Un conseil: prenez la route et roulez, roulez, roulez… Tout est si beau, ici!» me lance Erin Jeffrey, une artiste peintre rencontrée à Charlottetown, la capitale de l’Île-du-Prince-Édouard. La jeune femme, native de cette ville, pourrait sembler prêcher pour sa paroisse mais, comme elle a bourlingué du Mexique à la Corée avant de revenir s’installer sur sa terre d’origine, je fais confiance à son jugement. Toujours en quête d’argile aux nuances différentes à incorporer à sa peinture, elle «roule» beaucoup dans l’île. Façon de parler, bien sûr, puisque celle-ci ne mesure que 280 kilomètres d’est en ouest!

 De par sa superficie et sa population (138 000 habitants), «l’île douce », comme l’appelle l’office de tourisme local, est la plus petite des provinces canadiennes. Pas étonnant, donc, que le centre-ville de Charlottetown soit à peine plus grand que le… Centre Rockland! Ses trois rues et quart sur fond marin, bordées de magnifiques demeures aux briques rouges, n’en sont pas moins pimpantes.

La rue Great George est l’axe historique de la ville. Depuis la Province House, qui abrite l’Assemblée législative, elle dévale jusqu’au quai Peakes. C’est là que j’ai d’ailleurs rencontré Catherine O’Connor, originaire de la Mauricie. Elle incarnait une «dame de la Confédération» vêtue à la victorienne racontant à des touristes l’histoire de la naissance du Canada. Eh oui, c’est ici que s’est tenue en 1864 la première des conférences qui allait mener à la Confédération canadienne (que l’Île, alors colonie britannique, n’était pas pressée de joindre). Quant à Charlottetown, elle doit son nom à la reine Charlotte, épouse de George III, roi de Grande-Bretagne et d’Irlande, et mère du prince Édouard, qui a donné son nom à l’île en 1798.
TEMPO INSULAIRE

Qui dit île dit forcément une certaine langueur. Et il semble bien que le pont de la Confédération, qui relie depuis 12 ans l’Île-du-Prince-Édouard au Nouveau-Brunswick, n’ait en rien modifié son tempo modérato. Un exemple? À Charlottetown, un passant peut papoter avec un automobiliste arrêté à un feu rouge et poursuivre la conversation lorsque le feu passe au vert sans qu’un seul coup de klaxon retentisse. Essayons ça, pour voir, à Montréal, à l’angle des rues Peel et Sainte-Catherine!

Ce rythme, garant d’un style de vie paisible, est ici farouchement protégé. «Ce n’est que depuis 2007 que les magasins sont ouverts durant quelques heures le dimanche, et encore, ils ne le sont que du mois de mai à la période des Fêtes. Voilà qui est assez rare pour une destination touristique! » explique Robert Ferguson, responsable de la publicité pour Tourisme de l’Île-du-Prince-Édouard.

Selon lui, les Ontariens séjournent dans l’île pour s’adonner à des activités familiales, les Japonais y viennent en raison de leur engouement pour Anne (… La maison aux pignons verts), l’héroïne anticonformiste de la romancière Lucy Maud Montgomery. Quant aux Québécois, ils s’y rendent surtout pour profiter des plages et de la gastronomie.

En me dirigeant vers le nord de Charlottetown, du côté du parc national de l’Île-du-Prince-Édouard, je découvre une région agricole et champêtre totalement enchanteresse, composée de vallons verts, de prés fleuris, de vaches qui broutent, de hameaux groupés autour de blanches églises protestantes. Puis, le golfe du Saint-Laurent apparaît enfin. Je longe les dunes de sable rougeâtre qui font le renom de la destination et j’explore toutes les plages du parc, de Blooming Point à Cavendish, en passant par Brackley. La peintre Erin Jeffrey ne m’a pas menti. Sa plage préférée, celle de Dalvay, est comme je les aime: déserte. En arrière-plan, un manoir du 19e siècle où loge l’hôtel Dalvay-by-the-Sea (www.dalvaybythesea.com), discret mais très invitant à l’heure du thé.

