La séance photos est terminée. Sophie Grégoire Trudeau court se faire démaquiller avant d’enfiler – en chantonnant  – le jean skinny et le perfecto noirs qu’elle portait à son arrivée. Pleine d’esprit et d’aplomb, décidée et joyeusement exubérante, elle est loin de l’image figée qu’on se fait généralement d’une épouse de premier ministre. Et c’est tant mieux. Car celle que le New York Post a qualifiée de «première dame la plus hot du monde» (bien que ce rôle n’existe pas au Canada) n’a rien d’une potiche, et elle entend bien ne jamais le devenir. Ses apparitions, ses déclarations et ses tweets ne font pas toujours l’unanimité. Ils bousculent les idées reçues et choquent parfois par leur candeur désarmante. En revanche, ils provoquent des réflexions et des conversations qu’il est résolument temps d’avoir, particulièrement sur la place des femmes dans notre société. On l’oublie parfois, mais Sophie Grégoire portait haut la cause féministe avant de rencontrer Justin Trudeau, en 2003. Aujourd’hui, celle qu’on a connue comme communicatrice, animatrice et journaliste à la télé, conseillère en shopping personnalisé, mère et professeure de yoga est devenue une activiste à part entière. Résultat: elle prête sa voix à nombre d’organisations vouées notamment aux droits et libertés des femmes et des filles, à la promotion d’une vie saine et active, à la lutte contre les troubles alimentaires et à l’égalité des sexes. Pacifiste dans l’âme, Sophie Grégoire Trudeau n’oppose pas les femmes et les hommes pour autant, croyant qu’une lutte entre eux serait la pire des guerres. Pour changer les choses, elle croit au pouvoir du respect, de la solidarité et de la liberté. Est-elle rêveuse, naïve, idéaliste? Actuelle ou en avance sur son temps? L’avenir nous le dira. Pour le moment, elle se pose le temps d’une conversation qui prendra une tournure inattendue…

Sophie, quand on retrace votre parcours, on se dit que vous avez vécu mille vies! Moi aussi, j’ai cette impression-là! À 41 ans, j’ai fait beaucoup de choses, mais elles m’ont toutes menée là où je suis. J’ai toujours su que j’allais vivre quelque chose de différent. Quoi? Je n’en avais aucune idée, mais je savais que j’avais beaucoup à donner…

Sophie Grégoire Trudeau

Sophie Grégoire Trudeau  Photographe: Photos: Nelson Simoneau | Direction artistique: Elsa Rigaldies | Direction mode: Anthony Mitropoulos | Stylisme: Véronique Delisle

Diriez-vous que vous étiez une femme en quête de sens… et d’une mission? Tellement! Et ça me touche que vous disiez ça, car je suis une chercheuse de vérité. (Elle rougit d’émotion.) Je suis remplie d’amour. Je n’ai pas peur de ce mot-là, parce que le monde en a besoin. J’aime servir. 

Vous aimez servir qui et quoi? Qui? L’autre! Quoi? Hum… (Elle réfléchit longuement.) Je cherche à ce que l’autre se voie sous sa plus belle lumière. Pour moi, c’est la plus grande force qu’on puisse avoir. S’accepter et s’aimer dans une société compétitive où tout est faux — la jeunesse, les seins, les ongles, toutte! —, c’est courageux. Si on voyait plus de rides, de bourrelets et de différences dans les médias, est-ce que notre idéal de beauté et de bonheur serait le même? Non! Le modèle actuel est sournois. Il faut être très vigilant. 

C’est ce qui vous pousse à épouser des causes comme la valorisation de l’estime de soi, la lutte contre les troubles de l’alimentation et l’égalité hommes-femmes? Oui, et parce que chaque être humain a le droit de vivre sa vie en toute liberté. Prenez les désordres alimentaires: on n’est pas libre quand on est aux prises avec une compulsion comme celle-là. C’est la même chose pour la faible estime de soi et le déséquilibre entre les hommes et les femmes. Non seulement ils représentent des coûts immenses sur les plans socio-économique et humain, mais ils nous volent aussi une part de liberté. Et ça (dit-elle d’une voix étouffée)… ça vient me chercher. 

