J’ai tenu pendant cinq ans ce rôle aussi privilégié qu’ingrat auprès de la fille de mon conjoint de l’époque, jusqu’à ses 10 ans. Une enfant douce et attachante, aujourd’hui une adolescente créative et parfaitement sarcastique qui me demande de lui enseigner la broderie et vient parfois marcher en forêt avec moi, en plus d’être une demi-sœur remarquable pour ma fille.

Ma relation avec la fille de mon ex est sans histoire. Il n’y a jamais eu d’éclat. Jamais de porte claquée dans ma face en me criant: «T’ES PAS MA MÈRE!» Il y a eu des tensions, bien sûr, mais aussi beaucoup plus de bienveillance. Je n’ai jamais voulu ni prétendu être sa mère ou essayé de l’être. Elle en a déjà une et cette ligne était pour moi infranchissable… mais apparemment pas pour les autres.

Il y a eu l’école de la petite, où je figurais comme contact d’urgence, mais qui m’appelait dès que la mère n’était pas joignable, sans communiquer avec le père. Il y a eu le patron du père, qui ne comprenait pas que mon ex doive aller chercher sa fille au service de garde alors que moi, j’étais «à la maison». Il savait très bien que ce n’était pas ma fille, et par «à la maison», il voulait dire que j’avais un nouveau-né accroché à mes seins jour et nuit.

Je n’ai jamais voulu me substituer à la mère, mais partout où l’on tente de soustraire les hommes aux inconvénients de la parentalité, «une femme c’t’une femme». Et donc même avec un conjoint investi dans son rôle de père, on n’échappe pas aux attentes hétéronormatives implicites, à la charge mentale et aux compromis qui semblent si anodins qu’on les laisse se multiplier.

Insidieusement, un lunch, un lift, un dépannage, une réorganisation d’horaire à la fois, les années passent et on devient de moins en moins «belle-» et de plus en plus «mère», sans le statut, sans le lien infalsifiable entre une mère et son enfant, sans une véritable voix au chapitre, et en gardant toujours une retenue pour ne pas outrepasser son rôle.

J’ai ressenti de l’amertume dans mon rôle parce qu’il est trop facile de déléguer aux femmes tout ce qui concerne les enfants, mais aussi parce que j’ai été prompte à en faire beaucoup pour plaire, pour faire contraste avec les marâtres de tous les contes de fées.

Le rôle de «la bonne belle-mère» en est un qu’il est périlleux de limiter une fois qu’on est embourbée dedans, parce qu’on veut le bien des enfants, parce que les boundaries qu’on voudrait imposer peuvent être reçues comme un rejet et que, forcément, ça influence la dynamique du couple. Il est incontestablement plus exigeant d’être mère que belle-mère, mais au moins, ma place n’est pas à définir ni à négocier auprès de mon enfant.

Mon passage dans le rôle de belle-mère s’est conclu sans heurts et je dirais même avec douceur, mais je pense souvent aux femmes, aux plus jeunes en particulier, qui s’engagent à l’aveugle dans une relation avec un père séparé sans considérer l’influence de leur socialisation. J’aimerais qu’elles soient fortes de nos expériences. Qu’il y ait une place pour elles dans les cercles de la maternité, même si leur rôle est différent. Parce que c’est de cette façon qu’on pourra mettre fin à un système où le rôle des femmes, même si elles ne sont pas mères, est d’amortir les défis des pères, de prendre une partie des responsabilités qui leur reviennent, même quand ils ne l’ont pas demandé. 

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