«Quand on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds que je conduis un taxi.»

J’ai éclaté de rire. Ce n’est pas du tout le métier qu’exerce MissMe. Elle est plutôt l’artiste féministe multidisciplinaire qui a rendu populaire le mot-valise «Pussylluminati» et plaqué illégalement des illustrations de femmes-guerrières nues dans les rues du monde entier. Tandis que je rigolais entre deux gorgées de café, elle a ajouté d’un ton sérieux que, si une personne continue à s’intéresser à elle malgré un emploi qui peut paraître anodin – mais qu’elle-même trouve génial, attention! –, alors cette personne mérite qu’on s’attarde à elle en retour. Parce qu’elle ne met pas le pouvoir lié à un poste au cœur de ses priorités. Et ça, c’est un comportement qu’on devrait sérieusement encourager.

«Tu fais quoi dans la vie?», c’est une question brise-glace facile, on s’entend. On la pose spontanément aux personnes qu’on rencontre pour la première fois pour entamer une discussion, en savoir plus sur elles. Ce n’est pas nécessairement une manière de ne s’entretenir qu’avec l’élite! Sauf que. Après l’avoir posée, est-ce que j’émets un jugement en fonction de la réponse que je reçois? Ce serait malhonnête de prétendre le contraire. Bien entendu, le métier d’autrui a une influence sur l’idée initiale que je me fais de cet individu. Enseignant? Voilà un saint rempli de patience! Factrice? Amatrice de plein air aux beaux mollets. Conseiller financier? Pervers narcissique.

Je plaide coupable, oui. Mais vous savez ce que j’aime faire en général? Me déresponsabiliser. Donc, est-ce que je mets les gens dans une boîte en fonction de leur profession parce que je suis une mauvaise personne ou, plutôt, parce que notre société associe le travail à la performance, et la performance à la validité des êtres humains? Bien entendu, je peux me révolter contre cette vision marchande de mes contemporains et j’y veille, mais je suis malgré tout influencée par des décennies de surcharge de travail considérée comme normale et de travailleurs qui tombent au combat dans une cruelle insouciance. La déprogrammation n’est pas simple à réaliser. En plus de nos efforts personnels, il faudra porter un grand coup direct dans la fourche du système.

Mais ça, c’est de l’utopie, non? La décroissance, c’est une affaire de hippies. Pire encore, un idéal porté par une génération de paresseux qui ne comprennent rien à la réalité du travail et à l’importance de l’économie capitaliste, right? Jamais dirigeants ne répondront à l’épuisement populaire et ne transformeront du même coup notre rapport à l’ouvrage. Ce serait l’équivalent de se tirer dans le pied national. De toute façon, les travailleurs ont bien compris que, pour s’accrocher à leur pouvoir d’achat, alors que les syndicats perdent de leur ascendant au profit des actionnaires, vaut mieux travailler plus que moins!

Pourtant, au moment où j’écris ces lignes, le monde s’emballe (et s’indigne) devant une idée qu’a énoncée la plus jeune cheffe d’État de la planète, la première ministre finlandaise Sanna Marin. Cette sociale-démocrate de 34 ans, en poste depuis décembre dernier, croit qu’il pourrait être intéressant d’instaurer une semaine de travail de quatre jours et de réduire le nombre d’heures en poste de huit à six. Et qu’espère-t-elle que la population finlandaise fasse de ces 16 heures nouvellement retrouvées? Qu’elle ait le luxe de passer du temps en famille, de développer des passions et notamment de s’intéresser à la culture, a-t-elle précisé en août dernier, alors qu’elle était ministre des Transports.

Vous imaginez si on en venait à collectivement diminuer l’importance du travail pour valoriser davantage la vie en société et la culture qui peut en résulter? En tant qu’artiste engagée, MissMe sortirait grande gagnante de la hiérarchie, vous me direz. À ça, je vous répondrai que c’est exactement un monde dans lequel j’aimerais évoluer.

Donc, en attendant un soulèvement des forces ouvrières ou une dirigeante révolutionnaire, je me promets de vous poser des questions sur la plus grande peur de votre enfance, sur vos intolérances alimentaires ou encore sur le candidat ou la candidate de Star Académie que vous préférez, bien avant de vous demander ce que vous faites dans la vie, le jour où on va se croiser.


ÀRose-Aimée Automne a signé le roman
Il préférait les brûler et l’essai Ton absence m’appartient. Elle anime la série Comment devenir une personne parfaite (Véro.tv), le balado Comme disait… (Ohdio) et la websérie Gros plan (urbania.ca).


Lire aussi:
J’ai enfin compris que… j’ignore si je veux vraiment des enfants
J’ai enfin compris que… mon sexe vieillit (et c’est correct)
J’ai enfin compris que… le web peut améliorer notre sexualité