Coldplay reporte sa tournée mondiale pour des raisons environnementales. La chanteuse Billie Eilish bannit le plastique jetable de ses spectacles. Le groupe britannique Massive Attack troque les routes bétonnées contre les chemins de fer lors de sa première tournée européenne.

Inquiets des conséquences de leurs activités sur la planète, de nombreux artistes réajustent le tir pour mieux affirmer leurs convictions écologiques.

C’est un important cheval de bataille, la tournée: chauffage et climatisation des salles, déplacements du public pour un concert, transport des instruments, du matériel technique et de l’équipe de ville en ville… Le bilan qu’on voudrait vert passe vite au rouge.

Laurence Lafond-Beaulne, de Milk & Bone, a d’ailleurs ressenti un profond malaise quand elle a constaté, après ses spectacles, la mer de bouteilles jetées qui s’était formée: «Mes valeurs n’étaient pas en adéquation avec mes gestes. Je ne pouvais pas arrêter les grosses pétrolières, mais je pouvais changer les mentalités. Et le milieu que je connais, c’est la tournée.»

Avec Aurore Courtieux-Boinot et Caroline Voyer, deux sommités en environnement, elle a fondé l’organisme Artistes citoyens en tournée (ACT). Leur objectif ? Encourager des pratiques plus écoresponsables, allant du ravitaillement végétarien au plan d’éclairage DEL, en passant par la compensation des émissions de GES. Chacun s’engage à la hauteur de ses moyens.

«Ça reste un business difficile, dit Laurence. Si on devient trop exigeant ou moralisateur, on va en perdre plus qu’on va en gagner. L’important, c’est d’avancer.»

Et ça avance! Depuis son lancement, en mai 2017, la démarche ne cesse de recruter de nouveaux adeptes – Charlotte Cardin, Ariane Moffatt, Beyries, Klô Pelgag, Koriass, Les Sœurs Boulay, Safia Nolin, Émile Bilodeau…

De son côté, Korine Côté est la première humoriste à pouvoir se targuer d’avoir une tournée certifiée verte par l’organisme ACT: «Je suivais déjà plusieurs de ses recommandations. Je suis pas mal verte à la base. Je traîne toujours ma gourde et mes ustensiles, je trimballe même mes contenants pour conserver les restes de sandwichs et de crudités, et tout mon décor de scène entre dans un sac!»

Un nouveau refrain

Les Cowboys Fringants défendaient la planète bien avant que la cause ne soit sur tous les radars. Depuis 2006, pour chaque billet vendu, un dollar est investi dans la plantation d’arbres par le truchement de leur fondation éponyme.

En octobre dernier, le groupe décide de passer au niveau supérieur: «En 15 ans d’engagement, on a développé un vaste réseau de collaborateurs scientifiques, dit Jérôme Dupras, le bassiste du groupe et chercheur en sciences naturelles. Avec Artistes pour le climat [une initiative de la fondation], on veut mettre cette expérience à profit, aider d’autres artistes qui veulent s’engager et investir dans des projets qui font une différence.»

Même son de cloche chez les musiciens de Qualité Motel, qui organisaient l’été dernier une première tournée en voilier, de Charlevoix à la Gaspésie. Seulement trois spectacles étaient au programme, car ils voulaient tester cette formule inédite, sans déchets ni émission de gaz à effet de serre.

«On souhaitait avoir une approche rassembleuse, donner un sens nouveau à ce qu’on fait, explique François-Simon Déziel, alias France. En lui-même, le trip a été fabuleux. On a exploré le fleuve sous un autre angle, joué sur des buttes de sable accessibles seulement à marée basse!»

Aucun billet n’est vendu pour ces spectacles. L’objectif est de susciter des réactions, de parler d’environnement dans un cadre positif, à mille lieues des discours apocalyptiques.

«Quand on est sur l’eau, notre rap- port de force avec la nature est plus égalitaire, dit France. On oublie la productivité, on s’interroge sur notre rythme de vie, on est forcés de ralentir. L’été prochain, on ira un peu plus loin, mais on se laissera plus de “lousse” entre les spectacles.»

