Vous vous souvenez de cette vidéo qui montrait, en accéléré, comment l’image d’une fille ordinaire pouvait être manipulée avant de se retrouver, méconnaissable, sur un panneau publicitaire géant? C’était Evolution, de Dove. Un petit film publicitaire qui a eu l’effet d’un véritable raz-de-marée: la vidéo a été regardée 40 000 fois dans les 24 heures suivant sa publication sur le site YouTube, en octobre 2006, puis 12 millions de fois dans l’année d’après. Pas surprenant: enfin un géant comme Dove osait dénoncer haut et fort les diktats de la beauté martelés par la publicité depuis des lustres! La compagnie a poursuivi la réflexion en présentant, dans toutes ses publicités, des images célébrant la diversité des femmes: grandes ou petites, minces ou rondes, jeunes ou vieilles, blanches ou noires.

Le cri d’alarme lancé par Dove a trouvé écho. Plusieurs magazines ont emboîté le pas en présentant dans leurs pages des modèles féminins différents: Glamour n’a pas craint de montrer l’image d’un mannequin, Lizzie Miller, au ventre joliment rebondi; le très pointu V Magazine a publié un audacieux «spécial courbes», et le magazine allemand Brigitte a décidé, depuis le début de cette année, de bannir les mannequins de ses pages afin de ne travailler qu’avec de "vraies" femmes. Plus près d’ici, chez ELLE QUÉBEC, la sensuelle Crystal Renn a été la star de trois éditoriaux mode, sans compter le reportage que nous avons consacré à la première semaine de la mode XXL, à New York. Confirmant cette tendance, c’est une femme comme vous et moi qui apparaîtra dans la prochaine campagne publicitaire de Pantene: elle sera la gagnante de la toute première «pub réalité».

 





Les «vrais» hommes

En lançant sa nouvelle gamme de soins pour hommes, la ligne Dove Men Care, voilà que le fabriquant de savon récidive, en s’attaquant cette fois à l’image des hommes dans la pub. Selon une étude mondiale menée par la compagnie, 73% des hommes sondés ne se reconnaissent pas dans les rôles masculins présentés par la publicité. Cette nouvelle campagne s’est donc donné comme mission de réviser notre définition de la masculinité, en présentant des modèles plus réalistes. La première publicité télévisée dénonce avec humour tout ce que doit faire un gars pour être considéré comme «un homme, un vrai», tandis que la campagne imprimée montre, entre autres, un père esquissant un élan d’affection envers sa fille. «[Les hommes] n’ont pas l’impression de se montrer à la hauteur des attentes et des exigences de la masculinité, telle que représentée dans les médias et la culture populaire d’aujourd’hui», dénonce le Dr Michael Kaufman, spécialiste de la masculinité. Selon lui, les modèles qui sont présentés par les médias sont des types d’hommes toujours en contrôle, qu’ils soient un grand séducteur, un puissant businessman ou un brillant athlète. Mais, comme nous le rappelle ironiquement le présentateur de la dernière campagne de Old Spice, nos chums n’ont absolument rien à voir avec cet idéal masculin construit de toutes pièces…

Les loosers de service

Parlant de nos chums, sentent-ils de leur côté la pression de faire un Jack Shepard d’eux-mêmes? Selon Karl-Frédéric Anctil, directeur de la création de l’agence de publicité Ekorce, les valeurs de performance ne sont pas autant mises de l’avant au Québec. «Ici aussi on retrouve le cliché de l’homme en contrôle de ses moyens, mais surtout celui du looser de service», déplore ce dernier. «En tant que Québécois de 32 ans, je ne me reconnais pas vraiment dans les loosers des Invincibles», ajoute-t-il. Selon Marie-Claude Ducas, rédactrice en chef du magazine Infopresse, on doit ce phénomène de sexisme inversé au féminisme: puisqu’on peut difficilement déprécier les femmes en publicité, les rôles de maladroits reviennent systématiquement aux hommes. «Afin de raconter une histoire en 30 secondes, la publicité a recours à des stéréotypes», explique-t-elle. Elle ajoute que la pub puise aussi dans certains idéaux: quel homme ne voudrait pas être beau, fort et séducteur? Quelle femme ne désire pas être belle?

Marie-Claude Ducas dénote toutefois qu’il y a, de part et d’autre, un désir de revenir à une image plus nuancée. En ce sens, la campagne de Dove est tout à fait dans l’air du temps. Mais la nouvelle campagne pour hommes aura-t-elle autant d’impact que la première mouture conçue pour les filles? Marie-Claude Ducas et Karl-Frédéric Anctil s’entendent tous deux pour dire que cette première offensive s’attaquait à un problème ancré beaucoup plus profondément dans notre société, et que son pendant masculin n’aura certainement pas la même répercussion. «Cela amorce un vent de changement, croit toutefois Karl-Frédéric Anctil. J’ai hâte de voir la suite!»

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