Le regard est bienveillant, le sourire, à la fois timide et mystérieux, les propos, d’une intelligence et d’une candeur déconcertantes… À la table du bistro où elle sirote un thé brûlant, elle est à des années-lumière des femmes décomplexées qu’on adore la voir incarner, depuis que Le mirage, film à succès de Ricardo Trogi, l’a révélée au grand public en 2015. Qu’on pense à ses irrésistibles apparitions dans Blue Moon, Boomerang (TVA) et Victor Lessard (addikTV). Ou plus récemment, à ses rôles de premier plan, qu’il s’agisse de Geneviève, la sergente-détective frondeuse dans District 31, de Josiane, l’infirmière épuisée dans Lâcher prise, de Frédérique, l’urologue hyper rationnelle dans Hubert et Fanny ou encore de la courtière immobilière explosive dans Les pêcheurs (toutes des séries diffusées à Radio-Canada qui, à n’en pas douter, seront renouvelées). 

Pourtant, et c’est là toute l’ironie du sort, c’est comme auteure-enquêtrice et interprète de son propre rôle dans J’aime Hydro, une pièce de théâtre documentaire de quatre heures, qu’elle connaît un succès fulgurant. Dans ce feuilleton politique où elle documente son enquête sur notre relation avec Hydro-Québec, elle mène aussi sa quête d’affirmation personnelle, d’une manière drôlement lucide et attachante. Résultat: la pièce, présentée à guichets fermés un peu partout au Québec, lui a valu le prestigieux prix Michel-Tremblay du meilleur texte porté à la scène. Apaisée par une telle reconnaissance, la compagne (très discrète) de Roy Dupuis, avec lequel elle partage – à sa façon – de grandes préoccupations environnementales, ne s’impose pas moins la discipline de réflexion et de travail des doux inquiets. Et des grands créateurs.

Vous vous révélez de manière étonnante dans J’aime Hydro. Vous parlez de votre thérapie, de votre vie amoureuse, de vos interrogations personnelles… 
Ouais… Pourtant, je suis très pudique. Oser me présenter sur scène, telle que je suis vraiment dans la vie, ce n’était pas naturel chez moi. Mais Annabel Soutar (l’instigatrice du projet) a insisté pour que je revienne à ma propre histoire tout au long de l’écriture de la pièce. Et elle a eu raison! Reste que j’ai tracé mes limites, surtout en ce qui a trait à ma famille et à mon amoureux… C’est important pour moi de toujours garder un jardin secret. D’ailleurs, les gens qui déballent tout me déstabilisent!

Avec la création et la présentation de la pièce, vous avez eu à dépasser de nombreuses peurs: peur du conflit, peur de ne pas être à la hauteur…
De décevoir et de m’affirmer aussi! Mais ma plus grande peur a été celle de me dévoiler devant le public québécois, car je me trouvais ainsi dans un état d’extrême vulnérabilité. Comme comédienne, on se cache derrière un personnage. On porte une parole qui n’est pas la nôtre. Ça nous protège. Mais dans le cas de J’aime Hydro, si on n’aime pas la pièce, c’est moi qu’on n’aime pas! Ça veut dire qu’on n’aime ni mon mode de réflexion, ni mon humour, ni ma sincérité… 

Maintenant qu’on vous connaît mieux, est-ce qu’on se fait tout de même une idée fausse de vous? 
Depuis J’aime Hydro, on me traite de militante. Je trouve ça très étrange. Ça sonne «militaire», et ça m’énerve! C’est pareil pour l’étiquette de «femme engagée». Moi, je suis juste une citoyenne qui s’intéresse à la société et à l’environnement dans lesquels elle vit. 

Avez-vous l’impression, en présentant votre pièce de quatre heures, de clasher avec les raccourcis et le discours ambiant? 
Oui, car faire le tour d’un sujet, comme je le fais, de la façon la plus rigoureuse possible, en montrant tous les points de vue, eh bien, ça prend du temps. On ne peut pas se faire une idée sur un enjeu complexe en lisant un commentaire sur Twitter. 

Vous sentez-vous dépassée par l’immense succès de la pièce? 
Complètement! On me propose tellement de projets différents: animer une émission d’affaires publiques, participer à des panels de discussion, écrire la préface d’un livre ou même faire de la politique – ce à quoi j’ai dit non! Ça m’oblige à me situer par rapport à mes vraies envies. Mais, en même temps, ça fait du bien, après avoir travaillé fort pendant 15 ans, de se faire offrir des rôles tripants! 

