«Nous sommes ici pour vous faire savoir que le changement s’en vient, que vous le vouliez ou non», a clamé la jeune activiste suédoise Greta Thunberg [dont on vous brosse le portrait en page 78] lors de son allocution à l’Assemblée plénière de la COP 24 à Katowice, en Pologne, en décembre 2018. Et ce vent de changement se reflète déjà dans une foule d’industries, dont celle de la beauté. Représentant une valeur mondiale de 13,3 G $ en 2018, le marché de la beauté biologique est plus lucratif et en croissance que jamais, selon le rapport de Grand View Research. C’est qu’après avoir scruté ce qui se trouve dans leur assiette, les consommateurs, tout particulièrement les milléniaux, cherchent à savoir ce qui se cache dans leurs petits pots et ils réclament désormais des produits verts, naturels, biologiques, propres, non toxiques et tutti quanti. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

D’intérêt marginal à global

Il est difficile de retracer le moment exact où a été introduit le terme «beauté verte». Mais des pionniers de la beauté naturelle, comme la marque suisse Weleda, fondée en 1921, et le label allemand Dr. Hauschka, dont les premiers produits ont été commercialisés en 1967, y ont peut-être été pour quelque chose. À eux se sont jointes d’autres grandes entreprises comme The Body Shop, Aveda, Druide (née à Racine, un village de l’Estrie, en 1979), Davines, Burt’s Bees et Jurlique, pour ne nommer qu’elles.

Puis, au début des années 2000, l’industrie a connu un véritable boom en voyant naître une ribambelle de marques dont la création découle souvent d’une prise de conscience de leur fondateur à la suite d’une maladie grave ou d’une sensibilité cutanée. Elles sont canadiennes (The Green Beaver Company et Zorah Biocosmétiques) ou elles viennent d’ailleurs ( Juice Beauty, Nude by Nature, Kora Organics, RMS Beauty, Tata Harper Skincare, Herbivore Botanicals, etc.), mais qu’ont-elles en commun? Elles véhiculent des valeurs environnementales éthiques et durables, où les monocultures sont proscrites et les plantes, cultivées dans le respect de la biodiversité; elles font l’éloge d’ingrédients biologiques et sains.

Certes, ces entreprises ont su se tailler une place et contribuer à faire croître l’industrie de la «beauté verte», mais il est légitime de se demander en quoi exactement consiste cette dernière. Et la réponse n’est pas des plus simples, car il n’existe pas encore de définition officielle pour les différents termes – «vert», «naturel», «propre», «non toxique» – que les géants de la cosmétique et les petites entreprises artisanales s’attribuent.

Pour le bien du plus grand nombre

Si les définitions se multiplient, on s’entend pour dire que le terme «beauté verte» intègre une notion de responsabilité multiple qui se transpose en une offre de cosmétiques composés d’ingrédients aussi bons pour les humains qui les consomment que pour ceux qui les produisent, et qui sont respectueux de la faune et de la flore de notre précieuse planète.

À tout cela méritent aussi de s’ajouter les réflexions de Kristeen Griffin-Grimes, fondatrice et directrice de création de French Girl: «La définition traditionnelle de la beauté verte relève surtout de la nature des ingrédients, qui doivent
être naturels, biologiques et durables. Mais ce n’est pas suffisant. Chez French Girl, on pousse le concept plus loin en considérant les effets sociaux, environnementaux et éthiques de la production d’un cosmétique. Si les ingrédients sont biologiques, mais que l’entreprise les teste sur les animaux ou utilise des matières végétales menacées, nous ne considérons pas l’entreprise comme étant “verte”. En tant que marque “verte”, on s’assure que toute la chaîne d’approvisionnement est biologique, naturelle, végétalienne, équitable et sans cruauté animale, du producteur au consommateur.» Voilà pourquoi des démarches honorables, par exemple le soutien de causes sociales ou le recours à des emballages biodégradables et recyclés, font aussi souvent partie des engagements de marques dites vertes. Quant aux mots «naturel» et «propre», ils peuvent porter à confusion. «Naturel» fait référence aux ingrédients qui sont puisés dans la nature ou en sont des dérivés. Attention: un ingrédient naturel n’est pas nécessairement sans danger! Quant à la beauté «propre», elle englobe les produits qui ne contiennent pas d’ingrédients nocifs pour nous, bien sûr, ni pour l’environnement, que ce soit lors de l’extraction des actifs ou lors de leur rejet dans la nature. Si on veut s’assurer d’être vert, naturel et propre, on s’attarde aux ingrédients qui composent les produits qu’on consomme. À ce sujet, il serait difficile de passer sous silence l’apport important à l’avancement de la cosmétologie du docteur, généticien et activiste David Suzuki. Son rapport Dirty Dozen, publié en 2010, fait état des composants nocifs pour la santé et qu’on devrait à tout prix éviter. Et parce que distinguer le bon du moins bon sur une liste d’ingrédients peut parfois être étourdissant, on peut compter sur quelques sceaux d’approbation reconnus afin de nous guider dans nos choix, dont EWG Verified, Ecocert, Cosmébio et Cruelty-Free par PETA.

