Antidote au stress de la vie moderne, la tendance du bien-être est devenue une industrie florissante, une puissance multimilliardaire qui ne craint pas d’étendre ses tentacules dans des zones très éloignées des terrains défrichés par la science.

La prêtresse de ce tsunami mondial, Gwyneth Paltrow, trône au sommet de son empire, Goop, qui comprend une boutique en ligne, une poignée de best-sellers et des séminaires permettant de renouer avec l’essentiel, moyennant 5700 $ US par disciple.

En janvier dernier, cette femme d’affaires a ajouté une corde à son arc en diffusant la série The Goop Lab, sur Netflix. Son équipe et elle y explorent les vertus de pratiques dites alternatives: thérapie psychédélique, séances de spiritisme, guérison énergétique, régimes alimentaires qui freinent le vieillissement… (Tousse, tousse…)

Contrairement aux cobayes de cette série, les scientifiques n’ont pas eu besoin de champignons magiques pour halluciner. Sur le bien-fondé des traitements proposés, ils se sont écriés en chœur: «Foutaises!»

Ce n’est pas la première fois que l’actrice s’attire les foudres des communautés médicale et scientifique. On se souviendra notamment de son fameux œuf de jade. Au lieu de «booster» notre énergie féminine et de lutter contre la dépression, comme elle nous le promettait, cet accessoire vaginal provoquait plutôt des désagréments dans la région du slip. Pour les nuits torrides, on repassera!

Détoxique-moi si tu peux

Les grands manitous du bien-être excellent dans l’art de se renouveler, et l’alimentation ne fait pas exception à la règle: «Il y a toujours quelque chose de plus farfelu et de plus niaiseux qui sort à ce sujet, assure Bernard Lavallée, le Nutritionniste urbain. Plus rien ne m’étonne! En résumé, on entend souvent dire qu’il faut éviter ou ajouter un aliment précis pour être en santé. Ce n’est pas fondé; aucun aliment à lui seul n’a un tel pouvoir.»

Même si les nutritionnistes martèlent l’importance de l’équilibre, le mythe du superaliment résiste envers et contre tout. L’été dernier, le jus de céleri a connu son heure de gloire après qu’un médium eut une révélation de l’au-delà – oui, vous avez bien lu. La tige filandreuse aurait des pouvoirs insoupçonnés. Source: le contact haut placé de ce médium. Absurde? Totalement. Mais des célébrités comme Miranda Kerr et Pharrell Williams ont partagé des photos de leur jus vert pimpant sur Instagram… Une star était née!

Les cures détox continuent également d’attirer de nombreux fans: «Le jeûne est une pratique millénaire, rappelle Bernard Lavallée. Il était autrefois ancré dans la spiritualité, mais on tente maintenant de lui donner des assises scientifiques. On nous dit que le monde moderne est toxique, qu’il faut absolument nettoyer notre organisme de ses toxines.» Sauf que notre corps ne garde pas de vilains déchets en stock. Il les élimine au quotidien.

Comme ça. Naturellement. Sans qu’il soit nécessaire de dépenser des fortunes en jus laxatifs ou en ampoules diurétiques…

Attention, danger!

L’industrie du bien-être peut avoir un côté pervers en misant sur nos peurs et nos angoisses pour nous vendre des traitements douteux.

«Personne ne peut s’opposer au bien-être physique et mental, pas même les scientifiques, dit Olivier Bernard, le Pharmachien et vulgarisateur scientifique. Le problème, c’est que l’industrie du bien-être détourne des concepts scientifiques pour mieux vendre des produits inefficaces, voire parfois carrément nocifs.»

Si on boit de l’eau chaude au gingembre en croyant renforcer notre système immunitaire, les conséquences ne sont pas très dangereuses, même si rien ne prouve que cet aliment a une telle propriété. Par contre, si on laisse tomber une chimiothérapie au profit de cette eau miraculeuse, c’est différent.

Le bonheur à tout prix

Notre soif de performance peut aussi contribuer à notre attirance pour les solutions miracles: «Il existe actuellement une injonction au bonheur, une quête du bien-être permanent, fait remarquer la Dre Christine Grou, psychologue. C’est une illusion! Les émotions négatives, comme la tristesse ou la colère, sont parfois des réponses normales, surtout dans un contexte de grande incertitude. Les gens toujours heureux ne sont pas les mieux adaptés. Au contraire!»

Il existe pourtant une forte pression sociale pour défier le temps, la vieillesse, la maladie, la mort… Serait-on dans un étrange impératif de productivité, même quand on essaie de se faire du bien?

«On veut se donner l’illusion qu’on contrôle plus de choses qu’on ne le fait réellement, croit la psychologue. On emprunte des raccourcis en espérant devenir plus heureux, plus mince, plus jeune… ce qui apporte un grand sentiment d’échec quand ça ne fonctionne pas!»

