En quelque 25 ans de carrière, Annabelle en a vu de toutes les couleurs dans le CHSLD du Grand Montréal où elle travaille. La préposée aux bénéficiaires, aujourd’hui en quarantaine chez elle parce qu’elle a contracté la COVID-19, avoue toutefois n’avoir jamais vu rien d’aussi poignant que la situation qui a cours dans les centres d’hébergement pour personnes âgées. Voici son témoignage.

J’ai choisi ce métier parce que j’aime aider et prendre soin des autres. À force de côtoyer nos patients quotidiennement, de passer beaucoup de temps avec eux parce qu’on leur procure toutes sortes de soins, on devient très proches et on s’attache. Ce qui se passe actuellement, je n’ai jamais vu ça… C’est comme une bombe qui vient de tomber. Beaucoup ne passeront pas à travers ; beaucoup sont déjà décédés.

Quand les premiers cas de COVID-19 ont été détectés dans notre établissement, vers la mi-mars, les patients ont été isolés dans une zone qui n’était pas aménagée pour ça. C’est normal: on n’est pas équipés comme dans un hôpital avec des chambres à pression négative. En plus, il n’y avait même pas de lavabo à proximité ! Ce n’était donc pas vraiment possible de se laver les mains à l’eau et au savon parce qu’on n’avait pas le temps de laisser nos patients afin de se rendre aux toilettes les plus près, alors on n’utilisait que du gel désinfectant.

Les changements de culottes devaient aussi se faire avec du savon sans rinçage… On n’avait pas le choix. Et je vous laisse imaginer comment ça se passait concrètement, parce que la plupart de ces personnes infectées étaient en diarrhée. Ce n’était vraiment pas drôle. Certes, nous portions tout l’équipement recommandé – le masque de procédure, les lunettes, la visière, les gants, la jaquette – mais comment savoir si c’était vraiment suffisant?

Assez rapidement, pratiquement tous les résidents de la bâtisse ont été déclarés positifs. C’est à ce moment, fin mars, début avril, qu’on a abandonné la zone d’isolement pour rapatrier tout le monde dans sa chambre pour que ce soit un peu plus facile, mais on n’était pas au bout de nos peines. Déjà, on était en manque d’effectifs, et la pénurie de personnel s’aggravait de jour en jour, entre autres parce que les employés tombaient eux aussi malades.

Durant cette période, il m’est souvent arrivé de rester sur place longtemps après mon quart de travail. Je ne pouvais tout simplement pas partir en sachant qu’il n’y avait qu’une infirmière pour tout le département, et ce, même si je suis maman monoparentale et que mes enfants m’attendaient à la maison. C’est un travail exigeant en temps normal, mais avec des patients infectés par le nouveau coronavirus, c’est encore pire parce qu’ils demandent beaucoup de soins.

Un peu avant Pâques, j’ai remarqué que j’étais plus fatiguée qu’à l’habitude, mais je ne m’en suis pas fait outre mesure, car je venais de faire deux journées de travail de 16 heures. À la même période, mon employeur a décidé de tester tout le personnel. Quelques jours plus tard, on me téléphonait pour me dire que mon test était positif. Je n’y croyais pas étant donné que je n’avais ni fièvre ni toux, pas même de perte d’odorat. J’ai par la suite observé de légers symptômes gastro-intestinaux et un goût métallique dans ma bouche, mais rien de plus. Je n’aurais jamais soupçonné que j’étais infectée si on ne m’avait pas testée.

Je suis donc en quarantaine depuis la mi-avril. Dès que je serai déclarée guérie, il est certain que je retournerai au CHSLD. Oui j’ai des craintes, surtout qu’on dit que les personnes qui ont attrapé le virus ne sont pas nécessairement immunisées, mais j’ai décidé de travailler dans le domaine de la santé et je ne peux pas simplement me sauver en courant parce que j’ai peur.

Nos patients ont besoin de nous. Il est vrai que cette crise sanitaire faire ressortir encore davantage les côtés négatifs de la profession de préposé aux bénéficiaires, mais c’est dommage, parce que c’est vraiment un beau métier.

Ce que j’aime le plus, c’est le côté humain, c’est de voir le sourire des patients quand on prend bien soin d’eux. Je m’occupe d’eux comme je prendrais soin de ma grand-mère. Ma paie, c’est de voir des personnes âgées en déclin cognitif me reconnaître même après deux semaines de vacances. Et c’est pour cette raison que je vais y retourner.

Ces gens-là méritent de partir — parce que souvent, le CHSLD est leur dernière maison — dans la dignité et dans le respect.

(Les noms ont été modifiés). Propos recueillis par Jessica Dostie.

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