Ma solitude. Je l’ai fourrée à la hâte dans un sac à dos au début de la vingtaine pour abattre des kilomètres de peine de cœur dans des trains européens, décapée sur les moulures d’un premier appart en attendant que l’amour sonne à la porte, puis pleurée dans le gouffre des nuits de monoparentalité lorsque mon petit tapait 41 °C de fièvre. Au début de la trentaine, ma solitude avait un goût de convalescence, d’impatience et de cataclysme. Je l’ai donc fuie, comme Barbara l’a chantée: «Je n’ai pas le goût du malheur / Va-t’en voir ailleurs si j’y suis».

Un jour, un autre homme s’est installé dans ma vie. Ensemble, nous avons entrepris notre décennie de grands chantiers: jeune famille, carrières en ascension… et notre train-train est devenu TGV. Mon temps en solo se limitait à des arrêts de ravitaillement au spa, et ma solitude a fini par dégager un doux parfum d’eucalyptus et de romarin.

Mais ce bel élan a mangé un coup de deux par quatre quand la crise de la quarantaine a frappé. Mes certitudes se sont dissoutes et mes besoins ont fait un virage à 180 degrés. Je ne pouvais plus me défiler. L’inguérissable grégaire en moi ne pourrait démêler son bourbier intérieur (et extérieur) sans un rendez-vous avec l’une de ses peurs profondes: la solitude de longue durée.

J’ai donc pris un aller simple pour un séjour forestier, dans un décor de film d’horreur où «tous les cris, les S.O.S. partent dans les airs» sans espoir de trouver une oreille humaine. Après une longue expiration pour évacuer l’air comprimé des 10 dernières années, après quelques marches et deux livres dont j’avais abandonné la lecture à l’aube de la maternité, j’ai finalement entendu mon terrifiant silence radio. 

«Il m’a fallu quelques mois pour mesurer l’impact et la valeur de cet exorcisme.»

Je le confirme: le vide aspire. Il m’a tirée dans mes ramifications les plus fines, mes recoins les plus lointains. Il a fait remonter ce bruit de fond resté sous la pile, là où dormaient des pensées et des sentiments trop longtemps négligés. Au programme de mon forfait no man’s land: succession de siestes, rivières de larmes et regards perdus au plafond. Mais dans ces nuits floutées, mon néant aussi a fini par s’épuiser.

À la fenêtre, j’ai d’abord entrevu un filet de lumière. Puis, j’ai ouvert grand les yeux pour m’imprégner du pastel d’un ciel barbe à papa. Au fil des jours, ma solitude en noir et blanc s’est colorée, et dans le scintillement des mouches à feu, une preuve existentielle m’est apparue: j’avais en moi une solitude heureuse.

Je suis revenue à la maison et j’ai réintégré la cacophonie de la vie. Pourtant, je n’étais plus tout à fait la même. J’avais une solidité de terre ferme dans le ventre; mon bonheur n’avait plus nécessairement besoin des autres.

Il m’a fallu quelques mois pour mesurer l’impact et la valeur de cet exorcisme.

Par ce désencombrement intérieur à la Marie Kondo, je m’étais débarrassée d’une posture défensive qui m’avait fait prendre des voies de contournement confortables, mais affreusement anxiogènes. Mes décisions, longtemps dictées par l’appréhension de la solitude, n’étaient plus prises par peur, mais par amour.

On dit souvent du désert qu’il est hostile, mais on oublie parfois qu’il est aussi l’observatoire des plus beaux ciels étoilés. Et c’est précisément parce que «je n’ai pas le goût du malheur» que je cherche maintenant à aller voir ailleurs si j’y suis. 

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