Quand j’ai annoncé à Chéri qu’on allait passer un mois avec Jamie Oliver, il a d’abord voulu savoir pourquoi on avait besoin d’un nouveau coloc et où on allait le mettre. «Dans la cuisine, bien entendu! Il faut qu’on puisse s’en servir facilement», ai-je répondu, confuse. Il existait apparemment encore une personne qui ne connaissait pas Jamie, malgré les millions de livres qu’il a vendus, et c’était mon amoureux! Le pauvre allait bientôt connaître ce célébrissime jeune chef anglais – ou du moins, sa cuisine – sous toutes les coutures.

C’est que j’avais décidé de préparer une recette signée Jamie Oliver tous les jours durant un mois. Il faut dire qu’à ce momentlà, Chéri et moi, quoique doués en cuisine, on ne mettait pas souvent notre talent en pratique. Pour moi, apporter une boîte à lunch au bureau était l’équivalent de porter des bas de nylon couleur chair (des trucs aussi pratiques que peu sexys), tandis que pour lui, faire l’épicerie était aussi alléchant que passer l’aspirateur («quelque chose que tu fais quand t’as vraiment, vraiment rien d’autre à faire»). Résultat: notre frigo était vide, et notre pain quotidien se composait souvent de… eh bien, de pain, avec deux ou trois bouts de fromage ou de salami dessus.

Pour mettre ma nouvelle résolution à l’épreuve, j’ai assommé mon mec les soirs suivants avec une débauche de victuailles fraîches, telle qu’on n’en avait pas vue depuis les derniers soupers chez nos mères respectives. Je me suis lancée à la conquête de son estomac en préparant un délicieux boeuf grésillant à la sauce à la lime, à la coriandre et aux fèves noires. J’ai marqué des points avec des taglierinis à la sauce aux tomates et aux crevettes, arrosés d’un trait de cognac, et je l’ai franchement séduit en lui servant un thon grillé aux asperges, accompagné d’une vinaigrette au basilic, au chili et au citron.

 Au début, Chéri s’est montré docile, très satisfait de ces changements dans son régime. Les premiers troubles ont éclaté quand il a découvert que je régnais sur la cuisine en despote. «Pas question! ai-je rugi un soir quand il a fait mine de vouloir préparer une recette de son cru et non de celui de Jamie. Ces ingrédients sont là pour la recette de la page 131, et on ne les utilisera pas pour autre chose!» Les choses ne se sont pas arrangées quand la recette de la page 131 – un potage aux patates douces et au chorizo – s’est avérée un ratage monumental. La soupe sur la photo avait l’air riche et savoureuse, mais le truc dans nos assiettes était une fadasse bouillie brunâtre où flottaient de microscopiques morceaux de saucisse passés au robot culinaire. «Une soupe? T’as raté une soupe?» s’est indigné Chéri, tandis que j’accusais Jamie, en mon for intérieur, de m’avoir abandonnée.

Notre relation bien huilée, à Jamie et à moi, a connu une seconde épreuve au bout de 15 jours, un soir de semaine, lorsque ma paresse naturelle a bien failli prendre le dessus sur mes velléités culinaires. J’avais décidé de m’attaquer à une soupe d’amandes au pain et à l’ail, mais, lorsque j’ai ouvert le congélateur, une pizza surgelée s’est mise instantanément à me faire de l’oeil. Mon mois avec Jamie avait démarré sur les chapeaux de roues: au début, enthousiasmée par la nouveauté, je préparais vraiment une nouvelle recette tous les soirs. Mais là, je n’en pouvais plus: j’avais faim, il était tard, et la pizza surgelée me faisait saliver d’envie. Ce soir-là, j’ai réussi à résister en songeant à tout le mal que Jamie avait à convaincre les Américains de manger sainement dans sa nouvelle émission de téléréalité. Ce n’était pas le moment de l’abandonner! J’ai donc fini de préparer cette satanée soupe vers 22 h (sans la rater, cette fois), et, même si j’étais trop fatiguée pour la manger, j’ai eu l’impression d’avoir remporté une bataille décisive.

«J’en peux plus! C’est Jamie ou moi!» s’est exclamé Chéri quelques jours plus tard. «T’as vu ma bedaine? Je n’ai jamais eu autant de ventre! C’est la faute de ses gros plats en sauce!» «Pas vrai, ai-je répondu pour tenter de désamorcer la crise. Tu n’as pas de bedaine, chéri, à peine quelques poignées d’amour dans le dos.»
Eeeeech. Ça ne marchait pas bien, ma technique, pas bien du tout… Pour le salut de mon couple, j’ai tenu tous les livres de Jamie fermés pendant quelques jours. J’étais presque décidée à abandonner l’expérience lorsque ma collègue Kenza m’a lancé une bouée de sauvetage: «Ce ne sont pas toutes les recettes de Jamie qui sont trop lourdes; ce sont seulement celles que tu choisis. Il y a aussi plein de repas légers dans ses livres!» Elle avait raison… Elle avait raison! J’étais euphorique. Chéri et moi, on a fait la paix au-dessus d’une salade légère et d’un poisson vapeur, en nous regardant amoureusement dans les yeux.

Depuis cette expérience, on est sans l’ombre d’un doute plus gras (recettes légères ou pas), un peu moins riches (un frigo plein, ça coûte des sous!), mais aussi beaucoup plus inspirés côté cuisine. L’autre jour, j’ai même eu la certitude d’avoir réussi à réconcilier les deux hommes de ma vie. «J’ai acheté un livre de Jamie Oliver, m’a annoncé Chéri au téléphone, comme si de rien n’était. C’est une encyclopédie, ça s’appelle Cook. Tu ne l’avais pas encore, celui-là, n’est-ce pas?» L’air désinvolte, j’ai répondu que non, je ne l’avais pas. J’ai vraiment le triomphe modeste.

 

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