Je suis célibataire dans l’âme. J’ai tout de l’archétype de la vieille fille. Je suis bien en ma compagnie, j’aime faire mes choses toute seule et je collectionne les chats errants.

Je partage mon quotidien avec quelqu’un en ce moment, mais j’ai toujours considéré ces périodes «en couple» comme des parenthèses dans ma vie en solo, alors que, pour la majorité des gens, c’est plutôt l’inverse. J’aime tellement la vie de célibataire, en fait, que je me suis demandé, au fil des confidences recueillies pour la rédaction de cet article, si j’allais être encore avec mon chum à la fin de tout ça. (Mais oui, je t’aime, chéri!)

Le célibat, un concept en pleine redéfinition

Il semble loin le temps où Bridget Jones, à l’approche de la trentaine, se mettait frénétiquement à la recherche de l’homme de ses rêves pour enfin se caser et éviter de finir sa vie seule, dévorée par ses deux chiens… qu’elle ne possédait pas encore! Il faut dire que c’était il y a près de 20 ans. Le célibat n’avait pas la cote. On n’a qu’à penser à Jennifer Aniston après sa rupture avec Brad Pitt. Elle a fait la une des magazines pendant des années parce qu’elle ne trouvait pas d’homme, la pauvre…

Depuis, Emma Watson a changé la donne en affirmant au Vogue l’automne dernier qu’elle était très heureuse d’être célibataire. Elle appelle ça être «en couple avec elle-même» (self-partnered). On a affaire ici à un célibat positif, assumé. Enfin! Je ne suis plus seule de ma gang! La déclaration de l’actrice a d’ailleurs trouvé un écho chez de nombreuses femmes. Avec raison. Il faut dire qu’un nombre croissant de personnes rejettent l’idée selon laquelle l’amour entre deux êtres est l’unique chemin qui mène au bonheur.

Au Canada, les personnes vivant seules représentent plus du quart des ménages, selon les données du dernier recensement de 2016. D’ailleurs, au Québec, le pourcentage de solitaires est passé de 8 % à 17 % de 1981 à 2016. Selon le sociologue Elyakim Kislev, auteur de Happy singlehood: the rising acceptance and celebration of solo living, certaines villes d’Europe viennent de franchir le cap des 50 % de foyers célibataires! On voit des tendances similaires ailleurs dans le monde. Mais la vie en solo se dessine aujourd’hui autrement. Qui dit célibat ne dit pas coiffer Sainte-Catherine et faire vœu de chasteté, hein. Non, non, je vous (r)assure.

«Être en couple avec soi-même, c’est une nouvelle façon de voir le célibat. On revendique cette vie. On n’est plus dans l’attente de l’autre», explique Marion Bertrand-Huot, sexologue et directrice générale de l’organisme Les 3 sex*. «Jusqu’à tout récemment, on croyait que notre valeur venait de notre capacité à susciter l’intérêt de quelqu’un, déclare Martin Blais, sexologue et sociologue. Peut-être qu’on est en train de rompre avec cette vision. Être en couple avec soi-même, c’est comme dire: je n’ai pas besoin de quelqu’un d’autre pour valider qui je suis, valider ma pertinence, ma valeur, ma désirabilité.» Eh bien! Ça fait un bout que je suis en couple avec moi-même dans ce cas. Je suis un vieux couple!

Le célibat a la cote auprès des femmes

Beaucoup de femmes choisissent ce mode de vie parce qu’il les rend heureuses, et qu’elles se sentent libres. Et parce qu’elles le peuvent. Elles n’ont pas besoin qu’un homme subvienne à leurs besoins, elles gagnent leur vie seules. Elles sont indépendantes. «C’est moi, mon soutien de famille, et ce, depuis très longtemps», déclare Michelle Grenier, 53 ans, qui vit en solo depuis 18 ans.

La plupart des femmes célibataires ne souhaitent pas forcément rester seules toute leur vie, mais priorisent leur carrière plutôt que de mettre leur énergie sur la vie de couple ou la famille. «On remarque effectivement un changement de valeurs. C’est presque plus difficile d’être en couple que d’être célibataire», indique Julie Lavigne, historienne de l’art et professeure de sexologie à l’UQAM. «La vie de couple vient avec des compromis, et dans la société actuelle, les compromis sont mal vus. On est aussi dans une société plus individualiste.» Effectivement, Malika Demers, une jeune femme qui a toujours vécu en couple et qui est célibataire depuis un an, clame: «Je ne fais plus aucun compromis. Plus personne ne me dit ce que je dois faire, plus personne n’attend après moi. À 39 ans, c’est la première fois que ça m’arrive. C’est génial! Je profite pleinement de cette nouvelle liberté et je ne vois pas le jour où j’aurai envie que ça cesse.» Je la comprends.

