Moi, si j’habitais la banlieue, je poursuivrais les médias pour harcèlement psychologique. En effet, de la pièce-culte Les voisins au film de Robert Morin Que Dieu bénisse l’Amérique, en passant par la télésérie Vice caché, chaque fois qu’un artiste parle de la banlieue, c’est pour la dénigrer.

Pour dire que les résidants sont paranos, névrosés, superficiels, jaloux, quétaines cupides, frustrés et obsédés par trois choses: leur piscine, leur pelouse et leur abri Tempo. Les banlieusards sont les Ti-Coune de l’humour québécois.

Vous voulez faire rire les gens? Moquez-vous des banlieusards, le succès sera garanti. Rien de plus drôle – et de plus facile – qu’une bonne blague de bungalow ou de tondeuse à gazon.

Ceci dit, il y a l’autre extrême: les banlieusards allergiques au béton, ceux qui prennent la ville pour Sodome et Gomorrhe. Leur phrase préférée: «Je suis allé vivre en banlieue pour élever mes enfants. C’est plus sécuritaire.» C’est bien simple, si je donnais 25 cents chaque fois que j’entends cette phrase, je serais un sans-abri dans deux mois. Comme s’il n’y avait pas de pédophiles ou de drogue en banlieue, comme si le crime s’arrêtait au pont, comme s’il n’y avait pas de chauffards sur les croissants Pinson, Bonheur et Violette!

Je connais plein d’enfants qui ont été élevés en ville. Ils ne sont pas délinquants, ils performent très bien à l’école et ils ne font partie d’aucun gang de rue. Ils disent «S’il vous plaît» et «Merci», ils mangent des légumes et des fruits, et parfois, ils aident même les mémés à traverser la rue. Et puis, c’est quoi, cette idée de vouloir à tout prix élever des enfants sous une cloche en verre?Oui, il y a des pauvres, des punks, des travelos et des drôles de bibittes, en ville. Et après? Ça fait partie de la vie. La vie n’est pas une petite rue bien propre qui porte un nom de fleur, c’est le bordel, le grand mélange, le cirque.

Les enfants qui grandissent en ville ne sont pas toujours confrontés à des copies d’eux-mêmes; ils voient toute sorte de monde, toute sorte de gens. Ils apprennent que la vie ne ressemble pas à une allée de supermarché, avec des petits fruits bien rangés par ordre alphabétique sous une température hyper contrôlée. Ils sont confrontés à la diversité, à la différence. Et parfois, ils voient même des enfants chinois qui ont… des parents chinois!

J’ai vécu quatre ans sur le Plateau-Mont-Royal, et non, je n’ai jamais vu de condoms sur les marches de mon escalier ni trouvé de seringue souillée en jouant avec mes enfants au parc Sir-Wilfrid-Laurier. Et je suis sûr que si j’explorais les égouts de la ville, je ne tomberais pas sur un alligator géant albinos.

Je ne dis pas que les enfants de la banlieue sont moins débrouillards que ceux de la ville. Je dis seulement qu’il faut arrêter de diaboliser le béton.

Oui, c’est agréable de jouer au hockey de rue dans un quartier paisible de banlieue le samedi matin. On attend que le 4 x 4 de papa sorte de l’allée de garage, et on installe les buts. Mais que dire des ruelles?

J’ai grandi à Verdun, une forêt de briques et de ciment située dans le sud-ouest de l’île de Montréal. Je n’échangerais pour rien au monde les ruelles de mon enfance. Elles étaient ma jungle, mon paradis. Ça sentait le fer, la rouille, la garnotte.

Suis-je devenu un bum pour autant? Non.

Je sais me conduire à table, je ne fais pas partie des Hells.

Et je suis même capable de prendre la défense de mes amis banlieusards quand on rit d’eux à la télé.

Article publié originalement dans le numéro de mai 2006 du magazine ELLE QUÉBEC