Faisons un petit saut dans le passé. Nous sommes en l’an 2000, et 30 millions de personnes regardent la finale de la 6e saison de la populaire télé-série Friends.

Vers la fin de l’épisode, Chandler retrouve Monica dans leur appartement, qu’elle a éclairé d’une centaine de bougies. Elle met un genou à terre, et le public, comprenant ce qui va se passer, rit aux éclats ! « Il y a une raison pour laquelle ce ne sont pas les femmes qui font ça ! » s’écrie-t-elle. Chandler s’agenouille alors devant elle, lui fait un beau discours, puis, finalement, lui demande de l’épouser. La foule en délire est soulagée: l’ordre de la romance telle qu’on la connaît a été restauré. Cette année-là, dans Sex and the City, on a aussi eu droit à une scène où Charlotte demande accidentellement Trey en mariage, avant que celui-ci ne l’emmène chez Tiffany pour lui faire la « vraie » demande.

Plus de 22 ans se sont écoulés depuis la diffusion de ces épisodes de la version originale, et, pourtant, le sujet est dans l’air du temps. Même dans un contexte de progrès social, de libération sexuelle et de conversations importantes sur le consentement, une tradition encore bien vivante entoure la fameuse demande en mariage: panorama de rêve, déclaration romantique, genou à terre, boîtier en velours, gros diamant et coupes de champagne. Sans oublier, évidemment, la photo sur Instagram de ladite pierre brillante et de la main aux doigts fraîchement manucurés, le tout accompagné d’un « J’ai dit oui! » et de quelques émoticônes bien choisis. Dans ce scénario, chacun connaît son rôle.

Femmes Modernes

Les couples non binaires et homosexuels ont adapté (ou rejeté) certains aspects d’un rituel établi depuis des décennies, mais les femmes qui vivent dans une relation hétérosexuelle sont peu nombreuses à faire la grande demande: elles ne seraient que 5 % à oser. Même les femmes bien de leur temps qui, pourtant, vivent de manière non traditionnelle, en cohabitant avec leur partenaire ou en ayant des enfants en dehors du mariage, par exemple, adhèrent en majorité à cette coutume culturelle, qui, bien que considérée comme romantique, est pourtant datée.

« On ne m’a jamais autant dit que j’étais une femme “moderne” que depuis que j’ai décidé de demander mon petit ami en mariage lors d’une belle journée d’automne », dit Ariel Buckley, une gestionnaire de contenu d’une trentaine d’années. « Je ne suis pas certaine que ce soit un compliment », ajoute- t-elle, mi-figue mi-raisin. Elle qui adore les mariages, pleure en regardant des films d’amour et se qualifie de « romantique cynique » a été surprise par la réaction de certaines personnes face à sa décision. « Quand elles apprenaient que c’était moi qui avais fait la grande demande, je voyais leur visage se décomposer. Je devais alors les rassurer: promis, je ne l’ai pas forcé à dire oui! C’est étonnant, parce que mon entourage est plutôt ouvert d’esprit. » Parfois, elle précise: « Il allait de toute façon faire sa demande bientôt, devant le Grand Canyon », mais la jeune femme admet que c’est le signe que son propre conservatisme sur la question persiste malgré tout.

Trop souvent, les hommes hétéros partent du principe que, d’emblée, toutes les femmes veulent se marier et qu’ils doivent prouver leur engagement envers elles en faisant une demande extravagante et romantique. Même dans l’émission américaine The Bachelorette, où la femme détient tout le pouvoir, c’est l’homme qu’elle choisit qui, à la fin, doit décider ou non de lui faire la grande demande. Au mieux, une demande en mariage traditionnelle est un pur jeu de rôle, une comédie romantique, une danse symbolique. Au pire, c’est un conte de fées un peu tragique dans lequel la princesse attend des années les fameux mots magiques. Mais entre le rituel romanesque, voire fleur bleue, et la décision sans flaflas de se demander mutuellement en mariage, comment faire la part des choses?

