Juin 2012. Depuis quelques années, je suis remplaçante à la chronique culturelle de Puisqu’il faut se lever, l’émission de radio de Paul Arcand. Cette place de «plan B» me convient parfaitement: j’ai accès à une tribune magnifique sans avoir la pression d’être dans l’équipe principale. Jusqu’à ce que survienne l’offre officielle. Paul me convoque pour un café et m’offre le poste à temps plein pour la rentrée: «Emilie, je sais que tu ne veux pas la job, mais je veux que tu me dises pourquoi.» Je revis souvent cette scène et je n’en reviens pas encore de lui avoir répondu: «J’ai vu beaucoup de gens sacrifier leur vie personnelle avec cet horaire de travail et je ne veux pas que ça m’arrive.»

Prenons un moment pour saluer l’audace de cette jeune femme de 27 ans qui essaie de refuser la job de rêve… qu’elle a, bien sûr, fini par accepter.

Je n’ai pas l’esprit compétitif. Au secondaire, quand je jouais au volleyball, mon coach me citait en exemple pour mon bel «esprit sportif» parce que je ne chialais jamais s’il me laissait sur le banc. La vérité, c’est que je n’avais pas envie de gagner. Ça m’était égal. Longtemps, j’ai pensé que ça me nuirait dans un milieu comme celui des médias. Longtemps, j’ai aussi pensé que je manquais d’ambition.

Je réalise plutôt que je n’ai jamais croisé le modèle d’ambition qui me convenait. On ne l’entend nulle part, la success-story de la personne qui dit: «Moi, je n’ai jamais rêvé grand, je voulais juste trouver ma place.»

C’est quoi au fond, l’ambition? Le Larousse dit que c’est un désir ardent de posséder quelque chose, de parvenir à (faire) quelque chose. Ce n’est pas vrai que je n’en ai pas. C’est juste que la mienne, elle n’est pas exponentielle.

J’ai adoré mon travail de chroniqueuse culturelle à l’émission Puisqu’il faut se lever pendant six ans. Il venait avec la glorification d’être très occupée. Mon horaire de vie impressionnait les gens. «Tu te lèves tôt, tu te couches tard, wow! tu es productive!»

«De l’argent, pourquoi, si on n’a plus le temps de s’aimer, si on n’a plus le temps de prendre soin les uns des autres?» Cette phrase de la députée Catherine Dorion m’était rentrée dans le cœur. Et si mon ambition concernait ma vie personnelle?

Je suis fière de ma carrière de journaliste culturelle. Mais là où je me sens le plus accomplie, c’est quand je lis un livre à mon fils le soir avant de le coucher. Que j’ai réussi à le détourner des écrans et que, à son insu, je prolonge le moment où je suis collée contre lui. Je suis fière de moi quand je fais ça.

Ce n’est pas la grandeur du rêve qui dicte ce qu’est l’ambition. C’est juste de rêver, assez ardemment pour parvenir à ce qu’on désire. Quand j’y repense, je trouve que l’Émilie de 2012 était assez visionnaire.

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