La déesse verte

D’ici trois ans, le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec espère obtenir la certification des plateaux de tournage verts de l’association des producteurs hollywoodiens.

Mais déjà, les choses bougent… Appuyé par le comité scientifique du Pacte pour la transition, le film La déesse des mouches à feu veut poser les premières balises en matière de tournage québécois écoresponsable.

«J’étais à un moment de ma vie où je remettais en question mon rôle dans la société, explique la réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette. Je sais écrire, je sais faire des films, mais est-ce pertinent dans un monde où il y a déjà tant de mots et d’images? Je croyais profondément en ce film, et je me suis dit “pourquoi ne pas en profiter pour faire du cinéma différemment?”»

Dès le début du projet, le producteur appuie l’impulsion verte d’Anaïs. À chaque réunion, on rappelle le virage écologique aux différents services – décors, costumes, transport, cantine… «Un plateau de tournage, c’est une microsociété, dit Anaïs. L’engagement de tous les secteurs est nécessaire.»

Les costumes proviennent donc de friperies. La cantine propose des menus biologiques, végétariens et végétaliens. Tous les restes des repas sont offerts à des organismes comme Moisson Montréal. Et pour éviter que la quarantaine de figurants se rendent chacun dans leur voiture sur le lieu du tournage, on leur donne rendez-vous à une station de métro, où des autobus les attendent.

Chaque jour, une brigade du Conseil québécois des événements écoresponsables visite le plateau et propose des améliorations.

Le défi est immense, et les imprévus sont nombreux: «L’écologie est la première chose qui serait tombée si je ne l’avais pas protégée», fait remarquer Anaïs. Pour limiter les voyages en avion, la réalisatrice ne sera pas de tous les festivals internationaux qui présenteront son œuvre, un deuil qu’elle juge nécessaire: «On est passé de l’ère de la liberté à l’ère de la responsabilité. Et ça n’a pas besoin d’être plate! La responsabilité peut être porteuse de fierté.»

Changement de décor

Chaque année, plus de 30 000 tonnes de décors de cinéma, de télévision et de théâtre finissent dans des sites d’enfouissement. Une situation inadmissible aux yeux de la comédienne et metteuse en scène Anne-Catherine Lebeau. Avec trois complices, elle a fondé Ecosceno, un organisme qui récupère les décors pour mieux les remettre en circulation.

Depuis le début de son projet- pilote, en septembre 2019, l’organisme a trouvé une seconde vie à plus de 36 tonnes de matériaux, soit l’équivalent de 1000 arbres qui auraient été plantés ilya10ans.

«Est-ce que ça a encore du sens, en 2020, que des matériaux qui ont voyagé de la Malaisie au Québec finissent dans des bennes à ordures quelques mois plus tard? Non! Il ne suffit plus de compenser les gaz à effet de serre que nous produisons, affirme Anne-Catherine Lebeau. Il faut agir à la source, installer un nouvel écosystème.»

En visitant le nouvel entrepôt de l’organisme, les scénographes peuvent créer à partir des matériaux offerts, au lieu d’utiliser des matériaux neufs. Les décors de l’émission jeunesse Les Sapiens, par exemple, ont été complètement démantelés, puis redistribués – un œuf de dinosaure a été remis à une école, un mobilier préhistorique en styromousse à un parc d’attractions, 30 tonnes de sable à une ferme biologique… Au final, 95 % du décor a été recyclé!

Solidaire pour l’avenir

Cette conscience écologique influencera- t-elle le visage de la culture telle qu’on la connaît aujourd’hui? Corinne Gendron, sociologue spécialisée en développement durable, en est convaincue: «Les enjeux écologiques influencent les artistes dans la pratique de leur métier, comme ils influencent les gens dans tous les secteurs de la société. Chaque étape est remise en question: la sélection des matériaux, l’éclairage, la logistique, l’utilisation de nouveaux médias… Les changements sont inévitables.»