Semer une graine

Révélées par le mouvement antiplastique planétaire, les microbilles, qui se retrouvaient dans nos cours d’eau lors de leur rejet au tout-à-l’égout, furent bannies aux États-Unis (en 2015) et au Canada (en 2018). C’est à peu près au même moment que Jennifer Freitas, fondatrice et PDG de The Truth Beauty, a remarqué une croissance de la demande pour la beauté verte. «J’ai décelé une prise de conscience majeure lorsque j’ai ouvert ma deuxième boutique [en 2016]. Ç’a été une véritable explosion! Depuis, il y a une demande accrue et de plus en plus d’innovation au sein des marques», explique-t-elle. Ce virage notable a fait éclore de petites entreprises qui font le poids dans la révolution verte, comme Étymologie, Eco+Amour, Meant, Alpyn Beauty, etc. De notre côté, on a tout à gagner à s’intéresser à ces marques qui révolutionnent notre façon de penser la beauté.

@bkind.products
Sa fondatrice, Marilyne, tenait mordicus à ce que sa marque soit verte, 100 % naturelle, issue de végétaux, sûre et végétalienne, en plus d’être dotée d’une liste d’ingrédients minimale. Et ses efforts ne s’arrêtent pas là. L’entrepreneure d’ici, biologiste de formation, s’approvisionne autant que possible en matières durables et équitables, et elle encapsule ses produits dans des emballages fabriqués ici. Sa nouvelle boutique, boulevard Saint-Laurent à Montréal, possède même une station de remplissage en vrac qui «devrait bientôt compter toute la gamme de produits. Et d’ici 2020, elle compte remplacer tous les tubes de plastique ordinaire par du plastique recyclé OceanBound», assure-t-elle. Une douce intervention qui s’inscrit parfaitement dans l’ADN de BKIND!

@unscentedco
C’est quand Gwyneth Paltrow a décidé, en janvier dernier, d’offrir sur Goop une sélection des produits sans parfum imaginés par Anie Rouleau que l’entrepreneure a réalisé l’ampleur du mouvement vert. Depuis, Whole Foods s’intéresse aussi à sa gamme conçue avec un minimum d’ingrédients alliant nature et sûreté. Son succès repose sur la transparence, l’approvisionnement et la distribution: les ingrédients sont énumérés en détail, certains des emballages sont faits de carton recyclé, des stations de remplissage sont offertes dans plusieurs établissements au Québec et 90 % des matières premières au coeur de ses produits proviennent d’un rayon de 500 km à la ronde, un bon moyen «d’assurer un contrôle de la qualité, d’encourager les entreprises d’ici offrant de bonnes conditions de travail, et de réduire les émissions de CO2», confie Anie Rouleau. Et on flaire que ça ne fait que commencer!

@frenchgirlorganics
French Girl est la preuve que luxe et durabilité peuvent s’accorder. «L’une des choses qui me tenaient le plus à coeur lorsque j’ai lancé French Girl était de rendre la beauté verte aguichante. Lorsque j’ai commencé à créer mes formules [en 2009], l’éventail de produits durables était très limité et peu de consommateurs en faisaient la demande ou en achetaient», confie Kristeen Griffin-Grimes, fondatrice et directrice de création de la marque dont la beauté des flacons frôle celles des grandes maisons. On peut dire qu’elle a réussi à changer les règles du jeu pour le mieux, car la marque offre des soins naturels, propres et pratiquement tous biologiques contenus dans des écrins de verre recyclable.

