C’est voilà cinq ans, tandis qu’on était coincés à trois autour d’une petite table pour deux au restaurant Maison Publique, sur Le Plateau-Mont-Royal, que j’ai découvert le nirvana de l’huître gratinée au four. Le chef, Derek Dammann, y proposait sa version à la marmite, une pâte à tartiner british improbable, à base de levure d’extraits de bière. D’abord réticent, fiston (11 ans) a finalement englouti la belle, si bien que nous avons dû en commander deux autres pour les adultes à table. La passion de l’huître venait d’enflammer notre petite famille et n’allait jamais se démentir.

Il faut dire que le monde gastronomique se divise en deux clans: les amoureux des huîtres et les autres. Ce mollusque représente l’un des rares produits de la mer que l’on savoure… vivant. Pour plusieurs, la barre est trop haute. Ils refusent d’en manger ou l’engloutissent en entier, d’un coup, sans mâcher. Or, les huîtres sont l’expression de leur terroir, ou «merroir», et possèdent des arômes très distincts que l’on ne peut savourer qu’en les croquant pour en libérer toutes les saveurs.

«Chaque huître boit et filtre environ 50 gallons d’eau par jour; alors, ce sont les algues environnantes, la qualité de l’eau dans la baie d’origine, sa salinité, la température saisonnière et même la vitesse du courant qui vont donner un goût très différent d’une variété et d’un lit d’huîtres à un autre», explique Daniel Notkin. Cet «huîtrologue» montréalais et l’âme dirigeante du festival Montreal Oysterfest, en pause depuis la pandémie, est une sommité mondiale et l’un des tenants en titre du record Guinness pour le plus grand nombre d’huîtres ouvertes en une heure par une équipe de 10 écailleurs (soit 8000 huîtres, pour la petite histoire). 

Voilà pourquoi certaines variétés de ce coquillage tant apprécié peuvent, tout comme le vin, connaître de piètres années quand les conditions d’élevage se détériorent, à cause du climat, notamment. Dans ce cas, un bon poissonnier, au fait des arrivages, s’avérera une ressource précieuse.

Mythes et huîtres

L’huître, l’un des musts de la table à Noël, est liée à quelques mythes tenaces. On la dit aphrodisiaque depuis très longtemps: les empereurs romains en faisaient le menu de leurs orgies et Casanova les dévorait supposément à la douzaine avant ses ébats. Ce pouvoir romantique n’étant pas scientifiquement prouvé, parions que les bulles qui accompagnent souvent les huîtres contribuent à créer le mood ambiant.

La croyance voulant qu’elles soient meilleures durant les mois en «bre», c’est-à-dire de septembre à décembre, a la vie dure. Toujours selon Daniel Notkin, «ça demeure un peu vrai, mais pas tant que ça. Ça remonte à l’Italie des années 1800-1900, une époque où il n’y avait pas de transport réfrigéré en été; donc, les huîtres en prenaient un coup. De plus, l’Europe a des variétés différentes d’ici, comme des huîtres plates, qui se reproduisent dans la coquille; alors, en août, les gens croquaient dans les bébés, à l’intérieur. Ce n’était pas dangereux, parce que leurs petites coquilles sont faites de calcium, mais ce n’était pas nécessairement agréable sous la dent.»

Depuis, l’ostréiculture, c’est-à-dire l’élevage des huîtres à des fins commerciales, a changé la donne. «Les méthodes d’élevage se sont beaucoup améliorées et les poissonniers ont accès à d’excellentes huîtres à longueur d’année», fait remarquer Alexander Meletakos, de la Poissonnerie La Mer, à Montréal. Cette adresse prisée des connaisseurs peut proposer jusqu’à 30 sortes d’huîtres selon la saison. Cela dit, il confirme que les huîtres sont effectivement plus «laiteuses» en été, un profil gustatif qui plaît moins à certains.

