Ses yeux me désarçonnent. Je mets un moment à saisir ce qu’ils me communiquent exactement. Sont-ils amusés? Moqueurs? Mais en plongeant les miens dans les siens, c’est évident: ils sont joueurs. Tout là, prêts à me suivre. Il n’en tient qu’à moi de créer la surprise. Et je ne sais pas comment l’expliquer, mais dès qu’on s’assoit devant Karine Gonthier-Hyndman, on a envie d’être à la hauteur. Comme si sa seule présence allumait notre esprit.

L’année 2021 étant ce qu’elle est, nous avons dû redémarrer nos ordinateurs respectifs pour arriver à nous parler. Le son plantait de son côté. «Il doit y avoir une femme de 90 ans dans mon corps, parce que je ne comprends jamais ce qui ne fonctionne pas», me lance Karine, dépassée par la situation. Les mèches tombantes de sa demi-couette se balancent tandis qu’elle se déplace dans la magnifique maison qu’elle a conçue avec la firme d’architectes Pelletier de Fontenay. Tout en jasant avec moi, elle envisage différents endroits où s’installer.

Elle s’assoit finalement à la table. Derrière elle, de grandes fenêtres, cachées par des rideaux blancs vaporeux. Ce choix n’est certainement pas anodin, puisque la comédienne accorde une importance toute particulière aux ambiances. «J’aime qu’il y ait du mouvement chez moi. Ma maison a toujours été un lieu de convergence. Même quand j’avais 17 ans, les gens pouvaient entrer sans prévenir dans mon appartement crado. J’ai une qualité, celle d’être rassembleuse et, je crois, de savoir créer des moments. Tu sais, bonne bouffe, bonne musique, lumière parfaite?»

Je confirme. Karine a trouvé le set-up idéal pour notre visioconférence.

William Arcand

La smala

Le rassemblement fait partie de la culture de cette comédienne de 36 ans. Sa mère est née au Maroc de parents d’origine italienne et espagnole. De ce côté de la famille, on ne se demande pas si c’est le bon moment pour se pointer quelque part. On y va, tout simplement. Devant mon regard admiratif, Karine s’empresse de nuancer: «Ça vient avec beaucoup de qualités, mais aussi avec une intrusion constante dans la vie privée! Ma mère ne comprenait pas, le jour où j’ai commencé à mettre des limites… Des limites comme “Je préférerais que tu ne viennes pas en voyage avec mon chum et moi, cette fois-ci!”»

Entre sa mère ultrachaleureuse et les Hyndman, qui tiennent mordicus aux traditions festives, Karine a cultivé une passion pour l’Autre. «Mon mot préféré, c’est smala. Ça veut dire “gang”, groupe, équipe, famille.» Le terme arabe, telle une façon de vivre. Ça contraste avec l’image sévère que certains se font de l’actrice.

On a été éblouis par son timing comique dans la série Like-moi!. On a admiré sa rigueur sur les planches. On a totalement cru au personnage complexe de mère qu’elle jouait dans Les Simone, comme à la féministe avant le temps qu’elle interprétait dans C’est comme ça que je t’aime. Son sens de la répartie, les femmes de caractère qu’elle incarne et son port altier ont effectivement de quoi la rendre intimidante…

«Je me considère comme une personne accessible. Je suis curieuse et je m’intéresse aux gens. Pourtant, plus je suis connue, plus on me colle l’étiquette de snob! J’ai l’impression qu’on confond la confiance et la prétention… C’est vrai que je suis à l’aise quand j’entre quelque part et que je ne prends pas mon trou, mais pourquoi est-ce interprété comme si j’étais hautaine? Pourquoi faudrait-il que je sois toujours candide?»

««Plus je suis connue, plus on me colle l’étiquette de snob! J’ai l’impression qu’on confond la confiance et la prétention... »»

La question n’est pas rhétorique. Karine attend ma réponse, curieuse. Eh bien… peut-être parce que la confiance en soi au féminin n’est pas très valorisée dans notre culture? Qu’on apprend toute jeune à ne pas occuper trop d’espace, même celui qui nous revient? Elle hoche la tête, pensive. «Si j’étais un homme et que je disais: “Je sais ce que je fais, vous pouvez me faire confiance”, on trouverait probablement ça rassurant. Pourtant, moi, j’ai l’impression de devenir menaçante si j’envoie un tel message.»

Je partage la frustration de Karine et, dans un léger excès de proximité, j’ose glisser: «D’ailleurs, tu dois faire peur aux hommes, non?» Elle prend une pause et cherche les mots justes. «Je ne voudrais pas généraliser, mais une femme qui a une carrière, qui fait plus d’argent qu’un gars et qui sait ce qu’elle veut, ce n’est vraiment pas toujours un turn-on! Je réalise donc que les hommes qui sont dans ma vie ont, eux aussi, très confiance en eux. Ils ne se sentent aucunement menacés. Au contraire, ils m’encouragent à développer mon autonomie et ma force. Comme Guillaume.»

L’actrice plutôt que la femme

Depuis que Karine Gonthier-Hyndman et Guillaume Girard partagent la vedette dans la série télé Entre deux draps, ils se font bombarder de questions sur leur relation. «Notre couple a duré huit ans, et personne ne s’intéressait à nous, me dit Karine en riant. Pourquoi est-ce soudainement d’intérêt public qu’on ne soit plus ensemble? On n’est pas amoureux, mais on s’entend bien. On a encore une maison en commun. C’est apparemment très dur à comprendre!»

La démarche. On y revient souvent, au fil de la conversation. Karine accorde une importance immense au pourquoi et au comment. De son travail, elle préfère les centaines d’heures de répétition aux représentations. C’est créer un personnage et le voir se déployer qui la fait vibrer, plus que de récolter des applaudissements.

