Sur mon fil Facebook, un comédien que je connais peu publie une photo de lui au travail, sur un plateau de tournage; une capture d’écran le montre le visage entre les jambes d’une comédienne (dont on ne voit pas le visage, surprise!), la babine luisante, post-cunnilingus. Sous ladite photo, que je qualifierais de douteuse-mais-c’est-personnel, des commentaires, beaucoup de commentaires, dont un «good after noune» pas drôle, mais pas si dérangeant non plus. Je laisse passer, je scrolle davantage et là, jackpot: «C’est vrai qu’une barbe peut emprisonner certaines odeurs» et surtout de «malodorantes émanations»!

Je roule des yeux, je texte ma chum pour ventiler, j’essaie d’arrêter d’y penser en regardant un épisode de The O.C. (celui où Summer sauve Chrismukkah; les vrais savent), je flatte mon chat, je google: Harry Styles and Olivia Wilde in love… Pas moyen de m’enlever ça de la tête. Je reviens sur Facebook et je commente: «Intéressant de constater que certains hommes associent vulve à mauvaises odeurs. Quel progrès!»

Enter. Ça fait du bien. Merci. Bonsoir. Je ferme Facebook; de toute façon, c’est pour les X et les boomers, à c’t’heure.

Mais malgré ma petite intervention de féministe aux trois F (fière, frue, fatiguée), l’amertume demeure et je me mets à réfléchir à cette grande oubliée, négligée, malaimée, incomprise, redoutée, à cette reine de nos corps tout-puissants qui peine encore à ce jour à être considérée: notre VULVE, qui mérite d’être écrite en majuscules. Tout le temps.

J’ai eu mes règles sur le tard, à 17 ans. Depuis cette journée de juillet où, du haut de mes presque 6 pieds, j’ai pris conscience que le fond de ma bobette ne serait plus jamais le même, j’ai toujours été agacée, voire insultée, que l’allée des tampons- protège-dessous-coupes-menstruelles à la pharmacie s’appelle l’allée des «produits d’hygiène féminine»… Comme si tout ce qui était lié à notre VULVE, à notre vagin, à notre sexualité, à notre santé était sale ou malpropre d’emblée.

Pourquoi est-ce que, toute ma vingtaine durant, l’une des choses les plus importantes durant mes relations sexuelles était de sentir bon ou de ne sentir rien, plutôt que d’avoir du plaisir? Pourquoi est-ce que la crainte de dégager une odeur venait gâcher mon moment? Pourquoi est-ce que moi, au contraire, tous les parfums naturels de mes partenaires masculins ne venaient que m’enivrer davantage?

Tout naturellement, je ne sens ni le bouquet de fleurs ni le Bounty, ni le Daisy, de Marc Jacobs, ni le push-push d’ambiance de Dans un Jardin. Tout naturellement, je sens la femme, ma journée, mes muqueuses, mon cycle menstruel, mes hormones, mon humeur, ma culotte, mon excitation, mon corps tout entier, qui travaille et qui vit et qui est en santé.

Pourquoi est-ce que je devrais avoir honte de mes parfums de femme?

Pourquoi est-ce que notre VULVE fait peur aux hommes? Quand elle est différente, colorée, longue, courte, mouillée, plissée, cachée ou exubérante? Pourquoi est-ce que les hommes veulent grossir, grossir, grossir leur pénis, alors que les femmes paient des fortunes pour faire raccourcir leurs petites lèvres? Pourquoi est-ce qu’on veut faire disparaître notre sexe, le rendre invisible et inodore?

Vite comme ça, je pense (non, je sais) que c’est la faute des hommes. Du contrôle qu’ils ont sur nos corps depuis, well…, toujours. Mais cette conclusion ne m’aide en rien, peu importe le sujet de mes colères. Alors, j’ai besoin de réponses, et, surtout, j’ai besoin qu’entre nous, personnes qui possèdent une VULVE, on se permette d’être fières de cet organe fascinant qui, jour et nuit, nous accompagne, blotti contre le coton doux de nos fonds de culottes. 

