Nathalie est directrice de vol. En mars, elle a effectué plusieurs allers-retours entre l’Europe et Montréal dans un contexte de plus en plus stressant afin, notamment, de rapatrier des Canadiens.

Même si la COVID-19 a fait son apparition à la fin de l’année dernière en Chine, ce n’est qu’en février que les équipages de ma compagnie aérienne ont vraiment commencé à en parler, surtout ceux qui avaient volé en Europe dans les semaines précédentes, où la situation commençait à prendre des proportions alarmantes. Ils m’avaient avertie : « Nathalie, si tu vas en Europe, fais attention ! »

C’est pourquoi, dès le tout début du mois de mars, alors que j’étais affectée sur un vol Montréal-Paris, j’ai commencé à avoir peur, au point de prendre des précautions supplémentaires de mon propre chef. Mon mari riait un peu de moi, mes collègues aussi (il faut se rappeler qu’ici, c’était encore le calme plat, en pleine relâche scolaire), mais qu’importe : j’ai apporté tout un stock de lingettes et de Lysol et j’ai désinfecté tout ce que je touchais, non seulement dans l’avion, mais aussi une fois arrivée à l’hôtel. J’avais même amené un sac de plastique pour ranger les vêtements sales et ne pas contaminer le reste de ma valise. Honnêtement, je n’avais jamais, jamais fait ça ! Pourtant, en vol, c’était assez tranquille. Personne ne paniquait réellement… du moins pour le moment.

À destination, une fois que j’ai eu passé ma chambre au peigne fin avec mes lingettes, je suis allée à l’épicerie. Déjà, ce n’était pas le Paris que je connaissais. Il y avait moins de locaux dans les commerces et tout le monde ne parlait que de ça. C’est vraiment à ce moment que j’ai compris que c’était grave.

Durant le vol de retour, quelques jours plus tard, les passagers étaient déjà beaucoup plus stressés et sur leurs gardes. L’équipage aussi. D’ailleurs, nous étions plusieurs à porter des gants en tout temps même si la compagnie n’avait pas encore émis de directives à ce propos (normalement, ce n’est que quand on ramasse des affaires ). Pour ma part, j’ai été jusqu’à désinfecter mon strapontin, l’interphone, les poignées… J’ai nettoyé tout ce que j’étais susceptible de toucher dans l’avion.

Les choses ont encore empiré durant un autre aller-retour à Paris, à la mi-mars. Même si les frontières canadiennes n’étaient pas encore fermées, il y avait moins de gens dans l’avion – surtout des touristes qui rentraient chez eux, et ils semblaient tellement reconnaissants qu’on les ramène… au point de nous applaudir. C’était incroyable! De notre côté, la compagnie nous avait finalement autorisés à porter des masques et à n’assurer qu’un minimum de service en vol pour limiter les contacts. Même les boîtes à lunch étaient distribuées sur les sièges avant l’embarquement.

À Paris, l’armée surveillait les rues et on devait rester à l’hôtel le plus possible. Inutile de dire que je me suis encore cloîtrée dans ma chambre et que j’ai désinfecté du mieux que je pouvais. Je peux dire que je paniquais, et le moindre petit mal de gorge ou début de migraine avait le potentiel de me faire grimper dans les rideaux. Cette fois-là, en plus de mes lingettes, j’avais apporté une trousse de survie : un thermomètre (je prenais ma température aux deux minutes), des Tylenol à la tonne, du Gravol, mes pompes pour l’asthme, des somnifères, plus de vêtements de rechange qu’il m’en fallait… c’était complètement fou !

Environ une semaine plus tard, après avoir ramené des gens des Caraïbes, un vol où j’ai été choquée de voir l’insouciance de certains Québécois qui se contre-fichaient des consignes, j’étais de retour en Europe pour rapatrier d’autres Canadiens. Là, personne ne rigolait plus. Les frontières fermaient les unes après les autres et les équipages avaient carrément peur de rester coincés de l’autre côté de l’Atlantique. À un moment donné, j’ai bien pensé ne plus pouvoir partir du Portugal, où j’avais atterri fin mars, surtout que des collègues étaient apparemment infectés, mais la compagnie aérienne m’a rassurée : « Pas question de vous abandonner à destination. » Dans les circonstances, l’entreprise a été parfaite.

Depuis le début d’avril, je suis donc de retour chez moi en quarantaine pour encore quelques jours. Je croise les doigts, mais pour le moment, je n’ai pas développé de symptômes de la maladie. Cela dit, je respecte un isolement strict, car je ne me pardonnerais pas si mon mari ou mes enfants l’attrapaient.

Le temps est parfois long dans la pièce où je suis confinée, mais ça me donne l’occasion de réfléchir sur ce que je ferai pour la suite des choses. Les avions seront certainement cloués au sol pour un bon moment. Pendant ce temps, j’aimerais aider. Peut-être même en faisant du bénévolat auprès de personnes en fin de vie.

Je réfléchis encore. Ça tombe bien : j’ai le temps d’y penser.

(Les noms ont été modifiés). Propos recueillis par Jessica Dostie.

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