«Je suis entourée de gens pour qui la démarche est très importante, m’explique-t-elle. Je peux citer James Hyndman, mon oncle, dont la manière d’entrer en dialogue avec les artisans de chaque projet m’inspire beaucoup. Guillaume, de qui je suis très près artistiquement, se demande constamment pourquoi il fait telle chose. Je pourrais en dire autant de mes parents. Je les admire tous, parce qu’ils ne prennent pas nécessairement le chemin le plus évident.»

Même sur le plan intime, Karine réfléchit à sa démarche. Ses mots se bousculent, tandis que je l’entraîne sur le terrain de l’image. Depuis quelques mois, elle n’alimente plus son compte Instagram, habituellement rempli de magnifiques clichés. Pourquoi? «Je traverse une période de réflexion sur ma représentation. Je m’expose déjà à la télé, alors pourquoi me montrer davantage sur les réseaux sociaux? Qu’est-ce que je vais chercher là-dedans? Je suis à une étape de ma vie où j’ai envie que la force vienne de l’intérieur, et non de l’extérieur de moi. Je veux pouvoir me reposer sur moi-même plutôt que sur ce qui m’entoure. Et parmi les petites choses qui m’entourent, il y a Instagram. J’ai réalisé que j’en publiais en tabarnac, des photos de moi, et que j’étais accro aux réactions que ça suscitait. J’adore la photographie et je souhaite continuer à en faire, mais j’aimerais porter mon regard sur les autres davantage que sur ma personne. Ma réflexion est en constante mouvance… J’évolue!»

William Arcand

Le souvenir du vide

J’apprécie de plus en plus la femme, mais revenons à l’actrice. Récemment, on a beaucoup vu Karine Gonthier-Hyndman à l’écran. Pourtant, elle a fait une pause complète de près d’un an: le tournage de la série C’est comme ça que je t’aime s’est terminé à l’automne 2019, et, à cause de la COVID-19, les projets théâtraux de la comédienne ont été annulés au printemps 2020. On se dit qu’elle aurait pu dormir tranquille, elle qui gagne constamment en popularité depuis six ans… Mais non. C’est que Karine n’a connu le succès qu’à l’aube de la trentaine, et les années de vide professionnel ont laissé leurs traces.

«Mon corps se souvient de toutes ces années passées sans travailler, me confie-t-elle. Rationnellement, je savais que les tournages allaient reprendre un jour, mais physiquement, je suis tombée dans un état d’anxiété que je devais contrôler. J’ai tenté de profiter du confinement pour refaire le plein d’énergie. J’ai réalisé que j’étais brûlée. J’avais de la difficulté à me régénérer entre mes projets et je n’arrivais plus à me surprendre. Vois-tu, pour moi, l’expansion d’un acteur se trouve dans les répétitions au théâtre… C’est là où il a l’occasion d’essayer des choses et de se planter. Avec les séries télé, je n’avais plus le temps de monter sur les planches. En ce moment, je prépare des rôles, et ça me fait un bien immense de pouvoir à nouveau développer mon instrument d’actrice.»

Je peux comprendre qu’une artiste de la trempe de Karine Gonthier-Hyndman s’attende à travailler de nouveau, en pleine pandémie. Mais qu’est-ce qui a bien pu la pousser à continuer, au début de sa carrière, alors que personne ne lui donnait de rôle? Elle me répond, comme si c’était une évidence: «Mon moteur, c’était l’espoir de travailler un jour! Guillaume a été un pôle vraiment important là-dedans. Lui, il voyait mon talent et il me disait que je devais m’entraîner de toutes les manières possibles, en attendant que les choses se passent. Je l’écoutais: j’ai fait un demi-marathon, j’ai fait du théâtre underground super étrange… J’entraînais la machine pour que, le jour où on cogne à ma porte, elle soit parfaitement huilée.»

«Comme si l’art était une vocation. Une partie de moi va s’éteindre si je ne joue pas. Je ne m’imagine pas faire autre chose.»

La démarche, encore.

Et si on remonte plus loin? Je veux dire, pour s’obstiner à essayer de percer pendant des années, il faut bien être mue par une certitude inébranlable… Karine me l’accorde. «J’ai toujours su que je voulais être comédienne. Je pense que, à ce point-là, ma volonté relève du mystique. L’enjeu, ce n’est pas pourquoi je veux jouer, mais si je ne le fais pas, je vais mourir. C’est une nécessité, c’est qui je suis. Comme si l’art était une vocation. Une partie de moi va s’éteindre si je ne joue pas. Je ne m’imagine pas faire autre chose.»

Mais elle pourrait peut-être devenir architecte? Visiblement, elle a du goût en immobilier… Des fenêtres comme ça, j’en prendrais demain matin. Elle rit, quand je lui propose ce plan B: «Je ne déteste pas l’idée! D’ailleurs, n’hésite pas à venir voir la maison, si tu passes dans le coin. Ma porte est toujours ouverte… Ben, sauf quand les mesures sanitaires l’interdisent!»

Qui a dit qu’elle était intimidante, déjà?

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ELLE QUÉBEC MAI 2021

ELLE QUÉBEC MAI 2021William Arcand

Karine porte un trench, une chemise et un jean Celine, et des bagues Yuun. Photographie William Arcand. Stylisme Samuel Fournier. Direction de création Annie Horth. Maquillage Geneviève Lenneville. Coiffure David D’Amours. Production Estelle Gervais. Coordination Laura Malisan. Assistante au stylisme Ana Lontos. Assistants à la photographie Jean-Christophe Jacques et Guillaume Lépine.