Parlons-en, de ces rôles! Vous incarnez souvent des femmes au caractère bien trempé… 
C’est vrai! Et ça m’amuse beaucoup! Mais je cherche toujours à apporter une dimension nouvelle à mon jeu…

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  Photographe: Leda & St.Jacques

Vous avez déclaré que vous aviez eu du mal à assumer votre féminité. Pourquoi? 
Je n’ai jamais voulu me présenter comme «la grande blonde». Peut-être parce que, plus jeune, j’étais un vrai tomboy, maigre comme un pic. J’avais beau jouer au basket, je n’avais pas de muscles. J’avais l’impression que silhouette filiforme égalait faiblesse. Une faiblesse que je devais cacher. Même à l’école de théâtre, je convoitais les rôles de gars… 

C’est pourtant votre rôle de Roxanne, la courtière immobilière sexy dans Le mirage, qui vous a révélée au grand public… 
Ben oui, c’est fou! J’étais loin de m’imaginer en séductrice! Et mes parents encore moins! (éclat de rire) Mais mon audition pour le film a marqué un tournant. Je me suis dit: «Ça va faire. Enwèye, assume-la, ta féminité!» 

Quel a été le déclic? 
Ça a été un long processus. Après sept ans chez la psy, j’ai réalisé combien je m’empêchais d’aller vers ce que je pouvais faire. Et qu’à force de toujours combattre qui on est, on n’arrive à rien. Alors, j’ai foncé. 

Vous vous êtes trouvée, en somme? 
Oui! C’est super important de savoir la place qui nous revient. Sinon, on a un ost* de problème! (silence) À la fin de ma vingtaine, j’ai dû apprendre à connaître mes besoins. Et à les prendre en considération. 

Lequel de vos besoins s’est révélé essentiel? 
Le besoin d’affection. Je l’ai tellement réprimé. J’ai toujours cru que j’étais correcte toute seule. Ben voyons! (rires) On a tous besoin d’affection! Je trouve ça beau, la fragilité de l’autre, alors pourquoi je juge la mienne? 

C’était votre façon de vous protéger, peut-être? 
C’est sûr! J’étais super indépendante et je ne m’ennuyais jamais de personne. Puis j’ai eu envie de m’ennuyer de quelqu’un et qu’il s’ennuie de moi aussi. Je rêvais d’un cocon affectif, d’une relation passionnée. Maintenant, je m’ennuie de mon chum. Et mon besoin d’affection, je l’assume. Je me rattrape! 

Cela ne vous empêche pas d’être bien seule… 
J’aime ça, être seule. Être dans ma bulle, avoir mon propre espace. J’habite à Montréal et mon chum à la campagne…

Votre compte Instagram révèle un côté foodie et amoureuse de la nature que je ne vous soupçonnais pas! 
J’adore bien manger et j’aime prendre le temps de cuisiner. C’est méditatif, pour moi. À mon retour d’Italie, où je suis allée en voyage, je me suis mise à cuisiner mes pâtes et ma crème glacée, à perfectionner mon risotto. J’aime aussi popoter avec mon amoureux. On prépare des plats, on tripe, on mange, on va prendre l’air: ça fait passer la journée de belle façon! 

Avez-vous un souvenir d’enfance qui laissait présager celle que vous êtes devenue aujourd’hui? 
Ma mère m’a raconté que, petite, je passais des heures à faire des casse-tête. Je suis du genre à m’acharner, à aller au bout des choses. Enfant, je voulais devenir enquêteuse. J’aurais été bonne, car ça me gosse de ne pas trouver la solution à un problème! (rires) 

Que cherchiez-vous en devenant comédienne? 
Adolescente, j’avais hâte de partir de la maison. Pas parce que je n’y étais pas bien – j’adore ma famille! Et mes parents (sa mère, infirmière, et son père, professeur d’éducation physique au primaire, aujourd’hui retraités) sont très ouverts; ils nous ont élevées, mes trois sœurs et moi, de façon très libre, jamais dans le jugement. Mais comme mes sœurs jumelles, qui sont nées après moi, étaient souvent malades, elles prenaient beaucoup de place. J’ai donc senti que je devais me trouver ailleurs. 

Avec quoi rimait cet «ailleurs» pour vous? 
Avec le voyage! Très tôt, je suis partie toute seule avec mon sac à dos. J’ai passé un été à Édimbourg, en Écosse, où j’ai découvert le théâtre (grâce au Festival international d’Édimbourg). Ça a été une véritable école de la vie! Ça m’a donné envie de m’inscrire en théâtre, à Montréal. Élargir mes horizons et exister autrement… c’était ça, mon buzz! 

Et aujourd’hui? 
Je l’aime, ma vie. C’est juste que… je veux en vivre plein d’autres!