« Des femmes viennent nous voir pour faire faire leur bague, puis elles demandent leur petit ami en mariage et se mettent elles-mêmes la bague au doigt », raconte Susan Shaw, cofondatrice d’Attic, la marque de bijoux qui a créé la bague en or gravé qu’Ariel a offerte à son fiancé (ainsi que le joli jonc que cette dernière a conçu pour elle-même).

« Et pourquoi pas? Les hommes nous montrent les tableaux Pinterest de leur petite amie, et les couples homosexuels viennent nous voir ensemble pour faire faire leurs bagues, avant qu’un des partenaires fasse sa demande ou après qu’il l’ait faite. C’est parfaitement logique, à mon avis. Pourquoi porteriez-vous toute votre vie un anneau qui ne vous convient pas ou qui ressemble à tant d’autres ? »

Susan Shaw fait partie de ce qu’elle appelle « la communauté du mariage alternatif », une part en pleine croissance d’un marché mondial de 370 milliards de dollars. Dans cette communauté, on s’occupe du mariage de rêve de ceux qui souhaitent autre chose que ce que proposent habituellement les magazines spécialisés dans les mariages, et pour qui l’affaire est une question de sentiments et de symboles, et non de carats et de voile blanc délicat. L’experte ne croit pas que ses clients veulent à tout prix inverser les rôles homme-femme, mais plutôt rendre le processus plus personnel.

«Quand [les gens] apprenaient que c’était moi qui avais fait la grande demande, je voyais leur visage se décomposer. Je devais alors les rassurer: promis, je ne l’ai pas forcé à dire oui! »

Pied d’égalité

Pratima Arapakota, une Canadienne qui travaille en Californie, n’a jamais eu l’intention de respecter les règles matrimoniales établies. Lorsque son petit ami l’a demandée en mariage, elle a immédiatement accepté, mais elle savait qu’elle voulait le surprendre à son tour. Quelques semaines plus tard, elle lui a donc fait cadeau d’une bague en bois et d’un gâteau sur lequel était inscrit: « Veux-tu m’épouser ? »

La réponse de son amoureux a évidemment été encore plus prévisible que la sienne, mais elle dit que ce geste lui a donné l’impression d’être sur un véritable pied d’égalité avec lui. À peu près au même moment, la skieuse olympique américaine Lindsey Vonn a demandé en mariage son fiancé, le hockeyeur P.K. Subban, et a annoncé l’événement sur son compte Instagram en ajoutant le mot-clic #equality à sa publication.

Le geste de Pratima Arapakota a également préparé le terrain pour un mariage peu courant, où se sont entremêlées les traditions occidentales et celles de l’Inde du Sud, mais adaptées au goût des amoureux. Ils ont offert des décorations corporelles au henné à tout le monde (et pas qu’aux femmes), par exemple, et ont renoncé aux alliances. Pratima dit n’avoir jamais ressenti de pression de la part de sa famille ou de ses amis à propos du rituel, et que le fait de ne pas considérer le mariage comme « le jour le plus important de sa vie » l’a aidée à relativiser les choses. Elle a interprété certaines traditions à sa façon — par exemple, elle a demandé à ses deux parents de la conduire à l’autel. Pour Ariel, la planification de son mariage a aussi été un heureux mélange de coutumes d’antan et d’autres qui ont été réinventées. « On veut que les traditions choisies, ou ce qu’elles sont devenues aujourd’hui, nous ressemblent », dit-elle.

En 2022, un mariage peut simplement être une excuse pour faire la fête avec ses amis et sa famille, tout comme un enterrement peut être une célébration de la vie, ou un shower de bébé, un souper élégant exempt de jeux nécessitant des couches. Les traditions se réinventent, et une demande en mariage au féminin ne doit plus être une blague qui fait rire les téléspectateurs, mais un geste sincère et significatif. Alors, on dit oui au changement!

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