Six grands amours, treize appartements, neuf pays, vingt-deux contrats, cinq lendemains de veille où j’ai honnêtement cru mourir, beaucoup de peurs, encore plus de rires, quelques hommes et quelques femmes aussi. Oh, et combien de chaos, de pertes de contrôle, de folies spontanées, de réussites, de trophées, donc? Est-ce que j’ai fait assez d’affaires pas racontables? Du type dont je pourrai me souvenir en riant sur mon lit de mort?

Longtemps venait avec mon anniversaire le décompte de mes excès. Un rituel annuel dans lequel ma tête se remplissait malgré elle de statistiques étranges et prenait soudainement les traits d’un tableau Excel décortiquant la vie d’une fille qui craint de se laisser mourir à petit feu. C’était une obsession rassurante: je vivais fort et beaucoup, les chiffres étaient là pour le prouver.

Dans quelques semaines, j’aurai 32 ans. Je me suis fait une promesse: cette année, je ne succomberai pas à l’appel de la comptabilisation de mes «exploits». Ce ne sera pas facile de maîtriser ce réflexe, mais ce sera nécessaire. Parce que ce qu’il dit de ma personne, de la vôtre peut-être aussi, n’a pas grand- chose d’enchanteur.

L’épiphanie m’est tombée dessus au milieu du dernier décompte: si je m’assure d’avoir dépassé la mesure chaque fois qu’on me rappelle que je vieillis, c’est que j’adhère à l’idée que vivre pleinement, c’est performer. Performer jusque dans mes moins beaux côtés. Repousser les limites du meilleur comme du pire.

Accepter de performer au quotidien de la sorte, c’est nier le confort. C’est tourner le dos à la routine, non pas parce qu’elle nous ennuie, mais pour répondre aux attentes d’une époque qui refuse le surplace. D’une ère qui nous invite à trouver la fierté dans le dépassement de soi, le dépassement tout court, la production et le burn-out. De job comme de cœur.

C’est impératif de donner tout ce qu’on a, et ce, dans tous les champs du possible.

Il faut s’étourdir, viser la perfection et s’essouffler pour être une bonne adulte. Une adulte pas plate, du moins. Et si on s’épuise en chemin, c’est normal. Passage obligé; relève-toi et recommence. Plus forte, idéalement. Tu en sortiras meilleure encore.

Des chercheurs de l’Université Dalhousie se sont longuement penchés sur la pression de perfection qui caractérise ma génération. L’an passé, ils ont publié les résultats d’une des plus grandes recherches menées sur le sujet. Selon eux, si le perfectionnisme est le moteur qui régit la vie de tant d’entre nous, c’est notamment parce que le monde dans lequel on vit accorde une importance démesurée à la position sociale et à la performance.

La performance, cette geôlière qui me rend misérable… et qui génère mes meilleures anecdotes! Comment m’en défaire, alors qu’elle est à la fois drogue personnelle et signe de reconnaissance entre pairs?

Je rêve de l’anniversaire où ma réussite n’aura rien à voir avec le nombre d’amants que j’aurai rencontrés, avec mon salaire ou les terres nouvelles que j’aurai foulées. J’aspire à célébrer ma fête, un jour, en étant entièrement fière de n’avoir rien fait dans l’année qui se sera écoulée. À part cultiver l’art de la lenteur et de l’appréciation de ce que j’ai. Parce que tout est là, déjà. Les jours n’ont jamais été si doux avec moi. Il me reste à apprendre à les aimer pour ce qu’ils sont, plutôt qu’essayer de les plier aux injonctions de notre culture «boostée» aux émotions fortes.

Je vais avoir 32 ans. Je commence à peine à apprivoiser la beauté du calme plat. Et déjà, mes épaules se relâchent un peu.

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