C’était une femme originaire d’Afrique du Sud. Toujours très élégante. Ma prof d’anglais. J’étudiais dans un collège français privé de Montréal, dans le groupe d’anglais avancé. C’était la prof attitrée à ce cours-là; je l’ai donc côtoyée pendant plusieurs années. Elle portait des châles en tissu magnifiques. Posés sur ses épaules, parfois fermés par une broche. Ses ongles étaient faits, et ses cheveux noirs et soyeux étaient coiffés au carré. On y découvrait un peu de gris, ce qui la rendait encore plus distinguée. Elle aimait Shakespeare et nous le faisait découvrir, comme elle le pouvait, à nous qui étions des adolescents inattentifs et immatures, dignes des amoureux shakespeariens. Malgré tout, l’ordre régnait dans sa classe. Elle semblait avoir un tel respect d’elle-même que nous avions envie de lui obéir.

Elle était classe. C’était tout de même rare chez un prof. Je dois dire que la façon de se vêtir d’un professeur et son apparence physique n’étaient pas ce qu’on retenait généralement de lui. Ça n’avait rien à voir avec ses compétences. Et pourtant, cette enseignante-là nous apprenait aussi inconsciemment ce qu’est un port de tête, une manière de se comporter qui inspire la déférence. On n’avait pas envie de la faire fâcher.

La beauté non superficielle n’avait pas sa place à l’école. Ce qui m’impressionnait, c’est que c’était la première fois que je voyais une femme soignée dont l’apparence ne nuisait pas à la substance. Entre nous, dans l’école, la beauté créait malheureusement une hiérarchie. Rapidement, les filles étaient étiquetées, et le physique devenait une manière de nous classer. Dès lors que le groupe de «populaires» t’avalait, plus rien de ton intelligence pouvait subsister. Tu étais catapultée en haut de la pyramide scolaire pour des raisons superficielles, et il ne servait à rien d’essayer de t’échapper du rôle que tes compères t’avait assigné.

Je faisais partie du groupe des jolies filles; ça revenait à dire que j’étais nunuche. J’avais beau avoir des intérêts, des opinions, des notes pas trop moches, ce qui importait, c’était les marques de vêtements que je portais. Mais de loin, j’observais cette prof que je trouvais belle tant par son savoir que son élégance, et je me disais qu’il y avait un autre modèle de femme possible. Que la beauté d’une femme n’avait pas à appartenir aux autres. Cette femme pouvait d’abord être à elle-même; ELLE avait trouvé un équilibre: le plaisir d’être coquette sans avoir sacrifié son intelligence.

Il y a toujours un ou une prof qui nous marque. C’est parfois des années plus tard qu’on s’en rend compte.

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