Une bande dessinée datant de 1800 est récemment apparue sur Internet: on y voit une femme faire peur au diable… en lui montrant sa vulve! Oui, oui! Une partie du corps si effrayante qu’elle ferait peur à Satan lui-même, croyait-on. La crainte, voire le tabou, entourant la vulve ne date donc pas d’hier. On n’a qu’à penser aux histoires de vagins dentelés racontées depuis toujours ou à Freud, qui disait que la vulve des mamans effrayait les enfants puisqu’elle était associée à la castration, ou encore au scandale entourant le tableau L’origine du monde, de Gustave Courbet. Mais si l’image presque comique du 19e siècle a fait un tabac en ligne, c’est surtout parce qu’elle dépeint un problème encore d’actualité. En 2020, malgré les avancées en matière de droits des femmes et de diversité corporelle, les pénis sont beaucoup plus représentés dans les médias que les vulves. Comme si, d’une certaine façon, le sexe féminin faisait toujours frémir.

Heureusement, de nombreuses femmes et artistes se réapproprient l’image de la vulve, cette partie de leur anatomie dont elles ont trop longtemps eu honte. Elles mettent en lumière les lèvres, les plis, les poils, les couleurs de ce sexe qu’on a tôt fait de dénigrer lorsqu’il ne correspond pas à l’image léchée qu’on nous en renvoie, dans la pornographie ou ailleurs. Par leurs bijoux, leurs illustrations, leurs toiles, leurs mots, elles arrivent à déstigmatiser, à normaliser la vulve dans toute sa diversité et à engendrer des discussions nécessaires. Plus encore: elles l’érigent en symbole politique, féministe, comme un poing levé contre les institutions qui l’ont si longtemps réprimée.

Rencontre avec cinq artistes d’exception qui changent les perceptions, une vulve à la fois.

Hilde Atalanta

Artiste en arts visuels

C ’est lors d’une conférence dans laquelle Hilde a entendu parler de la forte hausse des labiaplasties (une chirurgie esthétique pour changer l’apparence de la vulve) que l’artiste en arts visuels des Pays-Bas a amorcé sa réflexion sur la représentation des vulves dans les médias traditionnels et sur le manque de diversité dans les cours d’éducation sexuelle. Ce qui a mené à la création, en 2016, de The Vulva Gallery, une galerie virtuelle et une plateforme d’éducation en ligne qui a pour but de louer la diversité et l’unicité des vulves. The Vulva Gallery remporte un véritable succès: plus de 425 000 abonnés sur Instagram, des centaines de représentations de vulves de toutes les formes et de toutes les couleurs, et un livre publié en 2019 (A Celebration of Vulva Diversity). «Les réactions à mon travail sont incroyables. De nombreuses per- sonnes ignorent encore à quel point les vulves peuvent être différentes! Elles m’écrivent pour me dire combien elles se sentent soulagées, normales, belles. Certaines m’ont même dit avoir annulé une labiaplastie après être tombées sur ma page! Ça en dit long sur le pouvoir de la représentation.»

«J’ai choisi l’illustration plutôt que la photo puisque je voulais un média qui soit adapté aux gens de tous les âges et de tous les horizons, étant donné le côté éducatif que je voulais donner à mon travail», dit Hilde, croyant sincèrement qu’il est temps qu’on fasse la part belle à la vulve, cette partie du corps qu’on a si long- temps cachée, oubliée. «Au fil des ans, j’ai entendu des histoires tellement tristes et inquiétantes de femmes, et même de petites filles, embarrassées à propos de l’apparence de leur sexe. On ne devrait pas avoir honte de ce qui est naturel, de ce qui fait de nous des humains. L’art et l’éducation sexuelle servent à entamer des conversations pour nous libérer de ce poids, nous faire sentir moins seuls.»

thevulvagallery.com / Sur Instagram @the.vulva.gallery


Crystal-Rose Mihaylo

Crocheteuse

Quand je dis aux gens que je crochète des vulves, ils pensent souvent qu’ils ont mal entendu!» lance à la blague Crystal-Rose Mihaylo, une artiste et maman à la maison qui vit en Géorgie, aux États-Unis. Elle a été étonnée de la réaction extrêmement positive à ses toutes premières vulves en feutre – sa petite boutique en ligne s’est vidée en quelques heures, et sa boîte de courriels s’est rapidement remplie de commandes! «J’ai noté un intérêt plus marqué pour les images de vulves à la suite de l’élection de Donald Trump. Il menace le droit des femmes en matière de santé reproductive, notamment, et je pense que la vulve est devenue un symbole de résistance.»

L’artiste, qui remet toujours une partie de ses profits à l’organisation pour la santé sexuelle Planned Parenthood, considère qu’on apprend aux femmes à avoir honte de leur corps et, surtout, de leur vulve. Selon elle, mettre cette image de l’avant de façon positive est un geste puissant.

«Nos corps, nos vagins méritent d’être célébrés. J’adore voir des vulves de toutes les formes, de tous les styles, de toutes les couleurs dans l’art et la culture populaire; toutes les vulves sont belles, uniques et parfaites telles quelles. Il faut se le rappeler.»

Et, même si son occupation de crocheteuse féministe intrigue, elle profite des questions des curieux pour amorcer des conversations sur le body positivity ou la santé reproductive. «C’est une partie importante de mon travail, qui est de nature politique. Je ne peux qu’espérer que mon entreprise grandisse pour pouvoir toucher encore plus de gens par mon message et aider à une plus grande échelle.»

