Mes rapports à la sexualité, au désir et à la féminité se sont beaucoup construits autour des produits culturels que je consommais. Ce n’est qu’en vieillissant que j’ai réalisé à quel point on m’avait montré une image incomplète de la sexualité. Aujourd’hui, le vent a tourné. On semble vouloir finalement s’intéresser à toutes les nuances qui composent notre intimité. Rencontre avec l’autrice et comédienne Sarah-Maude Beauchesne et la sexologue Laurence Desjardins pour parler de l’impact du #metoo sur la mise en images de notre sexualité.

Sur le terrain

Sarah-Maude Beauchesne est une artiste qui a un double regard: elle scénarise ses projets et elle y joue, à la manière de Phoebe Waller-Bridge et de Lena Dunham. Elle a vécu sa première expérience devant la caméra dans une série – la sienne – où les relations amoureuses étaient l’un des thèmes principaux. En tant que scénariste, elle confie ne pas s’être censurée dans l’écriture des scènes à caractère sexuel. Au moment où elle écrivait Fourchette, elle ignorait qu’elle allait incarner le personnage principal, Sarah. Fidèle à elle-même, elle voulait créer une histoire authentique qui montre une sexualité empreinte de réalisme.

Mais une fois devant la caméra, comment le tournage des scènes parfois osées s’est-il passé? «J’ai eu la chance d’avoir un partenaire de jeu extraordinaire (le comédien Guillaume Laurin). Mais je devais quand même embrasser à pleine bouche quelqu’un que je n’avais pas envie d’embrasser à pleine bouche», confie la comédienne. On peine à imaginer la situation quand on n’a jamais eu à «jouer» le désir, mais Sarah-Maude me fait réaliser que si toutes les scènes sont fausses psychologiquement, elles sont bien réelles pour le corps. Les acteurs, peu importe leur genre, ont besoin de pouvoir accéder à des zones de vulnérabilité en toute sécurité. Sur un plateau de tournage, comme dans la vraie vie, le lien de confiance est la clé.

Une prise de conscience générale

Selon Sarah-Maude, les multiples vagues de dénonciations qui ont secoué le milieu artistique ont eu des incidences sur les plateaux de tournage. «Il y a encore beaucoup de choses à changer, mais des questions se posent au sujet des scènes à caractère sexuel, et on prend le temps d’avoir des discussions», dit la scénariste.

«Ce que je trouve bien pour les comédiennes de ma génération et moi, c’est que nous apprenons à reprendre possession de notre pouvoir en tant que femmes. Je sens que nous sommes davantage écoutées.» Concrètement, Sarah-Maude assume le fait de vouloir de plus en plus de femmes sur les plateaux de tournage où elle travaille.

C’est aussi à la suite de ces vagues de dénonciations que Laurence Desjardins et Roxane Néron ont eu l’idée de créer INTImédia, une compagnie spécialisée dans la consultation et la coordination des scènes d’intimité sur les plateaux et sur scène. Leur mission? «On veut être un haut-parleur pour les artisans lorsque leur voix n’est pas entendue ou respectée à cause d’une mauvaise communication. On peut travailler avec les comédiennes et comédiens, les personnes à la réalisation et à la production pour faire respecter les paramètres du scénario et les limites des personnes engagées dans l’action», explique Laurence, sexologue. Il est aussi possible d’engager Laurence et Roxane au début de la production afin de réfléchir à la manière de tourner certaines scènes. Elles le feront notamment pour le film Noémie dit oui, de la réalisatrice Geneviève Albert, qui plonge dans l’univers de la prostitution. Les coordonnateurs d’intimité sont de plus en plus présents sur les plateaux américains, mais jusqu’à tout récemment, ce service n’était pas offert au Québec. Dans ce domaine, tout est encore à construire.

«On veut être un haut-parleur pour les artisans lorsque leur voix n’est pas entendue ou respectée à cause d’une mauvaise communication.»

Créer dans la bienveillance

«La sexualité fait partie de l’expérience humaine et se trouve dans beaucoup de scénarios, mais ce n’est pas banal pour les actrices et les acteurs de s’exposer de cette façon», souligne la sexologue. Une scène de baiser à pleine bouche peut être étrange pour les comédiennes et les comédiens, alors imaginez lorsqu’il s’agit de scènes à caractère sexuel où une personne doit subir une agression ou en faire subir une à quelqu’un d’autre. Dans ces cas-là, le rôle des coordonnateurs d’intimité est de veiller à ce que ces scènes soient tournées dans les meilleures conditions possibles.

Sarah-Maude salue l’initiative d’INTImédia. «Si on me dit qu’il y aura un coordonnateur d’intimité sur un plateau de tournage, c’est un gros plus. C’est un beau geste, qui montre qu’on prend bien soin de nous.» Pour Fourchette, elle confie ne pas avoir ressenti le besoin de faire appel à cette entreprise parce que la réalisatrice, Catherine Therrien, est une amie proche. «Catherine, c’est un peu ma coordonnatrice d’intimité», dit-elle en riant. Elle amène toutefois une nuance importante en ce qui concerne les tournages où des adolescentes et adolescents tiennent un rôle. «Lorsqu’il y a des ados sur un plateau, ce genre d’initiative devrait être obligatoire. Pour les mineurs, il faut absolument qu’il y ait une personne-ressource.» Après tout, certains jeunes ont parfois à jouer des choses importantes qu’ils n’ont pas encore vécues dans leur vie.

De l’espoir pour les prochaines générations

À l’adolescence, j’aurais aimé qu’on me montre plusieurs modèles de féminité, qu’on valorise la diversité sexuelle au lieu de nourrir des tabous, qu’on me montre une sexualité moins phallocentrique. Comme spectatrice, c’est donc un bonheur de voir des autrices telles que Sarah-Maude Beauchesne créer des fictions nuancées, proche de la réalité. Et c’est un bonheur encore plus grand de savoir que des histoires pourront être tournées de manière bienveillante, à une époque où l’on souhaite prendre le temps d’écouter les limites de tout un chacun.

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