«Nous, on avait tellement hâte de partir que ça faisait mal!», s’exclame la Montréalaise Sophie Roy. Cette professeur de science politique exprime parfaitement le ressenti de tous ceux qui ont trépigné d’impatience à l’idée de prendre à nouveau le large.

Le vrai large, on s’entend. L’hiver dernier, on se sera peut-être évadés sans s’en vanter une petite semaine dans un tout-inclus au Mexique ou en République dominicaine – deux rares destinations qui nous dispensaient de présenter un résultat négatif à un test de dépistage de la COVID-19 et une preuve de vaccination. Ce séjour aura été salutaire, muchas gracias, mais on a maintenant envie de plus, pas vrai? Plus de découvertes, d’authenticité, de rencontres.

Ces derniers mois, alors qu’un pays après l’autre levait ses restrictions de voyage et que certains levaient même jusqu’à l’obligation de présenter ladite preuve vaccinale, on aura peut-être mis le cap sur l’Europe, à l’instar de Sophie Roy et des siens. Ou pas, cette fois pour cause d’inflation…

Chose certaine, au fil des confinements que nous a imposés une pandémie ayant emporté à ce jour plus de 6,3 millions de personnes à l’échelle planétaire, selon l’Organisation mondiale de la santé, on a eu amplement le temps, à l’instar de cette professeure, de réfléchir à notre modus vivendi et de le réviser, le cas échéant. «La pandémie a consolidé notre besoin de voyager, explique Sophie Roy, maman d’une fillette de sept ans. On a même vendu notre duplex pour aller vivre en condo afin d’avoir plus d’argent pour voyager plus souvent, plus longtemps. Et chaque jour, on se dit qu’on a bien fait!»

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Libres, mais prudents

Sabrina Melançon, grande voyageuse et gestionnaire chez Desjardins, à La Sarre, n’a pas attendu l’été pour s’envoler. En mai dernier, déjà, elle filait vers la Suisse et la France. «Pas tant pour me retrouver dans la nature, parce que j’y vis déjà, mais plutôt parce que j’avais le goût de découvrir des petites villes, que j’avais soif de rencontres!» lance l’Abitibienne. Et elle n’est pas la seule: c’est l’objectif de voyage de 60 % des répondants d’un récent sondage mené par Booking.com.

Bilan? «Mon expérience de voyage ressemble beaucoup à l’avant-pandémie, dit la trentenaire, mais quand j’ai réservé un billet pour la finale de la Coupe de Suisse de football après avoir vu l’effervescence que suscitait l’événement à Berne, ça m’a pris une bonne heure et demie pour réaliser que je m’en allais dans un stade de 30 000 personnes… sans masque! Or, ça faisait déjà 10 jours que je me baladais au pays sans y penser!» Une anecdote révélatrice du malaise que plusieurs ont vécu ou vivent encore en cette période de transition vers l’endémie.

À Boucherville, la clientèle de Club Voyages Orientation vit elle aussi son revenge travel («voyage de rattrapage») non sans miser sur la prudence. «Les gens laissent moins de place qu’avant au hasard, note la présidente, Evelyne Mayrand. Le choix de la destination est réfléchi et ils s’informent comme jamais de la flexibilité des réservations: peuvent-elles être modifiées, annulées?»

De nouveaux comportements surgissent même à l’hôtel… «Au début de la pandémie, nos équipes désinfectaient les espaces publics quand ceux-ci étaient le moins achalandés, pour ne pas déranger les invités, mais maintenant, la clientèle veut voir ces équipes à l’œuvre, ça la rassure!» dit Marie Pier Germain, vice-présidente ventes et marketing pour Germain Hôtels. Et c’est sans compter que des hôtes ont pris goût au fait que les femmes de chambre, au plus fort de la crise sanitaire, n’entraient plus dans leur bulle pour y faire le ménage: «Nous sommes d’ailleurs en train d’explorer la possibilité de donner à nos invités le choix d’un entretien ménager ou pas pendant leur séjour.» 

Désirs, soupirs

Non, rien n’est plus exactement comme avant au rayon de l’expérience du voyage. Ne serait-ce que l’obligation de porter un masque tout au long d’une envolée… «Same, same, but different», diraient les Thaïlandais!

«Les barrières sanitaires tombent, c’est vrai, mais les exigences sont encore différentes d’un pays à l’autre», souligne Julien Passerini, cofondateur d’Explorateur Voyages, à Montréal. Il cite le Japon où, au moment d’écrire ces lignes, il n’est toujours pas possible de voyager autrement que dans le cadre d’un séjour de groupe.

Planifier ses visites et réserver son entrée au musée, et même son accès à certains sentiers de randonnée, sont des obligations qui sont nées en partie pendant la pandémie et qui semblent s’installer pour de bon. «Au Pérou, en Australie et en Nouvelle-Zélande, par exemple, des permis sont délivrés pour certains sentiers de randonnée populaires [une pratique prépandémique servant à réguler le surtourisme]; ailleurs, c’est moins réglementé, mais les voyageurs ont nettement tendance à réserver des billets pour leurs activités», dit M. Passerini. Adieu, spontanéité, alors? Oui et non: selon le sondage évoqué plus haut, on accepterait mieux les imprévus qu’autrefois. Conséquemment, dans l’impossibilité de faire une sortie en particulier, on se rabattrait plus facilement sur une autre.

Selon l’expert, on pourrait également être tentés de réitérer à l’étranger une habitude qu’on a prise lors de nos vacances et de nos escapades des deux dernières années au Québec, soit louer un hébergement et graviter autour: «J’ai l’impression qu’on reproduira ce modèle dans les grandes villes du monde.» 

