«Maman, je pense que je ne vais pas bien», que j’ai dit un matin, en pleine crise de larmes, après avoir téléphoné à un ex-copain. Je venais de m’emporter pour quelque chose qui n’en valait pas la peine. J’avais été méchante. J’étais blessée, irritable, et je ne me reconnaissais en rien dans ce genre de comportement.

«Pourquoi tu n’en parles pas à quelqu’un au CLSC? Un professionnel pourrait t’aider. Appelle maintenant», que ma mère me répond, en essayant de me consoler du mieux qu’elle peut.

Quelques semaines plus tard, j’ai mon premier rendez-vous avec une travailleuse sociale.

«Pourquoi es-tu ici?» qu’elle me demande.

Je ne sais pas par où commencer, mais je me lance: «Je ne sais pas. Ma vie est parfaite, j’ai une famille formidable, un amoureux, je travaille, et je suis privilégiée. Ma vie est vraiment parfaite, mais je pleure chaque jour et je fais des cauchemars chaque nuit. Sinon, tout va bien.» Les larmes ont recommencé à couler sur mes joues, comme si mon système d’alarme interne tentait de me dire que je venais de toucher à quelque chose de profond.

«Qu’est-ce que ça signifie pour toi, une vie “parfaite”?» m’a demandé la professionnelle.

Ce jour-là, ma bulle a éclaté. Je suis passée de l’autre côté du mur que j’avais érigé au fil des années; une façade-béton-de-fille-parfaite, par peur de décevoir, pour plaire. Je donnais l’illusion d’être toujours en contrôle. Je me transformais au gré des désirs des autres pour ne pas qu’on m’abandonne. Un atout pour mon métier de comédienne, mais une épine pour la jeune femme que je devenais. En fait, la petite fille derrière cette clôture imaginaire avait besoin de beaucoup d’amour et de sécurité. Ce n’était pas sain de rester dans une situation émotive comme celle où je me trouvais. Mon équilibre était fragile. Je pleurais tous les jours, et je piquais des colères quand je n’arrivais pas à m’exprimer, quand je ne me sentais pas écoutée. J’avais laissé entrer dans ma vie des gens toxiques, malsains et de qui je ne m’étais pas assez protégée. Je vivais de la violence et je ne m’en rendais même pas compte. Je redirigeais ma colère et mon incapacité à gérer cette dualité intérieure sur les gens qui m’étaient les plus chers. J’avais besoin d’air, mais je décidais de continuer de suffoquer en fuyant la réalité. J’étais en déni complet.

Douze ans plus tard, je me rappelle encore cette première rencontre avec la travailleuse sociale. Je l’associe au moment où j’ai fait de mon bien-être une priorité dans ma vie, où j’ai accepté de dire que j’avais besoin d’aide pour me comprendre. Presque une centaine de rencontres plus tard, j’apprends toujours à naviguer à travers mes blessures, à suivre mon instinct et à tolérer l’inconfort d’une vie imparfaite. J’apprends à dévoiler mon vrai visage et à m’éloigner d’une culpabilité qui ne m’appartient pas. J’apprends à m’affirmer et à poser mes limites. J’essaie d’arrêter de m’engourdir dans le travail pour affronter réellement mes questionnements.

Creuser en soi, même avec l’aide d’un professionnel, n’est pas simple. Des fois, ça accroche, mais chaque fois, c’est un pas dans la bonne direction qui me rapproche de quelque chose de vrai, d’humain; pis ça, ça me fait pleurer, mais pour les bonnes raisons, cette fois. 

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