Profession: gourou

Ne nous méprenons pas, les charlatans existent depuis toujours. Le web et les réseaux sociaux ont toutefois élargi leur tribune: «De nos jours, on a moins besoin des experts pour répondre à nos questions: on trouve tout sur le web, indique le pharmacien Olivier Bernard. Notre rapport à l’expertise a changé. L’anecdote d’un influenceur jouit de la même crédibilité que le conseil d’un médecin.»

Plusieurs études ont déjà démontré qu’une personne belle et populaire selon les standards actuels sera jugée plus crédible qu’une spécialiste en sciences, un peu comme si le nombre d’abonnés qu’elle a était proportionnel à ses connaissances. Rappel inquiétant: le clan Kardashian trône toujours en tête des comptes les plus suivis sur Instagram…

«[La Santé publique] se bat à armes inégales avec l’industrie du bien-être, dit Bernard Lavallée. [Celle-ci] investit des milliards de dollars en publicité et en porte-parole, alors que la Santé publique est beaucoup moins bien nantie. Et même à budget égal, le combat ne serait pas gagné, car le message de l’industrie est souvent plus attrayant.»

Tandis que les gourous de bonheur vendent de la jeunesse en pot et de la minceur encapsulée, les sources officielles nous passent en boucle la cassette des habitudes saines au quotidien. Une recette éprouvée, mais moins sexy.

No bullshit

On veut se faire du bien, mais on ne veut pas remplir les poches d’imposteurs mal intentionnés. Comment éviter les dérapages?

«Que ce soit un livre, un cours, un supplément, avant d’acheter la solution pour être heureux ou en santé, une lumière doit s’allumer dans notre tête, conseille Bernard Lavallée. Même chose si on nous promet une perte de poids durable. Ça n’existe pas.»

On développe notre esprit critique, on garde notre radar à bullshit bien ouvert et on se familiarise avec les méthodes de prédilection de l’industrie du bien-être. Les tendances évoluent, mais les tactiques qu’elle utilise se ressemblent. Si c’est trop beau pour être vrai, c’est que ce l’est probablement…

Autre bon plan? Relâcher un peu la pression visant le bien-être. On a le droit de filer un mauvais coton. On a le droit d’avoir le cheveu terne. On a même le droit de se nourrir de plats bof!, sans devoir ensuite se soumettre à une cure de soupe au chou.

«Aucun mode de vie ne convient à tout le monde, conclut la Dre Christine Grou. La meilleure façon de prendre soin de nous, c’est celle qu’on a choisie.»

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En chiffre

L’industrie mondiale du bien-être a généré 4500 milliards de dollars américains en 2018. Elle représente 5,3% de l’économie totale.

En 2015, 94% des millénariaux affirmaient avoir la résolution de prendre soin d’eux, comparativement à 84 % des baby- boomers et à 81 % de la génération X. Les baby-boomers dépensaient environ 152 $ par mois pour ce faire, et les millénariaux prévoyaient dépenser le double, que ce soit pour des programmes d’entraînement, des régimes, la consultation d’un coach de vie, des ateliers ou l’utilisation d’applications visant à améliorer leur bien-être.

Les promesses des gens du wellness: pourquoi tombe-t-on dans le panneau?

Ils se cachent derrière des experts

«Gwyneth Paltrow a des scientifiques de tout acabit qui gravitent autour d’elle, déclare Olivier Bernard. Quand elle se fait critiquer, elle les brandit comme un bouclier. Mais, dans les faits, on se fout de ce que disent 2, 3 ou 10 experts. C’est le consensus scientifique qui compte.»

Ils sortent la carte du féminisme

Leur mouvement est ultrapositif:ils nous invitent à nous réapproprier notre corps, notre féminité, notre sexualité… Le hic? Certaines entreprises surfent habilement sur la vague en associant l’empowerment à un soin facial nouveau genre ou à une consultation chez un médium. «L’empowerment passe d’abord par la connaissance, et non par l’achat d’un produit», dit Olivier Bernard.

Ils ont une aura de pureté

Une image léchée aux accents naturels, des emballages qui donnent une impression de «fait maison», des porte-parole connus au sourire étincelant, des messages enveloppants comme une doudou… Pas facile de voir le mal dans le bien!

Ils utilisent le pouvoir des émotions

À défaut d’un argumentaire scientifique solide, ils se rabattent sur des témoignages touchants. Bien vu! Les études montrent qu’on répond davantage aux émotions qu’aux faits.

Ils font appel à des autorités

Ils incluent des affirmations dogmatiques: «comme le disait Platon», «comme l’expliquait Einstein»… Mais «combien d’entre nous ont réellement lu Platon? demande la Dre Grou. C’est facile de jeter de la poudre aux yeux.»

Ils pigent dans le jargon scientifique

Ils citent des études, ils parlent de mécanismes biologiques, ils glissent des termes comme «neurotransmetteur», «quantique», «suborganique»…

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