@elatecosmetics
Ce qu’on aime le plus de cette collection imaginée par Melodie Reynolds, maquilleuse professionnelle? Qu’elle soit d’origine vancouvéroise est super, mais ce qui l’est encore plus est le souci de sa fondatrice d’offrir des contenants durables afin de réduire le suremballage. Non seulement la marque offre du maquillage «composé à 99,9 % d’ingrédients naturels provenant de sources équitables», soutient Melodie Reynolds, mais «2 % des profits sont remis à des causes à vocation humaine et environnementale», ajoute-t-elle. Les prochains objectifs à atteindre? Offrir des emballages 100 % durables et porter la certification B-Corp apposée sur les produits qui se distinguent sur les plans sociétal et environnemental.

@glowrecipe
Comptant déjà 494 000 abonnés sur Instagram, la marque d’origine coréenne ravit nos sens, mais pas que grâce aux superfruits qui composent ses sérums, masques et hydratants. «Notre philosophie est basée sur ce qu’on trouve dans nos produits, bien sûr, mais aussi sur ce qui ne s’y trouve pas. Nous choisissons volontairement d’exclure certains ingrédients lorsque nous estimons qu’ils ne sont pas bénéfiques pour la peau, comme les phtalates, les huiles minérales, le polyéthylèneglycol, etc. La durabilité est aussi importante pour nous, c’est pourquoi nos contenants sont faits de matériaux recyclés et recyclables à 100 %. Nos soins ne sont pas que sains pour la peau, ils le sont aussi pour l’environnement!» soutient Christine Chang, cofondatrice de la marque avec Sarah Lee. On salue leur conscience et aussi les éoliennes qui alimentent leurs bureaux en énergie!

@koparibeauty
Dans les pots colorés se cachent beaucoup de noix de coco 100 % biologique, un amour infini de la nature… et la vision singulière des cofondatrices
de Kopari, Kiana Cabell et Gigi Goldman. «Lorsque nous avons lancé la marque, il ne s’agissait pas uniquement de rechercher des ingrédients naturels, mais aussi de créer un changement positif. Nous avons donc parcouru le monde à la recherche de noix de coco issue de sources durables. Et c’est à Kopari, aux Philippines, que nous avons choisi de nous approvisionner. Nous y avons construit 20 maisons pour les habitants de la région qui avaient perdu la leur à la suite de catastrophes naturelles, et avons apporté de l’eau potable au village. Redonner quelque chose aux gens qui partagent leurs ressources avec nous a été l’expérience la plus enrichissante de notre parcours», confient-elles. (Psitt! Leur déodorant à la noix de coco a remporté la première place dans sa catégorie dans le dernier Grand Prix de la Beauté ELLE Québec et ELLE Canada!)

REVITALISANT EN BARRE, de Bkind (16 $)

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ÉPONGE FACIALE KONJAC À L’ARGILE VERTE, de Bkind (10 $)

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EXFOLIANT POUR LE VISAGE AU CURCUMA, de Bkind (25 $)

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BARRE DE SAVON, de The Unscented (5 $)

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Et l’avenir, il est vert?

Plus que jamais! Et on sait que nous n’en sommes qu’aux premières mesures quand des géants comme Sephora s’y mettent et que leur plan «Clean at Sephora», lancé en 2018, ne cesse de prendre du galon. Même Guerlain (on pense à son fond de teint L’Essentiel, lancé le printemps dernier et composé à 97 % d’ingrédients naturels), Mary Kay (qui a lancé Mary Kay Naturally
en août dernier, sa première collection entièrement naturelle) et la société L’Oréal (qui s’engage à réduire chaque année le poids
de ses emballages tout en offrant plus d’options recyclables et qui a été élue l’une des marques les plus éthiques du monde par l’Institut Ethisphere) ont emboîté le pas en dévoilant récemment des lancements de cosmétiques verts. Même son de cloche chez Herbal Essences, qui appartient au géant P&G et qui a reçu le sceau d’approbation de l’Environmental Working Group pour deux nouvelles déclinaisons de sa collection bio:renew. C’est d’ailleurs l’une des premières marques vendues en grande surface à afficher le prestigieux logo de cet organisme aux normes rigoureuses. Chose certaine, toutes les marques ont leur place et l’avenir se dessinera dans l’éducation continue des consommateurs, selon Jennifer Freitas, et dans l’innovation durable et dans la réduction des emballages, selon Marilyne Bouchard et Anie Rouleau. «On verra de plus en plus de produits solides et en barre. Nous comptons d’ailleurs éliminer les bouteilles de plastique, les bouchons et les étiquettes», confie la fondatrice de The
Unscented. On reste donc aux premières loges et on s’initie au mouvement vert lentement, mais sûrement.