«S’accepter et s’aimer dans une société compétitive où tout est faux — la jeunesse, les seins, les ongles, toutte! —, c’est courageux.»

Parmi les organisations que vous représentez, vous êtes porte-parole de Fillactive, une fondation qui vise à faire découvrir aux adolescentes le plaisir de bouger ensemble, sans souci de performance ni esprit de compétition. Que vous disent les jeunes filles que vous y rencontrez? Elles poussent d’abord un soupir de soulagement! Puis, elles me disent combien elles se sentent comprises. Qu’elles ne se sentent plus les seules à vivre [cette angoisse] dans un monde qui nous apprend à nous comparer et à nous détester. 

L’authenticité est une valeur fondamentale pour vous, n’est-ce pas? Tout à fait! Donne-moi du faux, et je le détecte comme ça! (Elle claque des doigts.) Pour moi, l’authenticité a à voir avec la connaissance de soi, pas à des fins narcissiques, mais pour être au service de l’autre. 

Vous prenez librement la parole. Or, vos propos ne font pas toujours l’unanimité. Comment vous protégez-vous face à la critique? Je n’ai plus besoin de protéger mon cœur. Mais bon, je ne suis pas naïve. Je n’irai pas lire des critiques à mon sujet pendant deux heures pour tourner le fer dans la plaie. Ce n’est pas mon genre. Et ça ne me sert à rien pour servir les autres. Moi, la colère, je n’ai pas le temps pour ça! (Elle rigole.) 

Vous avez eu la chance de rencontrer Justin, un homme avec lequel vous avez de profondes affinités et que vous avez épousé. Qu’est-ce que cela a changé dans votre vie? Notre rencontre a eu un impact énorme dans ma vie! C’est le contact entre deux âmes sincères et vulnérables qui sont prêtes à se mettre à nu… Justin m’ancre et m’élève!

Est-ce que la confiance a été immédiate entre vous? Oui, mais on a dû la travailler aussi. Dans un mariage — je ne l’ai jamais caché —, on vit parfois des moments difficiles. On en vivra peut-être d’autres encore. Mais on se connaît de plus en plus comme personnes et comme couple. On voit vite où l’autre veut en venir et on désamorce les conflits avec humour. 

Qu’est-ce que Justin vous apporte de plus précieux? Son amour inconditionnel! Il m’a appris à me le témoigner à moi-même. (Elle a les larmes aux yeux.) Je ne savais pas ce que c’était de m’aimer avant de le rencontrer… Et je ne voudrais pas qu’il arrive quoi que ce soit… (Elle laisse sa phrase en suspens, une larme rouler sur sa joue.) Mais si jamais il arrivait quelque chose, j’aurais la force de continuer grâce à lui. Je le sais. Je m’excuse [de pleurer] mais c’est comme ça que je le sens. (Un ange passe.)

Sur une note plus légère, Sophie, quel effet ça fait de vivre avec un sexe-symbole? (Elle éclate de rire.) Après 12 ans de mariage, je ne vois pas mon chum comme ça! Non! Je le vois comme le Justin que j’aime avec ses qualités et ses défauts. Entre nous, cette frénésie médiatique, c’est un peu n’importe quoi! 

Vous avez trois enfants, Xavier James, neuf ans, Ella-Grace, huit ans et Hadrian, trois ans. Vous arrivez à concilier vie publique et vie de famille? Mais oui! J’ai une vie normale, mis à part une partie assez unique en raison de l’aventure politique. Je suis une maman occupée qui se lève à 5 h 30, fait le lunch de ses kids, s’occupe des devoirs, des bains et de tout le reste! Je suis une femme qui donne des conférences avant de retrouver son mari extrêmement occupé, le soir… 

Quel regard posez-vous sur l’ambition et la réussite au féminin? Dans notre société patriarcale, qui nous impose une image et des comportements stéréotypés, c’est plus difficile pour les femmes d’atteindre les sommets. Car pendant qu’on résiste aux pressions extérieures, on a du mal à savoir qui on est vraiment. En mode résistance, on peut aller à l’encontre de tout ce qu’on est véritablement: une femme passionnée, volontaire, courageuse, forte, lumineuse, protectrice et visionnaire. 

