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Livres: scandale et hémorroïdes
Le bestseller de Charlotte Roche, Zones humides, dans lequel l’héroïne se parfume avec ses sécrétions vaginales, pose une question fondamentale: quel rapport entretenons-nous avec notre corps?
par : Violaine Charest-Sigouin- 16 août 2009
Hélène Memel, 18 ans, la narratrice de Zones humides (Anabet), est clouée à un lit d’hôpital: elle s’est fissuré l’anus en se rasant, ce qui a provoqué de l’inflammation et des douleurs si atroces qu’elle a dû être opérée d’urgence. Manque de pot, elle avait déjà, dans cette zone sensible, des hémorroïdes florissantes – son «chou-fleur», comme elle l’appelle affectueusement.
Pendant sa convalescence, elle nous raconte, avec force détails, les habitudes qu’elle a prises avec son corps: pour séduire les garçons, elle applique ses sécrétions vaginales en guise de parfum, ou encore elle y goûte, comme elle le fait pour de nombreux fluides, que ce soit son propre sang, le pus extirpé de ses boutons ou même le vomi d’une copine… «La diffusion des bactéries est mon passe-temps favori», affirme candidement Hélène, qui, d’ailleurs, ne manque pas de laisser sa trace chaque fois qu’elle visite une toilette publique… et pas seulement dans la cuvette. «Quand je pose ma chatte sur la lunette, j’entends un joli bruit de baiser mouillé, et j’absorbe tout ce que les autres ont laissé, que ce soient les poils, des taches ou des flaques de couleurs et de consistances diverses.»
Ce préambule vous dégoûte-t-il au point de cesser la lecture du présent article ou, au contraire, vous rend-il impatiente de vous procurer le récit? Lorsqu’on sait que ce brûlot s’est vendu à plus d’un million et demi d’exemplaires dans le monde, on serait tentées de croire que la curiosité l’emporte sur le dégoût.
ODEUR DE SCANDALE
Publié il y a plus d’un an sous le titre original de Feuchtgebiete, Zones humides a créé un véritable raz-demarée en Allemagne. Son auteure, Charlotte Roche, une Germano- Britannique de 31 ans vivant à Cologne et ayant une fillette de sept ans, s’est fait connaître en présentant son joli minois à la chaîne de télé allemande Viva (l’équivalent de MusiquePlus). La célébrité de l’ancienne animatrice a certainement contribué au succès du livre. La déclaration de l’éditeur selon laquelle ce roman est autobiographique à 70 % aussi.
Est-ce vraiment une autobiographie? Rien n’est moins sûr, car Charlotte Roche affirme être beaucoup trop coincée pour se risquer à pratiquer toute la gymnastique de son héroïne. Elle est cependant suffisamment à l’aise pour se prêter à des lectures publiques… au cours desquelles des femmes auraient tourné de l’œil en entendant des passages croustillants. L’auteure s’est certes attirée une horde de fans hautement intéressés par les réflexions d’Hélène Memel sur l’hygiène de sa chatte, mais elle a aussi suscité une vive controverse.
De nombreux lecteurs ont qualifié son livre de ramassis d’obscénités – l’un d’entre eux, scandalisé, aurait même retourné son exemplaire à l’éditeur après avoir déféqué dedans –, tandis que d’autres ont plutôt vu en Charlotte Roche la porte-parole d’un féminisme nouveau genre.
La principale intéressée affirme avoir d’abord voulu écrire un pamphlet destiné à réconcilier les jeunes filles avec leur physique, mais que ce pamphlet se serait peu à peu transformé en roman. «De nombreuses femmes ont une relation perturbée à leur corps, déclare-t-elle. Nous sommes obsédées par notre propreté, par le besoin de nous débarrasser de nos sécrétions naturelles et de nos poils. Je voulais donc écrire sur les parties laides du corps humain.»
Pure provocation, coup de marketing ou dénonciation de l’hyperhygiénisme de notre société? Quoi qu’on en pense, Zones humides a réussi l’exploit d’être le premier roman allemand à se hisser au haut du palmarès des meilleurs vendeurs d’amazon.com, et ses droits ont été vendus dans au moins 27 pays. Au-delà du tapage médiatique qu’elle a causé, Charlotte Roche a mis le doigt sur quelque chose: ne menons-nous pas une constante bataille pour dominer les différentes trahisons de notre corps? Ne sommes-nous pas obsédées par l’hygiène?