Au péril de leur vie, les Iraniennes scandent leur désir de liberté et d’égalité en brandissant rageusement leur voile: «Femme, vie, liberté!». Depuis des semaines, elles sont sur la ligne de front d’une mobilisation populaire inégalée, qui secoue le régime iranien. Inspirant les femmes un peu partout dans le monde, leur mouvement est décidément féministe.

Ce sont quelques cheveux qui ont mis le feu aux poudres. Le 16 septembre dernier, une Iranienne d’origine kurde de 22 ans, Mahsa «Jina» Amini, meurt dans des circonstances suspectes à l’hôpital, après avoir passé trois jours dans le coma. Elle avait été arrêtée par la «police de la moralité» – des miliciens en civil qui veillent au respect du port obligatoire du hijab – pour avoir exposé quelques mèches de ses cheveux.

La mort de Mahsa Amini a été l’étincelle qui a enflammé la colère des Iraniennes. Depuis, des femmes d’un peu partout en Iran enlèvent leur voile en signe de défi, elles le brûlent ou se coupent les cheveux en signe de protestation. Et elles ne sont pas seules. Elles ont été rejointes par des dizaines de milliers de personnes, qui protestent tous les jours dans ce pays contre ce régime théocratique et sa vision obscurantiste de l’islam.

Depuis 1979, les Iraniennes se sentent comme des citoyennes de seconde zone. Elles sont soumises à la tutelle masculine, elles sont écartées de l’espace public, elles doivent entrer dans les autobus par une porte séparée ou encore voiler leur corps de façon excessive – la police de la moralité soumet régulièrement les Iraniennes à des détentions arbitraires, à de la torture et à d’autres mauvais traitements, selon Amnistie internationale. Le port obligatoire du voile par les femmes est devenu, non seulement un symbole religieux, mais un symbole du pouvoir et de l’identité du régime des ayatollahs.

«Il faut remettre en question le port du hijab et résister aux représentations hégémoniques du voile utilisées par diverses institutions politiques et religieuses internationales pour leurs propres programmes.»

La mobilisation contre l’oppression

Les manifestations, qui ont commencé à se produire en réponse aux restrictions faites aux femmes, ont évolué en un mouvement pour renverser le gouvernement. Armées de leur seul courage, les personnes qui manifestent font face à une violente répression des policiers, qui utilisent un arsenal de bâtons, de canons à eau, de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc et même de balles réelles. Plus de 250 manifestants ont été tués en six semaines selon l’organisation de défense des droits de la personne Iran Human Rights.

Dans plusieurs cas, le régime a tenté de camoufler des meurtres en morts naturelles ou en suicides, en exerçant des pressions et des menaces auprès des familles des victimes. Selon les autorités, Mahsa Amini souffrait de problèmes cardiaques – ce qui a été démenti par la famille. Le suicide aurait également été évoqué pour expliquer la mort des jeunes manifestantes Sarina Esmailzadeh, 16 ans, qui a été tuée à coups de bâtons, et Nika Shakarami, 17 ans, qui était pourchassée par des forces de sécurité avant de disparaître et d’être identifiée à la morgue 10 jours plus tard.

Et le bilan des victimes pourrait encore s’alourdir fortement, en sachant la violence que le régime est prêt à utiliser pour se maintenir au pouvoir. La République islamiste a ainsi réprimé dans le sang les manifestations de 2019 organisées contre l’augmentation du prix du carburant dans un contexte de crise économique. Environ 1500 personnes ont été tuées en moins de deux semaines, selon une enquête de l’agence Reuters, alors que le pays était plus ou moins isolé du reste du monde à cause de la multiplication des coupures arbitraires d’Internet.

Encore aujourd’hui, le régime iranien maintient la ligne dure, en refusant tout examen de conscience et en rejetant la faute sur l’Occident, qu’elle accuse d’être à l’origine du soulèvement populaire. Mais malgré les risques qu’elles courent, les Iraniennes ne semblent pas prêtes à plier l’échine devant Goliath. Et si le port du voile est devenu un symbole de leur oppression, c’est bien parce que leur droit de choisir ce qu’elles portent, ce qu’elles disent, ce qu’elles font a été bafoué.

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Pour le libre choix des femmes

Le combat des Iraniennes a engendré un grand mouvement de solidarité partout sur la planète. Des dizaines de milliers de personnes se sont déjà rassemblées dans diverses villes du monde pour appuyer leur mobilisation, sans parler des campagnes sur les médias sociaux. Dans le pays voisin, l’Afghanistan, le mouvement de contestation donne de l’espoir aux femmes afghanes, qui manifestent régulièrement pour faire valoir leur droit à l’éducation et à l’emploi, alors que le régime des talibans continue de faire fi de leurs droits.

Les protestations en Iran résonnent d’une façon particulière en Inde, où les tensions augmentent autour du port du voile. Plusieurs personnalités hindoues ont ainsi affirmé soutenir le combat des femmes iraniennes, sans pourtant s’émouvoir de la répression croissante que vivent les femmes musulmanes sur le sol indien depuis la montée de l’islamophobie et du parti nationaliste hindou au pouvoir, qui a capitalisé sur ce sujet délicat.

«Il faut remettre en question le port du hijab et résister aux représentations hégémoniques du voile utilisées par diverses institutions politiques et religieuses internationales pour leurs propres programmes», avancent des chercheuses dans une étude publiée en 2018 sur le hijab en tant qu’emblème idéologique en Iran et en Turquie, un pays de tradition laïque où le voile a longtemps été banni de l’espace public, notamment des universités. «Dans ces deux pays, les femmes n’ont [historiquement] pas le droit de décider de porter ou non le voile, ce qui a galvanisé les femmes dans leur lutte pour la reconnaissance [du droit de porter ce qu’elles veulent].»

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