Sur Instagram @notyournanasyarnwork

Kenza Dalz, alias Teenadult

Artiste multidisciplaine

C’est en réponse à la censure et au tabou que l’artiste multidisciplinaire Kezna Dalz, alias Teenadult, a commencé à donner de l’importance à la vulve dans son travail. «Pour normaliser cette image, qui est si belle et si complexe.» Dans ses illustrations et ses toiles, la vulve prend souvent la forme d’une papaye. Pourquoi? «Parce que c’est un des meilleurs fruits du monde, dit-elle en riant. Mais aussi parce que c’est un fruit plein de couches, de couleurs, de vie, de douceur, comme la vulve. Et je dois avouer que jouer avec l’interprétation des gens m’amuse!»

L’artiste représente souvent des corps dans leur entièreté; des personnages avec des vulves bien en vue, mais également des poils pubiens, des courbes ou encore des sous-vêtements tachés de sang menstruel. Le naturel dans toute sa splendeur! «Je sens qu’il y a vrai- ment un désir d’affirmation, un désir de se réapproprier cette image, en réponse à toutes les atrocités encore commises sur le corps féminin, et à toute la honte et le contrôle qui l’entourent.» Elle souligne l’importance de l’art dans la lutte contre les violences politiques et sociales envers la vulve et le vagin. «C’est aussi un acte personnel d’amour-propre, pour moi, de ne rien censurer lorsque je crée.»

Le travail de Teenadult reflète ses valeurs féministes et cherche à représenter ceux qui sont souvent oubliés dans les médias traditionnels, qui projettent sans relâche un modèle de corps standardisé. «En créant sans tabou, en refusant de me conformer aux normes, j’ai l’impression d’envoyer promener toutes les mesures – qu’il s’agisse d’actions politiques ou médiatiques – qui passent le message que les corps ne sont pas acceptables s’ils sortent de la norme.»

Sur Instagram @teenadultt

Mélodie  Vachon Boucher

Autrice de bandes dessinées et illustratrice

Nouneries est née d’un désir de raconter le corps, d’explorer le fond et la forme de la bande dessinée. «J’ai l’impression d’avoir trouvé ma voie, ma façon, ma manière, même si les sujets que j’aborde et mon coup de crayon sortent des cadres, des traditions du milieu de la BD», dit Mélodie Vachon Boucher, autrice de bandes dessinées et illustratrice. Dans son ouvrage sans compromis, sociofinancé et autopublié, elle s’exprime en toute liberté et pose son regard particulier sur les femmes, avec un sens de l’humour absurde rafraîchissant. «Pendant que certaines personnes du milieu débattent pour savoir si je fais de la vraie BD ou si mon travail est vulgaire, moi, je m’amuse. Et, à mon avis, en 2020, traiter la femme comme un objet est beaucoup plus vulgaire que de publier des dessins de vulves.»

Out, l’idée de la femme statique qui quémande de la validation! Les dessins et les textes de la bédéiste racontent les femmes, utilisent leurs corps «vaginés et assumés, forts et fiers dans toutes leurs imperfections» pour parler sans honte de désir charnel et pour… faire des blagues! «La poétesse et l’autrice-illustratrice déjantée en moi peuvent coexister. Je suis entourée de femmes qui contestent l’idée statique de la femme, qui s’appliquent à la regarder sous toutes ses facettes et à la complexifier, en témoignant qu’il y a plus d’une façon d’être une femme aujourd’hui. Je trouve ça très beau, et nécessaire. Et il me semble que c’est très naturel que la naissance de ces nouvelles voix de femmes fortes et libres passe par différentes représentations de la vulve, du vagin.»

melodievachonboucher.com / Sur Instagram @melodievachonboucher

Kieve Pauzé-Huang

Joaillière artisanale

La joaillière artisanale montréalaise Kieve Pauzé-Huang a créé le premier bijou de sa collection VULVA après la naissance de son premier enfant. «C’est peut-être un peu cliché, mais j’ai commencé à voir mon corps comme quelque chose de sacré, de divin. Et ma vulve, mon vagin, comme une porte d’entrée vers le monde qui devait être célébrée.» Depuis, devant les réactions extrêmement positives de son entourage et de ses clients, elle a élargi sa collection pour inclure des représentations du clitoris, une partie du corps dont la beauté nous échappe, à son avis. «Encore aujourd’hui, de nombreuses personnes ne savent même pas à quoi ressemble le clitoris, cet organe associé exclusivement au plaisir. C’est surprenant!» Ses boucles d’oreilles, ses bagues, et ses pendentifs en métal revêtent donc, entre autres, un côté féministe et politique, puisqu’en plus d’être esthétiquement jolis, ils servent à promouvoir un monde plus respectueux, plus attentif, plus éduqué. «La collection VULVA fait jaser, et c’est tant mieux! La représentation de la vulve permet d’engager des dialogues importants sur des sujets parfois difficiles à aborder, comme le sexe, la masturbation, l’accouchement, l’infertilité, l’avortement, la ménopause et les menstruations.»

Parce que porter une vulve autour de son cou ou à son doigt, dans une représentation crue et brute, vient avec son lot de questions. «Il y a des gens qui ne comprennent pas, mais qui sont curieux. Et c’est à ce moment-là qu’on entame des discussions qui peuvent changer le monde. Chercher à com- prendre, se poser des questions sur ses propres idées préconçues, c’est la clé pour devenir une meilleure personne, non?» Selon l’artiste, on doit apprécier davantage cette partie du corps qui a longtemps été démonisée. «La vulve, dont on retrouve les formes dans la nature, dans les coquillages et les fleurs par exemple, est simplement magique. Pour tout ce qu’elle est et tout ce qu’elle représente, je crois qu’il est essentiel qu’on lui donne toute l’attention qu’elle mérite.»

kievepauze.com / Sur Instagram @kieve.jewelry

 

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