Unsplash / Real Jensen

«Suivez le parapluie», c’est fini! Architecte des circuits que propose Explorateur Voyages, Julien Passerini est d’avis que les expéditions en petits groupes seront de plus en plus populaires au cours des prochaines années. Pourquoi? Primo, parce que leur impact environnemental et social est bien moindre que celui des grands groupes, et deuzio, parce que la qualité même de l’expérience est supérieure: «À 10 personnes, on mange dans un resto familial sympa et non dans un buffet.»

Partons, durablement!

Tout juste rentrée d’un voyage de six semaines en Angleterre et en Écosse, Sophie Roy planifie déjà ses prochains départs. À l’été 2023, après un séjour au Mexique – «ma sœur s’y marie!» – suivra sans doute un road trip aux États-Unis. À l’été 2024, c’est Hawaï et le Japon qui se profilent grâce «à une stratégie de cumul de points [des programmes de fidélisation et des cartes de crédit] que je peaufine». Qu’aura changé la pandémie dans les habitudes de voyage de sa famille? «On n’avait pas l’habitude de payer un produit plus cher afin d’avoir la possibilité de l’annuler à la dernière minute; maintenant, on y pense!»

Sabrina Melançon, elle, prévoit un voyage en Amérique du Sud au début de l’hiver prochain – non sans échafauder des plans B, C et D, un variant étant si vite arrivé…

La pandémie a fait d’elle une voyageuse plus prévoyante, mais elle l’aura aussi sensibilisée à un aspect du tourisme responsable: «J’apprécie davantage le privilège que j’ai de pouvoir explorer le monde, et le slow travel m’attire plus qu’avant.»

Jessica Hall Upchurch, vice-présidente et stratège du tourisme durable à Virtuoso, estime que la pandémie a entraîné un phénomène intéressant: «Elle a fait passer le tourisme durable à l’avant-plan dans les préoccupations des voyageurs, qui souhaitent maintenant donner plus de sens à leur vie et à leur manière de dépenser.» Vraiment?

Virtuoso, un regroupement global d’agents de voyages spécialisés dans le tourisme expérientiel haut de gamme, a mené une enquête à travers le Canada et les États-Unis en mai dernier. Il en est ressorti que le conscious comeback annoncé du tourisme se confirme, du moins chez les consommateurs les plus aisés. De fait, 80 % des répondants ont affirmé que la pandémie leur avait donné envie de voyager de façon plus responsable qu’auparavant et 75 % se sont dits prêts à payer davantage pour des prestations qui vont en ce sens, à la condition de savoir à quelles mesures durables leur argent sera destiné.

Unsplash / Traci Jenson

Tendance, les «luxpériences»…

Le radar de Virtuoso montre aussi que cet automne, les Canadiens hésitent encore à s’envoler au bout du monde et préfèrent bourlinguer ici, au pays, ou en Europe.

Chez Evelyne Mayrand, les clients s’intéressent d’ailleurs particulièrement à l’Ouest canadien, de même qu’à Chypre, à la Grèce, à l’Islande, à la Nouvelle-Zélande et aux expériences tout luxe. «Au Mexique, on recherche les petits hôtels-boutiques raffinés, comme La Casa de la Playa, à Playa del Carmen, qui a sa propre chocolaterie artisanale, dit la conseillère. En Italie, on souhaite maintenant découvrir la côte amalfitaine en Vespa; en Californie, c’est en montgolfière qu’on veut voir la vallée de Napa; quant aux croisières, on désire les faire sur de petits bateaux, voire des yachts, comme l’Azzurra, d’Emerald Cruises, qui ne compte que 50 cabines et dont le chef cuisinier s’approvisionne dans les marchés locaux pendant les escales.»

Amoureux de l’Afrique, Julien Passerini propose quant à lui une contrée où le risque de contracter le virus ou son variant est faible, mais où le risque de se reconnecter à son soi originel est élevé: la Zambie. «Peu connu au Québec, ce pays d’une beauté phénoménale est spectaculaire sur le plan de l’observation de la faune. Faire un safari À PIED, voir des animaux, camper et avoir le sentiment de faire partie de la savane, c’est une expérience à vivre une fois dans son existence.»

Soudain, j’ai comme une folle envie de rencontrer des éléphants. Pas vous? 

Unsplash / Ted Bryan

Trois grands courants à surveiller

Quelles tendances de tourisme se dessinent à l’horizon? Pour Pierre Bellerose, président du MT Lab, un incubateur montréalais de startups dans les domaines du tourisme, de la culture et du divertissement, nous assisterons surtout à une accélération des tendances qui se profilaient avant la pandémie:

L’essor du nomadisme numérique
«Les voyageurs allongeront la durée de leurs voyages pour y ajouter une composante de télétravail. C’est une niche qui prendra plus de place en raison du nouveau contexte professionnel.»

Une quête de bien-être
«La pandémie a été une épreuve: plusieurs se sont posé des questions existentielles, certains ont changé de métier, de ville ou de région. Comme ils auront besoin d’une pause, ils rechercheront d’abord des destinations “cocons”, ou alors ils voudront s’adonner à un tourisme de ressourcement.»

Une envie de vivre intensément maintenant
«Une autre catégorie de voyageurs souhaitera vivre davantage d’expériences riches en émotions fortes, parce que c’est un aspect du tourisme qui leur a manqué. C’est ce que j’appelle le phénomène d’intensification du volet expérientiel: se lancer un défi sportif ou se plonger dans une tournée des musées de Paris, par exemple. C’est lié au désir de vivre intensément maintenant, car on ne sait pas quand viendra la prochaine vague et on ignore si on sera en santé demain.» 

On s’informe ici et là:
Les exigences d’entrée des différents pays
Les avis du gouvernement canadien

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