Inévitables, on veut bien. Mais les tournées seront-elles appelées à disparaître carrément? Pas selon Laurence Lafond-Beaulne, de Milk & Bone: «Le spectacle, c’est d’abord une rencontre. Ça m’attristerait que ce contact humain n’existe plus.» Pour sa part, Anaïs Barbeau-Lavalette déplore que les coûts additionnels liés aux projets verts soient retranchés du maigre budget des productions québécoises: «Il existe des certifications pour les immeubles écoresponsables. Elles viennent avec une aide gouvernementale, des subventions, un sentiment de fierté. Pourquoi ne pas offrir la même chose en culture?»

Oui, poser des gestes individuels. Oui, prêcher par l’exemple. Mais aussi, utilisons la courroie du collectif pour engendrer un mouvement de société sur tous les fronts. Et le pouvoir de rassembler, n’est-ce pas une grande force de la culture?

Des chiffres qui choquent

La production d’un épisode d’une série télévisée émet en moyenne autant de GES que 108 voitures roulant pendant une année.

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Aux États-Unis, c’est la pollution générée par l’industrie du cinéma qui est la plus importante, après le pétrole.

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En 2019, la consommation de vidéos en ligne a émis autant de GES qu’un pays de la taille de l’Espagne.

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La tournée mondiale A Head Full of Dreams, de Coldplay, a nécessité 109 techniciens, 32 camions et 9 chauffeurs d’autobus se déplaçant sur 5 continents. Le groupe a rejoint 5,4 millions de fans et donné 122 concerts.

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La tournée mondiale 360°, de U2, a été sévèrement pointée du doigt pour son bilan carbone catastrophique: la gigantesque structure scénique fabriquée en trois exemplaires nécessitait 120 camions pour être déplacée!

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Environ 66 % de l’empreinte carbone d’un événement musical provient de la salle et du déplacement des spectateurs pour se rendre au concert.

L’effet bien réel du virtuel              

Si les tournées ont un tel impact sur l’environnement, pourrait-on simplement envisager de les remplacer par des concerts numériques? Après tout, même virtuelle, une performance de Charlotte Cardin ou de Patrick Watson en direct dans notre salon, ça ne se refuse pas. Oui, mais non… La solution numérique est loin d’être la panacée verte. Quatre pour cent des émissions mondiales de GES sont liées à l’industrie numérique. D’ici 2025, cette proportion pourrait même atteindre 8 %, soit l’équivalent des émissions actuelles liées aux voitures.

«Le problème, c’est l’énergie nécessaire tout au long de la chaîne, de la production à l’écoute sur notre appareil, indique le journaliste scientifique Charles Prémont. Au Québec, on s’en rend moins compte, parce que l’hydroélectricité est considérée comme verte, mais ailleurs, on fait de l’électricité avec du charbon, du pétrole, du gaz naturel, du nucléaire… L’impact de notre consommation numérique est considérable.»

Le petit manifeste du fan écolo 

On aime la planète autant que la musique, le cinéma et la télévision? On peut encourager les deux!

On réduit la définition de l’image pendant nos visionnements numériques, ce qui est beaucoup moins énergivore.

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On se méfie de la surconsommation culturelle: «Avant, quand on écoutait un album de musique ou un film, il fallait à un moment donné se lever pour le changer, fait observer le journaliste scientifique Charles Prémont. Aujourd’hui, on laisse parfois Spotify et Netflix tourner dans le beurre.» Une série ne nous accroche pas? On arrête le visionnement. Pas de pitié!

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On encourage les bons élèves. Certains joueurs numériques font meilleure figure que d’autres dans leurs efforts environnementaux – Apple et Google, par exemple. Il serait ainsi moins dommageable de télécharger un film sur iTunes que de l’écouter sur Netflix.

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On découvre la scène locale. Quels sont les bars et les petites salles de spectacles près de chez nous? On peut se divertir sans être sur Spotify!


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