On l’a découvert avec Seul le silence, un roman à la fois terrifiant et bouleversant, traduit dans 23 langues et en cours d’adaptation pour le cinéma. Son féroce Vendetta lui a valu le Prix des libraires du Québec 2010 dans la catégorie roman étranger. Et voici que Roger Jon Ellory s’amène avec sa troisième oeuvre traduite en français, Les anonymes, hyper sanglante.

Ce qui distingue ses histoires de meurtres en série de celles d’autres auteurs, c’est l’émotion qu’elles provoquent. L’émotion qui monte, serre la gorge, nous submerge, tandis qu’on plonge dans la noirceur absolue de l’âme humaine. «J’écris d’abord avec mon coeur», précise le gaillard, de passage à Montréal. Il a les cheveux roux, du feu à la place des yeux. Et une verve du diable. «Ce qui m’importe, c’est ce que vous ressentez, ce dont vous vous souvenez lorsque vous avez fini un de mes livres, que vous l’avez mis de côté et que vous y repensez. Quelle émotion reste imprégnée en vous?»

C’est peu dire que R. J. Ellory est quelqu’un d’enflammé. Quelqu’un de déterminé, aussi. Il a écrit 22 romans – tous refusés par de nombreux éditeurs – avant de sortir de l’ombre. Morale de cette expérience, selon lui: «Si vous voulez avoir du succès en Grande-Bretagne comme auteur de polars, vous devez imaginer des récits qui se déroulent dans ce pays et concevoir des séries où reviennent continuellement les mêmes personnages. Mais si vous voulez vraiment vous rendre la vie difficile, si vous souhaitez vous battre, vous assurer que vous ne trouverez pas d’éditeur et que vous resterez dans la dèche, alors créez des intrigues qui se passent aux États-Unis, et dans lesquelles il n’y a pas de personnages récurrents.»

 

Car c’est l’autre trait distinctif des récits de ce British: leur action se situe toujours en Amérique. Seul le silence nous transporte dans un petit village de l’État de Géorgie, où sévit un meurtrier s’en prenant à d’innocentes petites filles. Et Vendetta nous confronte aux confessions d’un ignoble tueur à gages, – avec, pour toile de fond, l’histoire des 50 dernières années de la mafia aux États-Unis. Dans Les anonymes, l’auteur enfonce le clou et s’attaque à ce qui apparaît comme la plus puissante des mafias, la CIA. Il s’interroge notamment sur le rôle de cette dernière pendant les années Reagan et au cours de la guerre au Nicaragua, financée par le trafic d’armes et de drogue.

Dans tous les cas, les ouvrages de R. J. Ellory sont hyper documentés. Bien que l’auteur ne fasse pas de plan rigoureux (il ignore parfois quel personnage sera le meurtrier jusqu’au moment de clore le récit, comme c’était le cas pour Seul le silence), il procède toujours de la même façon. Il commence par déterminer le lieu de l’action et l’époque à laquelle celle-ci se déroule. Il plante son décor, ce qui lui permet de préciser le contexte social, culturel et politique dans lequel vont évoluer ses personnages. Ensuite vient le moment d’imaginer les meurtres.

Raconter des histoires qui se passent dans son propre pays ne lui vient même pas à l’esprit. «L’Angleterre a peut-être été puissante sur le plan politique, mais l’utiliser comme toile de fond pour mes livres, ça ne présente pas vraiment d’intérêt. Pourquoi mettre en scène des policiers anglais, dans des villages de campagne anglaise, alors qu’ils ne peuvent tuer personne? Ils n’ont même pas de guns!»

R. J. Ellory, né à Birmingham (une ville industrielle du centre de l’Angleterre), a grandi en se nourrissant de romans et de films américains, auprès de sa grand-mère maternelle. C’est elle qui l’a élevé. Il n’a jamais connu son père, qui a déserté le foyer familial avant sa naissance. Et sa mère est morte d’une pneumonie alors qu’il avait sept ans. La majeure partie de son enfance, en fait, il l’a passée dans des pensionnats. Tout comme son frère aîné, dont il a été séparé jusqu’à l’âge de 16 ans. «Ma grand-mère était veuve – il n’y avait pas d’homme à la maison – et elle n’était pas très en forme physiquement. » Quand la dame est morte d’une crise cardiaque, les deux frères se sont retrouvés seuls dans la demeure. «Nous avions toujours évolué dans des milieux très stricts, où nous étions soumis à une discipline rigoureuse. Soudain, il n’y avait plus personne pour nous dire quoi faire.»

Comme ils n’avaient pas d’argent, l’électricité a fini par être coupée. Ça ne les a pas empêchés de faire des partys monstres qui duraient plusieurs jours. Les voisins se sont plaints à la police. Rien n’y faisait, les deux frères s’amusaient, buvaient, expérimentaient toutes sortes de drogues. Ils s’éclataient, quoi. Un jour qu’ils étaient affamés, ils sont allés voler des poulets dans une ferme tenue par des moines. Ils ont fini par se faire pincer et ont été condamnés à trois mois de prison. R. J. Ellory avait 17 ans. «Les gardiens ont pris mon manteau, m’ont coupé les cheveux, m’ont enfermé dans une pièce ne contenant qu’un lit et une chaise fixés au sol; il n’y avait pas de fenêtre, c’était tout petit. Ils glissaient ma nourriture par un trou dans la porte, et quand ils me parlaient, j’étais un numéro: le 4701.» Il conclut: «C’est la meilleure chose qui me soit arrivée. Ça m’a secoué.» Il a repris ses études, a suivi une spécialisation en thérapie. «J’ai passé 32 ans à travailler avec des personnes ayant des problèmes de drogue et d’alcool.»

