L’automne en est à ses balbutiements, les trench-coats se succèdent sur mon fil Instagram, on boit des lattés à la citrouille épicée de façon de plus en plus assumée et l’envie de réécouter Gilmore Girls en se gavant de café filtre est bien présente. Chaque année, à pareille date ou presque, je me sens comme Carrie Bradshaw dans l’épisode I heart NY de la quatrième saison de Sex and the City, quand, avec sa voix hors champ qui me donnera toujours des frissons, elle nous parle de sa ville chérie qui change de saison sans qu’elle l’ait vu venir. Elle nous raconte avec nostalgie l’ambiance qui se transforme en un claquement de doigts, de l’air qui est soudain tellement différent:

«There is a time of year in New York when, even before the first leaf falls, you can feel the seasons click. The air is crisp, the summer is gone.» 

… comme une brise qui annonce quelque chose de nouveau et qui nous pousse à tourner la page sur une saison qui aura été, la plupart du temps, marquante.

Et je suis d’autant plus nostalgique cette année parce que je passe mes journées avec les ados qui forment le casting de l’adaptation cinématographique de mon premier roman, Cœur de slush. Ils ont de 16 à 21 ans, ils ont le rire facile, la liberté dans le tapis, l’insouciance comme carburant, la magie dans un œil, la fougue dans l’autre. Ils s’émerveillent souvent, ils parlent avec leur cœur, toujours spontanément. Ils me donnent envie de faire marche arrière, de revenir à ces étés de premières fois, où les sentiments fous meublaient mes journées, où la bière était meilleure, où le soleil brûlait ma peau sans que je m’en inquiète, où les baisers étaient légers, où les balades en voiture me donnaient des impressions de grandes aventures.

J’admire cette bande de jeunes qui s’arrosent au bord d’une piscine à vagues, les caméras braquées sur eux et elles, le soleil qui plombe et qui fait briller leurs éclats de rire sincères, et je me retiens pour ne pas leur crier de s’arrêter un moment pour tout enregistrer, tout ressentir.

J’idéalise peut-être cette période, cette jeunesse; je ne vois peut-être que le beau dans tout ça. Timothée Chalamet l’a dit: «It’s tough to be alive right now.» Certes, il y a cette écoanxiété qui fait des ravages, l’horizon qui s’assombrit, l’espoir qui se fait mince, les douleurs qui se font de plus en plus vives à mesure que la lucidité embarque… Mais le sentiment grisant que j’ai à observer ces adolescents et ces adolescentes me fait réfléchir à la vie d’adulte que je mène. Est-ce que j’insuffle assez de légèreté dans mes journées, est-ce que je travaille assez à me créer des souvenirs? Est-ce que le reste de ma vie, ce ne sera qu’une succession de moments sérieux, de responsabilités, de culpabilité, de FOMO (fear of missing out) éternel, de temps qui manque, de gens qui partent, de mauvaises nouvelles, de doutes, de stress, d’écrans de téléphone, de bulletins de nouvelles qui font pleurer ou mal dormir?

Est-ce que dans 20 ou 30 ans, cheveux gris et fatigue aux yeux, je regarderai ma trentaine avec le même sourire, la même nostalgie?

Est-ce que l’âge adulte a la même capacité à nous émerveiller que l’adolescence? Ou est-ce qu’il faut faire le deuil de l’insouciance? 

Chère Sarah-Maude,

Plusieurs pensées se sont bousculées dans ma tête à la lecture de ton texte. La première, sans aucun doute le produit des choses que j’entends dans mon bureau tous les jours, a été celle-ci: «Quel beau privilège que d’avoir la nostalgie de son adolescence et de s’en souvenir comme d’une période d’insouciance!» J’ai pensé aux personnes de ma clientèle qui ne rêvent que de quitter leur milieu familial dysfonctionnel, à celles qui vivent de l’intimidation ou que la pandémie a confinées loin de cette adolescence pleine de légèreté et d’expériences nouvelles dont elles rêvaient. 

Puis, je me suis rappelé une anecdote que je décris comme un moment comico-philosophique de ma vie. Il y a quelques mois, j’ai déposé une boîte de Pop-Tarts dans mon panier d’épicerie, sous le regard dubitatif de mon copain. En haussant les épaules, je lui ai dit que j’adorais ça quand j’étais ado, et que ma vie manquait de Pop-Tarts. Finalement, celles-ci n’avaient pas le goût de la nostalgie tant espérée, mais plutôt celui de la déception mélangée à du vieux carton. Une grande question s’imposait: est-ce que c’est les Pop-Tarts qui avaient changé ou est-ce que c’était moi?

Cette histoire reflète bien, selon moi, les promesses qu’on se fait quand on est ado: «Quand je serai adulte, j’achèterai toutes les Pop-Tarts que je veux!» Évidemment, je ne m’imposerai pas le goût du vieux carton juste pour rester fidèle à l’adulte que je voulais être. Mais chaque nouvelle journée est une occasion d’intégrer plus de Pop-Tarts (qui goûtent bon, ceux-là!), réels ou métaphoriques, à notre vie.

J’attire ton attention sur un aspect fondamental de la nostalgie: une vision édulcorée du passé. La mélancolie nous empêche de voir qu’on revisite les défis de notre adolescence… avec notre coffre à outils d’adulte. Aujourd’hui, mon monde ne risquerait pas de s’écrouler si on me privait de sortie, alors que mon crush est à la fête que j’attends depuis des jours. Mais à l’époque, j’étais si dévastée qu’on aurait cru que mes parents venaient de vendre mes organes sur le marché noir. Parce que vivre le beau et la nouveauté au maximum, c’est aussi vivre la tristesse, le rejet et la colère avec une intensité quasi intolérable.

Évidemment, tout ça n’est que temporaire, mais du haut de nos 17 ans, on ne l’a pas encore appris. Notre vision de la liberté se transforme avec nous, au fil du temps. Ados, on rêve de faire nos propres choix, mais on a le sentiment d’être emprisonnés par ceux des adultes qui nous encadrent. On a hâte d’être autonomes, dans tous les sens du terme, libérés des questionnements existentiels qui nous assaillent sans cesse.

Dans ta lettre, tu nommes plusieurs choses qui te manquent dans ta vie actuelle. Quelle belle révélation! Pourquoi ne pas utiliser ce constat pour t’interroger sur la façon d’intégrer davantage de plaisir et d’insouciance dans ton quotidien? Tu te demandes aussi si, dans quelques années, tu revisiteras ta trentaine avec ce même regard mélancolique. À cette question, j’ai envie de te répondre qu’il n’est jamais trop tard pour se faire le cadeau d’une vie dont on aimera se souvenir dans 30 ans, le sourire aux lèvres, lorsque les rides auront tracé des chemins sur notre visage.