Chère Sarah-Maude,

Ta lettre m’interpelle beaucoup, comme elle interpellera certainement bien des personnes ayant une vulve. En te lisant, je reconnais les réflexions et les préoccupations (malheureusement) très répandues et parfaitement compréhensibles de bon nombre d’entre nous. Le malaise que tu nommes est quasi universel, et je compte bien profiter de l’occasion qui m’est offerte pour faire tomber certains tabous.

En débutant, j’aimerais mettre quelque chose au clair: toutes les vulves sont différentes et aucune d’entre elles n’est offensante. En tant que médecin de famille, je les examine au quotidien, et jamais je n’ai été devant une vulve sur laquelle m’est venue l’idée de poser un jugement. La présence ou l’absence de poils m’indiffère, et la très vaste majorité des odeurs dites préoccupantes pour lesquelles on vient me voir s’avèrent parfaitement normales.

Bien entendu, j’encourage toute personne qui s’inquiète de sa santé génitale à consulter sans hésiter, surtout en cas de douleurs, d’inconfort ou de démangeaisons, mais je constate que notre vision collective de la vulve nous porte à pathologiser automatiquement tout ce qui la concerne. Tout ce qui touche la vulve et le vagin est considéré comme intrinsèquement sale et problématique. A-t-on vu une allée de «l’hygiène pénienne» à la pharmacie? Faute d’éducation et de représentation adéquate, on a intériorisé l’image d’une vulve «idéale» d’apparence pré-pubère, imberbe, inodore, symétrique et de couleur uniforme, parfaitement douce et sèche en tout temps — excepté lors des relations sexuelles, bien entendu, où elle se doit alors d’être instantanément lubrifiée. 

Pas étonnant qu’on passe autant de temps à s’inquiéter, à angoisser et à tenter de camoufler les fonctions pourtant parfaitement naturelles de ces organes fascinants que sont la vulve et le vagin. Des organes qui, on ne le dira jamais assez, sont autonettoyants. De l’eau tiède ou tout au plus un savon doux suffisent à nettoyer la vulve, et aucun détergent ne devrait être utilisé à l’intérieur de nos organes génitaux. Certes, ceux-ci ne dégageront peut-être pas un parfum de muguet, mais je vous l’annonce en grande pompe: les vulves sont censées sentir la vulve!

«Contrairement à ce qu’on tente de nous faire croire, notre vulve ne requiert pas d’entretien particulièrement rigoureux et n’est pas constamment au bord du précipice, attendant d’être sauvée par un énième produit miracle. »

Elles sont également censées produire différentes pertes liquides, pâteuses, sanglantes ou collantes, plus ou moins abondantes, épaisses ou odorantes selon les phases de notre vie sexuelle, de notre cycle menstruel ou de nos choix en matière de contraception. Leur odeur est normale, leurs poils sont normaux, leurs lèvres sont normales. Il n’y a aucun mal à s’épiler ou à ne pas le faire, pour peu qu’on le fasse pour soi-même; aucun mal à utiliser des tampons, une coupe menstruelle ou des serviettes; aucun mal à tacher ses bobettes ou ses draps.

Contrairement à ce qu’on tente de nous faire croire, notre vulve ne requiert pas d’entretien particulièrement rigoureux et n’est pas constamment au bord du précipice, attendant d’être sauvée par un énième produit miracle. Sans grande surprise, les personnes et les industries qui entretiennent cette illusion sont aussi celles qui s’enrichissent avec les remèdes qu’elles nous vendent pour combattre ces problèmes inventés.

S’affranchir de cette pression constante de performer la beauté et d’avoir une vulve patriarcale est un travail de longue haleine, c’est vrai. Mais c’est en parlant franchement, comme tu le fais, qu’on y arrivera. Libérons les vulves! 

Sarah-Maude Beauchesne est scénariste, autrice et comédienne.

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