Je suis sortie de la clinique avec une liste de propositions de modifications qu’on pourrait faire à mon visage, à mon corps: Thermage, laser, injections, CoolSculpting, pis l’affaire de vampire dont je ne me souviens plus du nom. J’y allais seulement pour un soin facial. Et me v’là à m’épancher avec une dame en sarrau sur tous mes petits complexes: ma paupière droite et sa cicatrice, ma ride du lion qui s’approfondit, mes lèvres qui ne sont plus aussi pulpeuses qu’avant, ma mâchoire qui n’est plus aussi définie, mes hanches qui me complexent depuis ma puberté, mon regard que je trouve trop sévère. À force d’énumérer mes défauts à la dame, j’ai quitté la clinique en me trouvant bien laide, et avec une longue liste d’interventions pour me rapprocher de la perfection.

Y avait cette longue liste sur mon bureau. Et à côté, y a eu un test de grossesse, qui s’est révélé positif. La liste a pris le chemin du bac de recyclage. Et t’as pris toute la place.

T’es arrivée juste avant que je mette la main dans l’engrenage des interventions esthétiques. Tu m’as forcée à prendre soin de moi.

T’es arrivée, et j’ai eu peur de voir mon corps changé à jamais, de ne plus m’aimer, de ne plus jamais me sentir désirable, désirée, que ça brise mon lien avec ton père que j’aime tant. J’ai eu peur de me retrouver dans un corps déconstruit, que je ne pourrais plus rebâtir, et de perdre une partie de la femme que je suis. J’ai eu peur des vergetures. J’ai eu peur d’être obsédée par l’idée de me faire refaire les seins.

Et là, t’es née. Et rien de tout ça n’est arrivé. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais je ne me suis jamais autant aimée. Je n’ai jamais autant respecté ce corps capable de donner la vie. Qui s’est replacé de lui-même, avec le temps. Ce corps que j’ai laissé changer avec de la patience, de l’indulgence et de la gratitude au lieu d’entraînements au gym. Toutes ces choses que tu m’as apprises sans dire un mot.

Saurais-je, ma fille, traverser le temps sans succomber à la tentation de me voir rajeunir de quelques années? Si je veux que tu t’acceptes telle que tu es, n’est-ce pas aussi ce que je dois faire? Te montrer l’exemple que tu m’as donné sans le savoir, celui d’apprendre à s’aimer?

Y a pas encore d’aiguilles qui ont touché à mon visage. Pas de laser qui m’a enlevé une couche de peau de trop. Pas de bistouri pour me replacer la paupière – qui me gosse encore. Quand j’ai le goût de flancher, je te regarde pincer ta bedaine de bébé en riant. Pis je comprends que ma job à moi, c’est de tout faire pour que toute ta vie, tu te tapes la bedaine en riant. Et faire en sorte qu’y ait pas une estie d’aiguille qui vienne changer ta belle face parfaite. Et la meilleure façon que ça n’arrive pas… c’est de m’épargner moi-même.

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