On dit souvent que le féminisme n’a plus vraiment sa raison d’être, maintenant que les femmes ont accès au marché du travail, aux études supérieures et à la contraception. Effectivement, les femmes occidentales sont plus libres et plus autonomes que jamais. Mais il y a un domaine où le féminisme n’a eu presque aucun impact au cours des 50 dernières années: celui des tâches ménagères.

Les femmes ont beau détenir des postdoctorats en physique nucléaire et diriger des partis politiques, ce sont encore elles qui torchent, qui lavent et qui cuisinent. Oh, de temps en temps, pour épater ses amis, monsieur va organiser un BBQ (c’est-à-dire qu’il flanque un morceau de viande sur le gril en buvant une bière pendant que sa femme pèle les légumes, nettoie la laitue, prépare la vinaigrette, sort la nappe, met la table, sert le vin aux invités, passe les hors-d’oeuvre, coupe le pain, fait bouillir les pommes de terre et prépare les assiettes des enfants), mais la plupart du temps, c’est Bobonne qui s’occupe des repas.

Selon un sondage récemment publié dans le quotidien Le Monde, la femme moyenne assume, chaque année, 680 heures de travail domestique de plus que son compagnon, soit au-delà de 19 semaines de travail de 35 heures… C’est énorme. Le sondage a été effectué en France, me direz-vous, l’un des derniers bastions du machisme. Oui, bon, peut-être. Mais la situation n’est guère plus reluisante au Québec. Comment s’étonner que les femmes soient fatiguées, voire au bout du rouleau? Elles doivent torcher les petits, faire le lavage, s’occuper des repas, organiser l’horaire des enfants ET performer au bureau!

Quand le p’tit dernier vomit à l’école, qui va le chercher, la plupart du temps? Bobonne. Et quand la grand-mère se casse une hanche à l’hospice, qui l’accompagne à l’hôpital? Bobonne.
Que voulez-vous, Bobonne est bonne. Elle est tellement compatissante, tellement responsable, tellement organisée. C’est dans sa nature de prendre soin des gens, ça fait intrinsèquement partie de son être!

C’est pour ça que les infirmières, les gardiennes d’enfants et les enseignantes ne sont pas très bien payées. Parce qu’elles ne travaillent pas vraiment: elles laissent libre cours à leur instinct, elles répondent à une pulsion. Parachuter une femme dans une salle remplie de marmots qui ont la morve au nez, c’est comme demander à un homme d’être membre du jury à un concours de Playmates. On ne lui demande pas un service: on lui rend service!

Pourquoi alors devrait-on payer cette femme, en plus? Paie-t-on les oiseaux pour voler? Paie-t-on les poissons pour nager? Voilà pourquoi on applaudit chaque fois qu’un homme pousse une poussette ou change une couche. Parce qu’il accomplit une tâche pour laquelle il n’a pas été programmé! Parce que ça lui demande un effort!

Comme une femme qui devient astronaute ou qui construit un pont: ça sort de l’ordinaire, ça mérite une médaille!

Tous les hommes le savent: il est plus difficile d’empêcher une femme de prendre soin des autres que de se lever et de faire la tâche soi-même… Alors, pourquoi essayer? Pourquoi aller à l’encontre de la nature?

Les écolos ne nous répètent-ils pas à longueur de journée qu’il faut respecter l’ordre naturel des choses?

Empêcher une femme de prendre soin de son fils quand il a la fièvre, c’est comme construire un barrage au beau milieu d’une rivière. Ce n’est pas écologique. Il faut laisser le flot couler, et intervenir le moins possible…

La prochaine fois que vous verrez un homme se «pogner le beigne» pendant que sa femme passe le balai ou plie le linge, réservez votre jugement. L’homme semble égoïste. Mais, dans le fond, il pense à sa conjointe. Il sait qu’elle est heureuse aux commandes de sa cuisinière et de son lave-vaisselle..

Article publié originalement dans le numéro de novembre 2007 de ELLE QUÉBEC