Lorsque la caméra de notre Zoom s’allume, c’est une Léa resplendissante et visiblement soulagée qui apparaît. Elle est enfin délestée du poids d’un looooong processus judiciaire et d’un procès qui a pris fin trois jours avant notre entretien. «J’ai eu le temps de faire deux enfants», ironise-t-elle, tout en me pointant du menton la petite dernière, qu’elle allaitera presque toute la conversation durant.

Écouter son instinct

Retour en arrière. En octobre 2017, inspirée par les victimes de Gilbert Rozon qui sortent de l’ombre et portent plainte, Léa décide de faire de même et de dénoncer les agissements inacceptables que Michel Venne (ancien directeur général de l’Institut du Nouveau Monde) a eus à son égard lorsqu’elle était mineure. «Juste avant d’écrire une publication sur Facebook pour le dénoncer, j’ai consulté un avocat qui m’a recommandé de porter plainte. Et je l’ai fait, car j’avais l’impression de faire ce move avec d’autres femmes. Mais ouf! je ne savais tellement pas dans quoi je m’embarquais. J’ai décidé de sauter dans le vide en écoutant mon instinct mais, rationnellement, j’aurais dû backer. J’avais si peur et, soyons honnêtes, tout était contre moi.»

Puis, en novembre 2020, quelques mois avant le début du procès, Léa reçoit un texto d’un numéro inconnu où elle peut lire: «Tu es courageuse.» La personne derrière ce message? Julie Snyder. Entre deux-trois conseils d’allaitement et des bons mots sur sa démarche, la productrice laisse entendre à Léa, lors d’une conversation téléphonique, qu’il serait pertinent de réaliser un documentaire sur le processus qui s’engage quand on porte plainte au criminel.

«J’ai douté, avoue Léa. Était-ce une bonne idée? Était-ce nécessaire? Et vite, je me suis rendu compte que ça l’était. Je ne connaissais rien des procès, des enquêtes préliminaires, de la job d’un procureur ou du DPCP ( je ne regarde pas District 31!). J’étais néophyte.»

«J’ai décidé de sauter dans le vide en écoutant mon instinct mais, rationnellement, j’aurais dû backer.»

Un sport de combat

Dans le documentaire, on suit donc le procès complet de l’accusé. Léa précise: «On a même les bouts où on n’avait pas le droit de filmer – on n’a jamais accès à ce genre d’images –, car on a voulu montrer comment ça se passe.» Puis, s’ajoutent à l’histoire de Léa celles d’une dizaine de femmes, dont Annick Charette et Julie Snyder, qui ont accepté de témoigner. On y apprend bien sûr beaucoup de choses troublantes, notamment sur les contre-interrogatoires de la défense. «Témoigner, c’est un sport de combat, confirme Léa. Pour me préparer au procès, j’ai dû lire 400 pages d’enquête préliminaire, car toutes les déclarations que j’avais faites précédemment pouvaient être retenues contre moi. C’était un examen où je devais livrer tout à la virgule près! Deux jours et demi de contre-interro à subir le ton agressif et inquisiteur des gens de la défense. C’était rough. D’ailleurs, toutes les femmes qui témoignent dans le documentaire m’ont dit qu’elles se sont senties comme si elles étaient l’agresseur, à un moment ou à un autre, pendant le contre-interro. C’est mésadapté, comme façon de faire. Il est temps que les choses changent.»

Le 23 juin 2021, le verdict de l’agresseur de Léa tombe: coupable. Elle avait été crue par le juge, elle l’avait senti. Puis, elle a choisi de dévoiler son identité. «J’ai levé l’interdit de publication de mon nom comme pour dire à l’agresseur: “Tu te tais, c’est moi qui parle maintenant!” Il a essayé de confisquer ma parole pendant des années, et c’est au nom de toutes les victimes que je souhaitais enlever le tape sur ma bouche.»

Merci de la part de nous toutes, Léa.

T’as juste à porter plainte, Dès le 6 octobre, sur noovo.ca.

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