Des goûts et des variétés

Malpèque, BeauSoleil, Raspberry Point, Kumamoto, Chebooktook… Les huîtres canadiennes vendues dans les poissonneries et les épiceries portent différents noms selon le lieu de la pêche ou de l’élevage, mais elles appartiennent essentiellement à deux espèces de Crassostrea: la Virginica de l’océan Atlantique et la Gigas du côté du Pacifique. Le Québec reçoit peu d’huîtres en importation, sauf celles des côtes américaines, plus quelques huîtres françaises autour de Noël, à l’intention des expatriés nostalgiques de la Gillardeau, de la Perle noire de Cadoret et de l’Hexagone. On ne s’en plaindra pas, car les huîtres canadiennes sont très recherchées et jouissent d’une réputation mondiale pour l’excellence de leur goût frais, iodé et salin.

L’accord est servi

Pour un accord festif, bonne nouvelle, les huîtres sont plutôt conciliantes. «C’est plus difficile de rater que de réussir un accord avec les huîtres», nous apprend Hugo Duchesne, directeur de la sommellerie chez Hoogan et Beaufort et Meilleur sommelier du Québec en 2020. L’huître est délicate, mais «elle demeure envahissante aromatiquement», donc mieux vaut des vins simples et vifs ayant une bonne acidité, et non des crus floraux ou fruités, qui créent une confusion aromatique. Nul besoin de casser sa tirelire pour se procurer un grand millésime, puisqu’un cru qui vieillit perd de cette acidité précieuse à l’accord.

Même son de cloche chez la sommelière Élyse Lambert, Master Sommelier et consultante auprès du Ritz-Carlton de Toronto, qui affectionne particulièrement les huîtres. «L’accord qui va fonctionner le mieux est un accord miroir, donc frais, élégant, salin comme un muscadet ou un chablis premier cru. J’aime beaucoup la précision de la maison William Fèvre en ce moment. Sinon, Domaine Laroche fait aussi de très belles choses.» Vous êtes fan de bulles? Allez-y avec des champagnes bruts et extrabruts. «Je pense à ceux de Pascal Doquet et de Pierre Gerbais», conseille la sommelière.

Il faut savoir que la garniture aura une influence importante; les vins ne s’harmonisant pas avec une mignonnette trop vinaigrée. Élyse Lambert aime bien les vins québécois comme l’Orpailleur, exceptionnel cette année, et le William, du Vignoble Rivière du Chêne. «J’ai récemment goûté un accord grandiose avec une huître gratinée et un champagne Bollinger!» Il faudra par contre consentir plus d’une centaine de dollars la bouteille, une vraie gâterie du temps des fêtes.

Enfin, si on a envie de sortir des sentiers battus, «un saké de type Junmai ou Daiginjo n’est pas bête comme choix», reconnaît Hugo Duchesne. Même si la tendance actuelle est de servir nos huîtres avec un spiritueux comme un whisky Single Malt, il considère que «l’idée est cool et meilleure que le résultat». Selon lui, le seul accord convaincant viendrait d’un gin québécois, servi bien glacé pour calmer l’alcool, comme celui de La Société secrète et le Radoune. Un accord 100 % local, on aime.

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Nos bonnes adresses

Les chefs québécois ont le doigté avec les huîtres et savent les servir dans les règles de l’art. Voici de bonnes adresses d’ici où notre équipe a connu des soirées magiques, plus quelques suggestions pour les globetrotteurs gourmands.

CANADA
Montréal: Le Filet, Le Serpent, Joe Beef, Majestique, Maestro SVP et Pub Saint Pierre (filon écono)
Québec: Chez Rioux & Pettigrew
Îles-de-la-Madeleine: Gourmande de nature
Toronto: Rodney’s Oyster House
Île-du-Prince-Édouard: Sims Corner Steakhouse & Oyster Bar

ÉTATS-UNIS
Chicago: Shaw’s Crab House
San Francisco: Hog Island Oyster
New York: Grand Central Oyster Bar
Boston: Neptune Oyster
Nouvelle-Orléans: Drago’s Seafood Restaurant 

EUROPE
Londres: Bentley’s Oyster Bar & Grill
Irlande: Morans Oyster Cottage
Paris: Clamato  

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