C’est à 22 ans que R. J. Ellory s’est mis à l’écriture. «Avant ça, je savais que je voulais m’orienter vers la création, mais j’ignorais dans quelle branche exactement. J’ai tout essayé.» Il avait commencé, tout petit, par s’initier à la danse. «Ma grand-mère était professeure de ballet; j’en ai fait jusqu’à l’âge de 12 ans.» Il a ensuite étudié la musique pendant huit ans. Sa spécialité: la trompette. «J’ai joué avec le National Youth Jazz Orchestra et je me suis produit devant la reine avec le Royal Philharmonic Orchestra. » Il a aussi fait office de guitariste dans un groupe de musique rock, The Manta Rays. Il a de plus étudié la photographie, suivi des cours de design, de graphisme, de peinture… «J’étais plutôt doué dans ces domaines, mais pas assez pour y entreprendre une carrière.»

Puis, en 1987, alors qu’il suivait une énième formation, il a rencontré un type qui passait son temps à lire: il semblait littéralement accroché à son livre, matin, midi et soir. Il ne parlait à personne. «Je lui ai demandé ce qu’il lisait. C’était It, de Stephen King. Il m’a dit que c’était le bouquin le plus incroyable, le plus fascinant, le plus fantastique à avoir jamais été écrit. J’ai alors trouvé ma vocation: écrire un roman comme celui-là.» La nuit suivante, R. J. Ellory s’y est mis. «J’ai accouché de 22 ouvrages en six ans.» Pendant ces années, il a noirci des pages sans discontinuer… sauf durant les trois journées qu’il a consacrées à divorcer de sa première femme, tel que précisé sur son site Internet.

Après le 11 septembre…

À la suite des refus répétés des éditeurs auxquels il soumettait ses oeuvres, il a fini par laisser tomber son rêve de devenir romancier. Pendant un temps. Jusqu’en septembre 2001. «Le lendemain des attentats, je me suis dit: « OK. Hier, des milliers de personnes sont allées au travail. Elles étaient amoureuses, avaient des amis, des enfants, elles avaient sans doute des projets pour la fin de semaine, et elles ne sont pas rentrées à la maison. Combien d’entre elles auraient pu dire, honnêtement, qu’elles avaient mené leur existence comme elles l’avaient voulu? »»

Son premier ouvrage est paru en 2003. Il en a publié sept autres depuis, vendus à près d’un million d’exemplaires dans le monde. Entretemps, il s’est remarié, a eu un fils. Quand il n’est pas en tournée pour rencontrer ses lecteurs en Angleterre ou à l’étranger, R. J. Ellory est du genre à s’enchaîner à sa table de travail. Il lui arrive à l’occasion, pour faire diversion, de cuisiner, de recevoir des amis à la maison. Et puis, il s’est remis à la musique et envisage même de se produire bientôt en concert. Pour le reste, quand il se lance dans la composition d’un roman, il a tendance à faire le vide autour de lui. Il devient tellement obsédé par les récits qu’il couche sur le papier que sa femme en vient à craindre pour sa santé mentale. «Quand j’ai écrit The Anniversary Man, paru en 2009, elle a vraiment cru que j’allais devenir fou.»

Pour ce livre racontant l’histoire d’un tueur dont les meurtres sont des copies de crimes célèbres, il a visionné des tonnes d’entrevues avec des personnes détraquées, a lu des masses de bouquins déments et épluché des piles de rapports de police accablants. «C’était un voyage très, très noir. J’étais plongé là-dedans jusqu’au cou, j’écrivais comme un forcené. Au bout de cinq semaines, ma femme m’a dit: « Arrête, tu ne dors presque plus et tu parles dans ton sommeil; tu es irritable, agité, tu t’investis trop dans ce projet… »»  

Il faut dire qu’il laisse une partie de lui-même dans chacune de ses oeuvres. Et chaque fois qu’il en termine une, il vit une sorte d’arrachement. «Mettre le point final à un livre, c’est comme amener son enfant dans la cour et lui tirer une balle», lance-t-il en paraphrasant une de ses idoles, l’écrivain américain Truman Capote, à qui il a dédié Seul le silence.

Mais la solution miracle existe, et R. J. Ellory l’a trouvée. Il lui suffit, sitôt qu’un roman est achevé, d’en commencer un autre… quand il n’en mène pas tout simplement deux de front. C’est devenu sa drogue à lui. «Je veux faire ça toute ma vie. Je veux écrire 50 ou 60 livres. Comme ça, je pourrai me dire que j’ai vraiment fait ce que je voulais de mon existence.»

À lire absolument!

Voici les trois romans de R. J. Ellory qui ont été publiés en français jusqu’à maintenant:

  • Seul le silence, récipiendaire du Prix du roman noir Nouvel Observateur (2009);
  • Vendetta, lauréat du Prix des libraires, catégorie Roman hors Québec (2010);
  • Les anonymes, qui paraîtra à la mi-novembre.

L’écrivain bien-aimé a livré ses impressions sur le Québec après être venu chercher son prix. On peut lire le compterendu qu’il a fait de son séjour chez nous sur son blogue rjellory.blogspot.com (texte du 10 juin 2010).

Tous les romans de l’auteur traduits en français sont parus aux Éditions Sonatine.

 

 

À LIRE: Trois questions à Georges-Hébert Germain