Je me souviens du jour où j’ai appris à m’engager, où je suis sortie de ma réserve, où j’ai frondé, foncé. J’avais 26 ans.

11 juillet 1990, 5 h 15: la journée s’annonçait très belle, mais le temps ne cadrait pas avec les événements qu’on allait vivre. Réveillée par une formation d’hélicoptères qui volaient bien trop bas sur Oka, je me suis précipitée en bas de la côte du golf, accompagnée de ma voisine Helga. Pas pour zieuter, mais pour aider à empêcher que le pire ne survienne.

Un policier, l’air distrait, nous a arrêtées. On a toutes deux hurlé:

− Ne forcez pas les barricades, ça va mal finir.
− Madame, restez pas là, rentrez chez vous…
− Rentrer chez nous? Ça va péter. Vous ne pouvez pas faire ça. On ne pouvait qu’attendre que ce qui devait arriver arrive. 6 h, 7 h, 8 h, le soleil insistait. 8 h 30, des coups de feu, tout
juste là, à côté. Et, sous nos yeux, la SQ qui battait en retraite: le caporal Lemay venait de mourir.

Un an plus tôt, le 1er avril 1989, Helga et moi avions répondu à l’invitation de nos voisins mohawks, qui réclamaient que soient abandonnés un projet résidentiel et l’agrandissement d’un club de golf privé. J’étais persuadée que tout le monde marcherait côte à côte, tellement ces projets me semblaient invraisemblables. Mais on a été qu’une poignée de non-autochtones à marcher au son des tambours. Une poignée.

Le prix à payer pour ces projets? Le déménagement d’un cimetière mohawk et la coupe d’une forêt centenaire, terrain de jeu de mon enfance. De vieilles amitiés de village étaient en péril, car on allait sacrifier une très grande terre pour y faire 18 petits trous. Au retour de la marche, on a fondé un comité pour la protection de l’environnement et exigé des études environnementales.

Le 11 juillet 1990, donc, quelques heures après le début de la crise, avec des gens formidables de tous les âges, toutes origines confondues, on a fondé le Mouvement pour la paix et la justice à Oka et Kanesatake. Mon amie mohawk Myra Cree, qui m’a tant inspirée, faisait partie de la bande.

Cet été-là, j’ai fait de la résistance, lancé une chaîne téléphonique pour aider les aînés encerclés par l’armée, ma voiture a été fouillée du coffre à la boîte à gants 10 fois par jour, j’ai été inscrite sur une liste noire, j’ai assuré le transport de la responsable de la Fédération internationale des droits humains, venue de Suisse.

J’ai toujours pensé que la terre n’appartenait qu’à elle-même, et c’est elle que je souhaitais défendre à tout prix.

Aujourd’hui, le golf ne compte toujours que neuf trous, les cabanes à cigarettes poussent plus vite que les arbres. Et depuis 30 ans, je n’ai jamais accepté de me faire dire de rentrer tranquillement chez moi.