La société fait aussi en sorte qu’on en demande davantage à son ou à sa partenaire. Il faut entretenir le couple et, sur ce plan, Julie Lavigne soutient que la tâche incombe souvent aux femmes. «Je sais que je vais passer pour une égoïste, confie Michelle, et que ça ne fait pas très adulte, mais, honnêtement, l’obligation de s’occuper de quelqu’un au quotidien, de faire passer ses besoins avant les miens, ça m’a toujours irritée.» Je l’aurais embrassée quand elle m’a dit ça. Juste préparer le café de mon chum, le matin, ça me demande un effort… «Quand j’avais 20 ans, je voulais aussi vivre en solo pour échapper à la vie domestique», renchérit Joëlle Currat, dans la cinquantaine, qui vit seule depuis longtemps. «Trente ans plus tard, force est d’avouer qu’on est encore loin de l’égalité dans le partage des tâches, et on parle encore du devoir conjugal…»

Être célibataire, la clé du bonheur?

Les femmes auraient donc davantage à retirer du célibat. Vivre seules les libère des attentes et des rôles traditionnels. «Si vous êtes un homme, mariez-vous. Si vous êtes une femme, ne vous donnez pas cette peine.» Ce n’est pas moi qui le dis, mais Paul Dolan, professeur à l’École d’économie et de sciences politiques de Londres. Dans son dernier livre, Happy ever after: escaping the myth of the perfect life, il affirme, en se basant sur des études, que les femmes qui restent célibataires et sans enfants vivent plus longtemps, plus heureuses et en meilleure santé que les femmes mariées avec ou sans enfants. Ha! Je le savais depuis long- temps! Vous pouvez m’appeler Nostradamus… Sa déclaration, devenue virale, a fait l’objet de critiques de la part d’autres chercheurs, mais l’auteur a répondu que l’essence de son propos, à savoir que le mariage est généralement plus avantageux pour les hommes que pour les femmes, demeure valide.

Il est vrai qu’au lieu de travailler, de faire le ménage et de s’occuper des enfants, les femmes célibataires peuvent faire des choix plus libres sur la façon de gérer toutes les facettes de leur vie. Elles ont la maîtrise de leurs finances, elles n’ont pas besoin de rendre de comptes à qui que ce soit. Elles décident de leur horaire, de leurs loisirs et elles choisissent ce qu’elles veulent ou ne veulent pas. Il y a de quoi faire des jaloux!

Les femmes célibataires d’aujourd’hui vous le diront, leur vie n’a jamais été aussi remplie que depuis qu’elles vivent seules. «Je sors chaque fin de semaine, je vois mes amis, ma famille, je pars en road trip… Mon horaire est tellement “booké” que je n’ai même pas le temps de commencer à “dater”», s’exclame Elizabeth Julien, 27 ans. Jacynthe précise: «Je voyage où je veux, parfois seule, parfois avec ma famille. Je vais au théâtre, au cinéma et au resto avec des amis. La solitude qu’on associe au célibat, je la ressens très peu.»

Oui, mais c’est très égoïste, tout ça, non? Non. Les célibataires s’investissent davantage dans l’accompagnement de leurs parents et sont plus actives socialement, alors que des études montrent que les personnes en couple ont tendance à s’éloigner de leurs proches et ont une vie sociale moins développée, car elles se replient sur leur vie à deux.

La pression d’être en couple

Pourtant, en 2020, la femme célibataire sans enfants est encore mal perçue. Tout le monde connaît le schéma traditionnel: passé un certain âge, il faut se poser, se mettre en couple, faire des enfants et avoir une petite vie tranquille. Quelle célibataire ne s’est jamais fait poser la fameuse question: «Pis, as-tu rencontré quelqu’un?» À mon époque, c’était le mononcle qui demandait chaque Noël: «T’es-tu fait un p’tit chum?» Mais en dehors de ça, je n’ai jamais ressenti de pression. Il faut dire que mon choix était assumé. J’avais le célibat joyeux. «On accepte le célibat chez les 20 à 30 ans parce qu’on considère qu’on doit expérimenter, affirme Marion Bertrand-Huot. Mais dès qu’approche la trentaine chez les filles, et Emma Watson en est l’incarnation, on commence à leur poser des questions.»