Comment sortir de cette impasse, selon vous? Je crois à l’importance de se «mentorer» entre femmes et de s’entourer d’hommes qui croient en notre potentiel et qui nous considèrent comme leurs égales. Il faut aussi avoir des conversations authentiques sur la place publique. Il faut miser sur l’éducation, l’éducation et encore l’éducation pour sensibiliser les gens et changer le cours des choses. Ça ne se fera pas du jour au lendemain. Mais regardez autour de vous: les voix s’élèvent et les beaux gestes se multiplient de plus en plus. 

On a donc toutes les raisons d’être optimistes? Oui, plus que jamais! 

«Dans notre société patriarcale, qui nous impose une image et des comportements stéréotypés, c’est plus difficile pour les femmes d’atteindre les sommets.»

D’où vous vient votre approche spirituelle de la vie? Je ne sais pas. Il y a quelque chose de plus grand que moi, en moi. Ça tient peut-être au fait qu’enfant, j’étais souvent seule, en contact avec la nature. J’étais entourée d’une présence qui me dépassait. Cette présence, j’ai compris qu’on peut la reproduire à l’intérieur de soi. Et je la cultive, par mes lectures, mon introspection et mes rencontres, car c’est là que mon bonheur réside. C’est un bonheur qui est relié [aux autres]. 

Vous êtes une grande adepte de yoga… Le yoga a toujours été en moi. Il m’attendait. Le yoga, ça signifie «se lier, retrouver sa vraie nature». C’est de l’amour. C’est la rencontre avec son amant intérieur, sensuel et présent. C’est un rappel de cette beauté, qui réside en nous, et c’est une pratique qui nous donne la capacité physique de la cultiver. Comment ne pas prendre ça comme un cadeau? 

Sophie Grégoire Trudeau

Sophie Grégoire Trudeau  Photographe: Photos: Nelson Simoneau | Direction artistique: Elsa Rigaldies | Direction mode: Anthony Mitropoulos | Stylisme: Véronique Delisle

Que trouvez-vous dans le yoga que vous ne trouvez pas ailleurs? Quand on pratique le yoga, on arrive à faire taire le mental, de la façon la plus intelligente qui soit, car on fait travailler le corps et le cœur. On s’apaise, car l’ego est mis de côté.

L’enseignez-vous toujours? Non, pour des raisons de sécurité. (Un garde du corps la suit dans tous ses déplacements.) Mais il m’arrive de donner des ateliers de yoga bénévolement à l’école de mes deux enfants. J’adore ça! Les enfants me nourrissent comme ça ne se peut pas!

Avez-vous toujours voulu avoir des enfants? J’en rêvais à sept ans! C’est le plus grand cadeau de la vie. Mes enfants me donnent tout. J’ai compris que la maternité, ce n’est pas seulement le fait d’avoir des enfants. C’est un vrai don de soi. (Elle marque une longue pause.) Je me souviens du jour où je faisais la lecture à ma fille, Ella-Grace. Elle avait trois ans et demi, et on est tombées sur le mot «humble». Elle m’a demandé ce que ça voulait dire. «Toi, tu es bonne à l’école et en sport, et tu es douce. Est-ce que chaque matin, tu te dis “Comme je suis gentille”? Non, hein? Parce qu’être humble, ça veut dire être vive et aider les autres.» Elle m’a dit: «Comme moi, maman?» Sa candeur et sa sincérité, dénuée de toute prétention… Ç’a été un des plus beaux moments que j’ai vécus avec mes enfants. 

C’est l’incarnation de votre vision du sacré féminin? J’adore cette expression! Il s’exprime à travers la sincérité, la proximité et l’intimité avec soi et avec les autres. L’un ne va pas sans l’autre. Ça fait partie de la même équation. On a perdu le sens du sacré. Pourtant, il fait partie de notre humanité, il est essentiel pour mener une vie authentique et il nous rappelle qu’on est mortel. Que c’est ça, la vie. C’est d’une grande poésie. C’est enivrant pour qui peut en saisir le sens…