Ma mère a inculqué à ses filles, qu’elle a élevées seule, l’indépendance et l’autonomie. Avec le recul, je pense avoir interprété ces valeurs comme un amalgame de «Tu peux tout faire» et «Arrange-toi pour ne pas avoir besoin des autres». Dans ma vie, aux questions «As-tu besoin de quelque chose?» et «Veux-tu en parler?», j’ai souvent répondu: «Non, ça va, merci. C’est gentil.»

Il y a 10 ans, alors que mon amoureux de l’époque se remettait d’un cancer du sang, épreuve qui a cimenté mon arrivée dans le monde adulte, j’apprenais que ma mère, déjà atteinte de la maladie d’Alzheimer, combattait un cancer des ovaires. J’ai accueilli cette fatalité avec toute la maturité et la bienveillance dont j’étais capable, même si mon cœur se fendait de douleur et d’injustice. Je trouvais qu’on avait déjà beaucoup donné dans les épreuves.

Au cours des mois précédents, j’avais accompagné mon amoureux comme le plus loyal des labradors. Je ne me souviens pas vraiment d’autre chose que de la volonté de gérer sa maladie à ses côtés pour pallier mon impuissance, mais aussi parce qu’il était hors de question qu’il y laisse sa peau, le cancer ayant déjà pris mon père quand j’avais seulement deux ans. Heureusement, mon ex s’en est sorti.

Un an et demi plus tard, j’étais complètement épuisée. Et quand le diagnostic de ma mère est tombé, j’ai vite compris que je devais déposer les armes. Cette fois, le cancer gagnerait. Pendant deux mois, je me rendais tous les jours à l’hôpital pour passer le plus de temps possible avec ma mère de moins en moins lucide. J’étais devenue son parent, sa maman. J’y allais le matin, ensuite je la confiais aux bons soins d’une dame de compagnie – qu’on avait le luxe de pouvoir se payer – pendant que je travaillais, puis j’y retournais le soir. Je me souviens surtout d’avoir passé beaucoup de temps à chercher du stationnement et, aussi, de l’odeur de l’hôpital. Je m’occupais d’elle, et je manquais de temps et d’énergie pour m’occuper de moi. Pas grave. C’était temporaire après tout, et j’étais forte, j’étais capable! Puis une amie m’a proposé de me faire à manger, pour que je me sustente, pour que je ne puise pas trop dans mes réserves, pour que je ne m’oublie pas. Et j’ai accepté. Ça semble banal, mais c’était une réaction atypique. Je me suis «laissé faire». J’étais trop crevée, trop anéantie par le reste. Elle a tout pris en charge, elle m’a cuisiné des plats avec amour et bienveillance, et s’est organisée avec mon chum pour l’échange des contenants. Je savourais ses plats le soir venu, reconnaissante qu’elle ait pensé à me faire du bien.

C’est Camélia – surnommée la Popoteuse – qui a ouvert cette brèche en moi. C’est elle qui m’a permis de comprendre que recevoir de l’aide, ça ne faisait pas de moi un être faible et souffreteux. On valorise beaucoup la performance, la force, la résilience, le fait de se tenir debout, de ne pas (se) laisser tomber. Mais il faut savoir accepter la main tendue et s’appuyer sur les autres.

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