour où j’aurais fêté mon 31e anniversaire de mariage, je montais dans un avion en partance pour l’Italie. C’était le début d’une grande aventure! J’ai décidé de me laisser porter par le hasard pour une fois sans itinéraire en poche – moi qui suis pourtant très organisée de nature. Lignano Sabbiadoro, charmante ville en bord de mer, m’a permis de refaire mes forces après des mois très éprouvants. J’ai passé les premières journées de mon périple à regarder les vagues, en réfléchissant à ma vie.

Un matin, j’ai eu envie d’aller voir ailleurs si j’y étais. En train de méditer dans un parc, j’ai demandé à l’Univers de m’envoyer un signe. Quelle serait ma prochaine destination? Quelques minutes plus tard, j’ai croisé un homme qui portait un chandail avec l’inscription «ENGLAND». Et hop! je me suis rendue en Angleterre. Tout au long de mon voyage, je me suis laissée porter par mes coups de tête. Ça m’a menée en Écosse, en Irlande, en Pologne, en Slovaquie, en Hongrie, en République tchèque…

Mon aventure a été marquée par la joie irrépressible de découvrir de nouveaux endroits, par le bonheur d’être totalement libre… et par l’inconfort aussi. J’ai fait le tour des chambres les plus miteuses de l’Europe, afin de ne pas trop dépenser. Vu que je n’avais aucun plan, j’ai parfois dû chercher longtemps avant de trouver un lit! J’en riais presque chaque fois que j’ouvrais une nouvelle porte: est-ce que j’allais tomber sur un endroit encore plus épouvantable que le précédent? Ces obstacles m’ont permis de voir à quel point j’étais débrouillarde. Je réussissais à retrouver mon chemin, à me loger et à me faire comprendre, et ce, sans l’aide des téléphones intelligents, qui n’existaient pas encore!

Au cours de ces six mois, j’ai peu communiqué avec mes proches et avec les gens en général. Je n’ai provoqué aucune rencontre et je donnais très peu de nouvelles à mon entourage. C’est ce dont j’avais besoin pour me ressourcer. Mes filles ont dû faire preuve de beaucoup de patience! «Si tu te fais attaquer, comment va-t-on faire pour le savoir, maman?», me lançaient-elles en réponse à mes courriels hebdomadaires. Même si ça n’a pas été facile pour mes proches, cet éloignement m’a permis de me retrouver en tant que femme. Pas en tant qu’épouse, mère ou amie. Juste en tant que moi.

Je suis revenue au Québec en novembre, forte de plusieurs réflexions sur ma vie. Cette expérience m’a fait comprendre combien j’étais solide et passionnée. J’ai aussi constaté que je n’avais pas besoin de beaucoup pour être réellement heureuse. En m’éloignant du luxe que j’avais connu avec mon mari, j’ai réalisé à quel point la richesse est bien plus qu’une somme d’argent. Ma fortune, ce sont les souvenirs des voyages que j’ai continué à bâtir au fil des ans, mais pas que ça… Ce sont aussi ceux que je brode, jour après jour, avec mes filles et mes petits-enfants, dans la simplicité volontaire.

Quand mon mari m’a annoncé qu’il partait, j’ai eu l’impression que le ciel m’était tombé sur la tête. Aujourd’hui, je vois cet événement comme une bénédiction. Je suis fière de ma résilience: j’ai pu, grâce à elle, aller au bout de mon rêve.

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