J’ai toujours couru après la perfection à en perdre haleine. Et ma définition de cette perfection évolue avec le temps. Aujourd’hui, je cherche une perfection nouveau genre, équilibrée. Je veux être parfaitement bien dans ma peau, malgré mes défauts, et célébrer les années qui se prélassent au coin de mes yeux, les trouver sages et jolies, sans jamais avoir peur de vieillir. Je veux aussi être en santé, mais, en même temps, me laisser aller quand j’en ai envie (boire du vin, même la semaine, manger sans compter, fêter, puis dormir jusqu’à tard, sans faire trop de sport parce que ce n’est pas mon fort, regarder les Real Housewives en rafale en laissant mon cerveau se ramollir tranquillement). Je veux m’aimer comme je suis, tout en assumant que j’ai besoin de me faire un selfie pour mieux feeler les jours gris. Je veux être parfaitement imparfaite… à tout prix.

Mais l’affaire, c’est que cet équilibre idéal est aussi inatteignable que la perfection elle-même. C’est la même chose, en fait. Je me conte des histoires d’équilibre, mais la vérité, c’est que je cours aussi vite qu’avant.

Avec les années qui vont s’incruster de plus en plus dans ma peau qui travaille fort, je me demande si je dois honorer les craques et les traces du temps sur mon corps et les laisser vivre en paix, ou si, au contraire, j’ai le droit de flancher, de recommencer à courir et de prendre un rendez-vous, tête haute, torse bombé, dans la clinique d’esthétique la plus accueillante (chandelle chère dans l’entrée, personnel à la voix douce, sarraus blancs réconfortants).

Plus le temps passe, plus je désire être moi sans demi-mesure, mais je peine à savoir si ce moi veut vieillir en assumant sa transformation physique naturelle, ou s’il veut plutôt écouter sa petite voix intérieure, qui le supplie d’intervenir à coups d’injections, de fillers, de traitements et de discrètes tricheries.

Je suis sincèrement déchirée.

Certains matins, je me lève en justicière de la ride et des seins bientôt fatigués, j’imagine ma chevelure sel et poivre couler en cascade sur mon dos fripé, mon front barbouillé de rires, de colères, de fatigue et d’aventures. Je suis vieillie et nature, fière et forte.

D’autres matins, j’ai envie d’expérimenter des choses, de me battre contre le temps, de m’imaginer plus lisse, plus douce, plus scintillante, plus longtemps. Tout ça sans me culpabiliser, sans me juger, sans avoir l’impression de décevoir qui que ce soit ou de perdre le concours de l’acceptation de soi.

Si je veux être un modèle pour les autres femmes, les plus jeunes surtout, qui ont de la difficulté à s’aimer comme elles sont, avec leurs imperfections qui ressemblent aux miennes, leurs complexes douloureux, la pression pas possible… est-ce que je les trahis en modifiant mon physique pour correspondre aux attentes que je décrie ? Ou est-ce que j’inspire le vivre et laisser-vivre, le fait de faire des choix pour soi, pour son corps, quels qu’ils soient ?

Comment j’explique à mes nièces et à ma belle-fille que j’ai parfois envie de défier la loi du temps et de la gravité pour réussir à sourire à mon reflet plus longtemps ?

«L’idée de la perfection d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui et ne sera pas celle de demain, et je trouve apaisant de me rappeler cette vérité fondamentale.»

Ma chère Sarah-Maude,

Ton texte exprime parfaitement toute l’ambivalence que nous sommes nombreuses à ressentir dans cette société qui nous envoie des messages si contradictoires en matière de beauté. Enfants, on se trouve déjà laides, trop grosses ou trop maigres, on déteste notre nez, on a hâte d’avoir des seins. Adultes, on se retrouve coincées entre le désir de plaire – si intense et renforcé de toutes parts qu’il en devient un besoin de base – et l’envie d’être soi- même, de s’affranchir de ces standards contraignants et inatteignables dont on n’apprend l’existence que lorsqu’il est déjà trop tard. Longtemps après qu’ils ont façonné notre perception de nous-mêmes, des autres et de ce que ça signifie d’être belle, d’être femme.

On dépense alors des fortunes en livres de croissance personnelle et en thérapies pour se pardonner de dépenser des fortunes en soins de beauté. Mais ce n’est pas notre faute, Sarah-Maude, si on joue sur les deux tableaux. Ces messages qu’on reçoit, anxiogènes et inconciliables, nous placent dans un état d’échec perpétuel. Puis, tu sais, que l’on agisse ou non sur le corps, il continuera de se transformer. C’est le propre du vivant.

Pas le droit de vieillir, pas le choix de vieillir. Cette obsession de la jeunesse, pourtant, n’est observable nulle part ailleurs dans la nature. On s’émeut tout autant devant un vieux chien au visage blanchi que devant un chiot, devant l’art ancien que l’art moderne, devant un arbre mature qu’une jeune pousse. Mais dans le cas des humains, en particulier à l’égard des femmes, c’est une tout autre histoire.

Tu as parfaitement raison quand tu dis que chercher la perfection est une quête illusoire. Parce que la beauté, à l’instar des standards de beauté, évolue et se transforme avec l’âge, avec le temps. L’idée de la perfection d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui et ne sera pas celle de demain, et je trouve apaisant de me rappeler cette vérité fondamentale. Tout est en perpétuelle transformation, et ce n’est pas un hasard. Les standards de beauté existent d’abord et avant tout pour asservir les femmes et générer du profit; en changeant constamment, ils nous gardent occupées et malléables.

J’ai donc envie de te dire que, plutôt que de tenter de correspondre à un idéal extérieur arbitraire, il vaut mieux investir son énergie dans la recherche de son propre équilibre. Le plaisir, la détente et le laisser-aller font, eux aussi, partie de la vie, de la santé et de la beauté. La beauté qui, selon moi, se situe et s’exprime dans le mouvement: une bouche qui rit aux éclats, des yeux qui s’animent, des pupilles qui se dilatent, des seins qui ne demandent qu’à vivre… Un corps mouvant, ému et émouvant qui ne reste figé ni dans le temps ni dans l’espace. Un corps qui vit, attire, séduit, savoure et s’abandonne.

Un corps et un visage sur lesquels on peut lire les émotions, l’histoire et l’unicité de la personne qui l’habite.

Je termine en te rappelant une chose que tu sais déjà: la beauté est plurielle. Aujourd’hui, tu es belle comme un soleil en plein midi. Un jour, tu seras belle comme un soleil couchant.