Une entrevue, c’est comme une expérience de speed dating intellectuel extrême, une partie de ping-pong verbale. Une discussion encadrée, minutée, avec un angle précis et des règles du jeu prédéterminées. Une rencontre qui se situe dans un monde parallèle, hors du temps. Autour d’un micro, on joue, on se lance la balle, et bien souvent l’échange trouve son rythme, les idées rebondissent, le contact se fait. Parfois, rarement, le contrôle nous échappe, et la balle se perd dans le décor. En tombant récemment sur une entrevue qu’a accordée le chanteur français Jean-Louis Murat à un magazine de l’Hexagone, je me suis retrouvée plongée dans un des pires souvenirs de ma carrière… En lisant ses propos lesbophobes et sexistes, je me suis sentie propulsée à l’intérieur d’une machine à voyager dans le temps. J’avais de nouveau 22 ans et j’interviewais ce même M. Murat. Et j’ai revécu la seule et unique entrevue où j’ai eu du mal à garder mon calme, où j’ai failli perdre pied tellement l’échange était houleux. LA fois où je me suis sentie prisonnière de mon studio.

J’animais à l’époque une émission à CIBL, la radio communautaire qui avait alors pignon sur rue dans un vieil édifice du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Je recevais pour la première fois ce chanteur français à la fois adulé et méconnu, ce chanteur que j’aimais, que je trouvais poétique et inspiré: Jean-Louis Murat. J’étais au début de ma carrière, un peu intimidée, très bien préparée. On m’avait dit qu’il était difficile, sauvage, surtout en présence d’une femme. Je me disais que j’en avais vu d’autres: des musiciens qui sentent le fond de tonneau, des ultratimides, des baveux, des idoles dont la seule évocation du nom donne le vertige. Je n’avais rien vu…

 

D’entrée de jeu, mister Murat m’annonce qu’il se sent menacé par ma voix. Qu’elle est trop grave et assurée. Qu’une vraie femme se doit d’avoir une petite voix, comme toute bonne chanteuse française. La discussion se poursuit sur le même ton, celui de la confrontation. J’ai commencé à sentir les murs vaciller quand il m’a parlé de son amour pour la chanteuse PJ Harvey, qu’il aimait pour sa beauté. Question de l’intervieweuse: «Mais encore?» Réponse du chanteur: «Parce qu’elle est jolie, c’est tout. Et c’est bien assez pour une femme. Vous, vous êtes jolie, et on ne vous en demande pas plus.» Aïe. La jeune fille que j’étais avait envie de l’envoyer paître de tout son coeur. Mais l’animatrice qui la doublait devait poursuivre cette conversation avec force et dignité.
Je suis sortie de l’entrevue tremblante, furieuse, bouleversée. Et une boule de colère m’a de nouveau noué le ventre quand j’ai lu ce récent article, où Jean-Louis Murat tenait le même genre de propos misogynes. Je me suis demandé comment s’était senti le journaliste français pendant cette conversation. Et surtout, pourquoi, pourquoi on donne encore une tribune à ce genre de discours arriéré…

 

Les entrevues de ma vie

La plus drôle Marc Labrèche est sûrement la personne la plus hilarante que j’aie interviewée. Je remercie encore mon monteur, qui a su enlever des bouts de mes fous rires pour que je ne glousse pas pendant toute l’entrevue!

La plus impressionnante À 16 ans, je m’étais promis que si je devenais animatrice un jour, j’interviewerais Michael Stipe, le chanteur de R.E.M., une de mes idoles de jeunesse. Après des années d’essais et d’échecs (il ne donne pratiquement pas d’entrevues!), j’ai finalement obtenu l’entretien dont je rêvais, à New York, au Rock and Roll Hall of Fame. Magique.

La plus absurde En guise d’hommage, je suis arrivée à un rendezvous avec Philippe Katerine déguisée… en lui! Il a été ému aux larmes, puis m’a spontanément donné un cours de danse digne d’un film de série B. Totalement décalé.

La plus désta bilisante Toutes les rencontres que j’ai eues avec le comédien Éric Bernier ont été pleines d’esprit et de répliques savoureuses. Mais la dernière fois que j’ai partagé un plateau avec lui, il m’a complètement déstabilisée! Vers la fin de l’entrevue, alors qu’on était en plein délire, il m’a embrassée. Oui, oui, un vrai french-spectacle en direct à la télé! Résultat: une animatrice sous le choc! 

 

 

À LIRE: Chronique de Catherine Pogonat: La trame sonore de ma vie