«On me pose souvent des questions, oui», confirme Marie- Philippe Jean, 30 ans, célibataire depuis trois ans. «Mes amies sont toutes en couple. Quand on se rencontre, il y a 10 couples… et moi. Et là, une de mes amies est enceinte, donc il y aura bientôt 10 couples, un bébé et moi», raconte-t-elle en riant.

On a grandi avec des contes de fées. Les chanceuses, rencontreraient un prince charmant et on vivraient avec lui, heureuses pour toujours. La célibataire, c’est la loser du conte. Alors, on la stigmatise. On n’a qu’à penser à Taylor Swift. Les journaux à potins font leurs choux gras de ses ruptures et se demandent ce qui ne fonctionne pas chez elle. Peut-être qu’elle n’a juste pas envie de se fixer tout de suite, comme Selena Gomez, Ariana Grande et Lizzo, qui chantent toutes les joies du célibat. Tiens, si on se faisait une soirée karaoké pour entonner tous leurs hits?

«On dirait qu’être célibataire, c’est une maladie grave. Les gens me disent: “Ah, je suis pas inquiète pour toi.” Moi non plus! Je suis très bien avec moi-même, affirme Malika. Mais, à part ma mère et quelques proches, peu de personnes com- prennent mon choix.» Elizabeth est d’accord. «Quand j’ai dit à ma famille que j’allais parler de célibat pour un article, mes frères et ma sœur m’ont dit: “Ben là, tu veux quand même pas rester célibataire toute ta vie?” Comme si on n’avait pas le droit d’être célibataire et bien dans notre peau. Le célibat, ce n’est pas la fin du monde! En effet, je ne souhaite pas rester seule toute ma vie, mais je peux faire le choix de vivre ce moment-là pleinement et le savourer.»

«On diminue l’importance des liens autres que sentimentaux. Quand les gens parlent de célibataires, ils vont utiliser l’expression “être seul”. Alors que, quand ils parlent de personnes en couple, ils vont utiliser l’expression “être en relation”. Comme si l’existence sociale ou les relations passaient d’abord ou par défaut par le couple. Si une personne n’est pas en couple, on croit qu’elle est seule au monde, isolée, incomplète, cherchant sa moitié», selon Carl Rodrigue, candidat au doctorat en sexologie à l’UQAM.

«Dans mon livre Code-toi toi-même, je parle de cette croyance, qui nous est inculquée très jeune, qu’on est la moitié de quelque chose, indique Joëlle Currat. Je propose une “mise à jour” de cette croyance: au lieu d’aller chercher chez le sexe opposé les attributs qui lui sont associés, pourquoi ne pas simplement les développer et devenir un être complet? C’est ce que j’ai fait, en devenant ainsi mon propre prince charmant.» Ça me plaît, ça. Adieu, grenouilles et crapauds!

50 nuances de célibat

Les célibataires ont des gens dans leur vie. Elles ont une famille, des proches, des amis, peut-être aussi des animaux de compagnie. (Oui, les poissons rouges, ça compte.) Pourquoi «avoir quelqu’un dans sa vie», ça signifierait choisir une personne avec qui former un couple, avec laquelle on doit être romantique, fidèle, et avoir une relation à la fois amoureuse et sexuelle? C’est super pour les gens qui aiment ça. Mais si on n’en a pas envie?

«J’ai l’impression que ma génération se pose beaucoup de questions, comme si on avait le goût de prendre les traditions et de les secouer un peu. D’inventer notre propre façon de faire, indique Marie-Philippe. Et avoir un partenaire juste pour avoir un partenaire, ça n’en fait pas partie. Me conformer me rend très malheureuse. Je ne sais pas comment c’est perçu, mais je n’en ai vraiment rien à faire!»

«Le cadre du couple en ce moment est tellement rigide, tellement fusionnel. Il existe peu de modèles qui permettent aux gens de profiter d’une certaine intimité sans subir les désavantages et les attentes liés au couple, avance Marion Bertrand-Huot. Il serait intéressant qu’on voie le couple comme un spectre où le couple fusionnel occuperait une extrémité et la personne célibataire, l’autre extrémité. Les gens pour- raient naviguer entre ces extrêmes et trouver la formule qui fonctionne pour eux: mariage, cohabitation, couple qui vit séparément, couple moins engagé, célibataire avec ou sans relation passagère ou permanente…»

De mon côté, il s’avère que je suis toujours en couple à la fin de la rédaction de cet article. Mais qu’en sera-t-il au moment de la parution? Les paris restent ouverts!