Je décide de poursuivre mon étude comparative des plages en me rendant maintenant sur la côte est. Direction: le parc provincial de Basin Head et sa vaste étendue de sable blanc. Un promeneur s’approche soudain et me demande tout de go: «L’avez-vous entendu?» À mon air médusé, il précise: «Mais le sable, voyons!» Il paraîtrait que ses grains sont d’une rondeur si parfaite qu’ils chantent parfois sous nos pas… Serait-ce une légende rurale? Je n’en sais rien, mais qu’importe. Devant la beauté du panorama, je comprends pourquoi on chante tant les louanges de l’île.AU ROYAUME DES RICHARD

À l’ouest, c’est l’Acadie qui m’attend, terre des Richard, des Thériault et des Gallant. Je m’arrête d’abord à Summerside pour admirer les belles résidences victoriennes, construites au temps où ce patelin prospérait grâce au commerce de la fourrure du renard argenté. Je m’offre ensuite une halte au Musée acadien de l’Île-du-Prince-Édouard, à Miscouche (www.teleco.org/museeacadien). Selon l’employée qui m’accueille, seulement 5 % des insulaires parlent français. Au pays d’Évangéline (du nom de l’héroïne du poème d’Henry Wadsworth Longfellow), préserver sa langue natale est un combat quotidien.Et la dame de me raconter alors avec émotion, dans sa parlure aux accents bien ronds, l’épopée d’une famille de Summerside qui a dû se battre jusqu’en Cour suprême pour obtenir en 2000 l’établissement d’une école francophone dans la petite ville.

Les Acadiens sont les descendants des colons français venus s’établir en 1604 dans la région qui correspond aujourd’hui à la Nouvelle-Écosse. En 1720, plusieurs d’entre eux gagnent l’île du Prince-Édouard (alors appelée l’île Saint-Jean). Ils en sont ensuite  déportés lorsque les Anglais prennent possession de l’île en 1758 (soit trois ans après le début du Grand Dérangement qui frappe leurs frères et soeurs de NouvelleÉcosse).

Plus de 3000 habitants sont alors embarqués de force sur des navires à destination de la France et 1700 malheureux périssent en mer. Le Musée acadien raconte l’histoire de cette communauté, soulignant la fierté de sa survivance, comme en témoignent la multitude de drapeaux acadiens qui flottent au vent dans ce coin de pays.

C’est cependant sur sa côte sud que l’île me réserve sa plus belle surprise: Victoria-by-the-Sea, un hameau cerné de champs de pommes de terre et grand comme… l’aire de restauration du Centre Rockland! On y découvre quelques maisons de cèdre grisonnant, un ancien magasin général converti en chocolaterie, une boutique d’antiquités, le salon de thé de Mrs. Proffit et un resto de homard au bout d’un quai. On y trouve aussi la mer, la plage, la paix. L’essence même de «la douceur de l’île».

CARNET DE ROUTE

 BON TRAJET!
 De Montréal à Charlottetown, il faut compter environ 12 heures en voiture (1143 kilomètres) ou… 90 minutes en avion (www.flyjazz.ca).

 BONNE NUIT!
 The Great George (www.thegreatgeorge.com), à Charlottetown, est un hôtel-boutique historique de 55 chambres. Dans le salon victorien, qui était jadis un magasin général, le directeur accueille les hôtes tous les jours, le temps d’un cinq à six. Charming!

 BON APPÉTIT!
Mordues de fruits de mer, une surdose d’oméga-3 vous guette! À Charlottetown, le restaurant Flex Mussels (www.flexmussels.com) ne joue pas que sur les mots. Il propose des plats de moules originaux où, par exemple, les mollusques frayent avec des quartiers d’orange dans un bouillon au vin blanc.

À proximité de North Rustico, un village de carte postale, le café The Pearl (www.thepearlcafe.ca) sert un étonnant ravioli géant farci au homard.

À Margate, le Shipwright’s (shipwrightspei.com) est réputé pour sa chaudrée de fruits de mer, son agneau bio et sa tarte aux bleuets, une recette de la maman du chef, Calvin Burt.

Quant au glacier Cows (www.cows.ca), il est célèbre dans l’île pour sa crème glacée pas du tout diététique. ■

BON SHOPPING!
Dans la capitale, le Just Us Girls Fashion Café (www.justusgirls.ca) est le QG rose et vert pistache de divas en mal de martinis, de paninis et d’accessoires mode girly.

À Brackley Beach, The Dunes Studio Gallery (www.dunesgallery.com) présente les poteries, les toiles, les sculptures et les bijoux des artisans de la province. ■

BON FESTIVAL!
Du 18 au 20 septembre prochain, Charlottetown sera le théâtre du Shellfish Festival (www.peishellfish.com), «le plus gros party de cuisine de l’Est du Canada», assure-t-on. ■

BONNE VISITE!
 Plus d’information au 1 800 887-5453 ou au www.tourismpei.com.

 

 Au pays de la brocante