On l’appelle simplement Greta. Comme on dit Rihanna, Madonna ou Véro. L’ado la plus connue du monde se passe désormais de présentation tant ses prises de position radicales mais pacifistes pour soutenir la lutte contre la crise climatique font parler d’elle depuis un peu plus d’un an.

De la grève scolaire à la mobilisation planétaire

Il y a eu d’abord son sit-in devant le Parlement suédois, à l’origine de sa grève scolaire du vendredi, imitée par des millions de jeunes dans le monde. Puis, sa présence à différents événements internationaux sur le climat, à commencer par la COP24 à Katowice, en Pologne, suivie du Forum économique mondial, à Davos, en Suisse, et du Sommet Action Climat de l’ONU, à New York, où elle s’est rendue après une longue traversée de l’Atlantique à bord d’un voilier zéro carbone.

Chaque fois, ses discours enflammés dénonçant l’inaction et l’immaturité des leaders politiques – «La maison brûle», «Comment osez-vous?», «Vous n’êtes pas assez mûrs pour dire les choses telles qu’elles sont!» – ont provoqué une onde de choc, suscitant autant l’adhésion populaire que les plus virulentes critiques. Ses propos dérangeants irritent non seulement des politiciens tels que Donald Trump, Vladimir Poutine, Jair Bolsonaro, Emmanuel Macron et Maxime Bernier, mais aussi certains intellectuels censés réfléchir sur les enjeux de la société, comme Bernard Pivot, Michel Onfray, Alain Finkielkraut et Denise Bombardier.

Nouveau symbole de la conscience climatique pour les uns, mascotte d’un mouvement de propagande verte pour les autres, la célèbre militante aux nattes châtaines a néanmoins réussi en un an ce que des activistes tentent d’accomplir depuis des décennies: mobiliser la jeunesse à la cause environnementale comme jamais auparavant et semoncer les décideurs pour les inciter à poser des actions concrètes visant à faire descendre le thermomètre. Tout ça, en s’appuyant sur les constats alarmants de la science.

Car qu’importe sa tribune, son message demeure le même: pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, il faut diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre au cours des 10 prochaines années, puis par quatre d’ici 2050.

«Vous avez volé mes rêves et mon enfance.»

Bien avant de devenir l’égérie du mouvement de jeunes Fridays for Future, Greta a rêvé, comme tous les autres enfants. Jusqu’à ce qu’elle cesse de rêver. Elle a alors huit ans. Les images d’ours polaires affamés et de plastique dérivant dans l’océan qu’elle a vues en classe la sidèrent. Le fait que cette menace à la survie de la civilisation ne trône pas en tête des priorités la rend malade, au point de la faire sombrer dans la dépression. À 11 ans, on lui diagnostique le syndrome d’Asperger. Mais le dérèglement du climat la préoccupe bien davantage.

Greta, qui voit le monde tout en noir ou en blanc, se met à penser: «Je pourrais faire quelque chose de bien au lieu de déprimer. Si j’ai des enfants, ils me demanderont des comptes.» Ce jour-là, elle décide de passer à l’action. Elle dévore tout ce qu’elle peut sur le sujet. D’ordinaire si timide et silencieuse, elle implore sa mère, Malena Ernman, chanteuse d’opéra, son père, Svante Thunberg, acteur, auteur et producteur, et sa sœur cadette, Beata, de réduire leur empreinte carbone. Elle-même devient végane.

Le 20 août 2018, seule devant le Parlement avec sa fameuse pancarte «Skolstrejk för klimatet» (grève scolaire pour le climat), elle distribue des tracts détaillant des faits scientifiques. La première chose qu’elle fait est d’afficher ses actions sur les réseaux sociaux. «C’est vite devenu viral», raconte-t-elle sur sa page Facebook. Pour s’assurer de la justesse de son propos, Greta consulte d’éminents chercheurs, comme le climatologue belge Jean-Pascal van Ypersele, ancien vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). «Cette fille est surdouée, déclare-t-il dans le journal Le Monde. Elle a une connaissance des mécanismes en jeu dans la crise climatique bien supérieure à celle de la majorité des décideurs. Ce que le GIEC dit avec froideur, elle le résume simplement: on s’en va tout droit dans le mur.

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La marche du monde

Ses gestes de protestation ont fait descendre des millions de jeunes et de moins jeunes dans les rues. Rien qu’à Montréal, près de 500 000 citoyens lui ont emboîté le pas lors de la grande marche pour le climat, le 27 septembre dernier. Juste avant, la jeune militante s’est adressée aux journalistes et au public pendant un point de presse dans le jardin du monastère du Musée des Hospitalières. Rosemonde Gingras, relationniste, animait la conférence. «Il y a quelque chose de monastique chez elle, relate-t-elle. Elle est à la fois très présente et modeste. Son charisme réside dans sa force, son authenticité et son humour.» À la fin de cette manifestation historique, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, lui a remis les clés de la Ville et l’a invitée à signer le Livre d’or. Une photo montre une Greta tout sourire, plume à la main. La raison? «Je lui ai dit que jamais personne n’avait osé dessiner dans le Livre d’or. Ça l’a fait sourire, et elle a accompagné sa signature d’un dessin, confie la mairesse. Au-delà de la figure médiatique qu’elle est devenue, Greta reste avant tout une adolescente déterminée, qui, par ses convictions, rassemble les gens autour de l’enjeu de notre génération. Je ne peux qu’être inspirée par cette jeune fille qui se tient debout devant ses trop nombreux détracteurs.»

Et après?

À court terme, elle se rendra assurément à la COP25, à Santiago, au Chili, en décembre. Le reste lui appartient. «Greta a été l’initiatrice incontestable d’une mobilisation, mais il ne faut pas lui en faire porter tout le poids, estime Aurélie Sierra, sociologue de l’environnement. La suite du mouvement se situe localement, au sein de la population.» Pour les militants d’Extinction Rebellion, toutefois, le pacifisme de Greta ne suffit plus. L’heure est à la désobéissance civile. «Souhaitons-lui de décider elle-même de la nature de son engagement, peut-être auprès du gouvernement de son pays», insiste Aurélie Sierra. Greta Thunberg, future ministre de l’Environnement? À suivre…