Je le dis haut et fort parce qu’à en croire la tradition, mon rôle de grisonnante précoce consisterait plutôt à semoncer sans retenue la génération qui suit la mienne.

«C’est la décadence, les enfants n’obéissent plus, le langage s’abîme, les mœurs s’avachissent» est une citation qui date de plusieurs millénaires, selon plusieurs sources en ligne, dont aucune ne semble fiable. «Tout s’aveulit», résumerait moqueusement la linguiste Anne-Marie Beaudoin-Bégin, citant feu l’académicien français Maurice Druon, qui, lui, ne date pas tant que ça.

Il circule sans surprise mille déclinaisons de ce propos, pénible d’outrecuidance, attribué tantôt à l’Égypte antique, tantôt à Socrate, tantôt tiré directement d’une récente chronique de Denise Bombardier. C’est presque charmant, cette constante qui traverse les époques telle une douce épopée de la résignation amère. 

Je ne sens pas le besoin de défendre les enfants. Critiquer des gamins est, à mon sens, tellement mesquin et pédant que ça suffit en soi à discréditer le propos. Mais j’avoue passer en mode «avocate de la défense» quand on s’en prend aux ados et aux jeunes adultes. 

Chaque contact que j’ai avec cette jeunesse, que ce soit par l’entremise de projets de création dans les écoles ou en «scrollant» à l’infini sur TikTok, me convainc d’être son indéfectible alliée.

Elle a grandi un peu plus outillée contre l’intimidation, plus consciente des mécanismes d’oppression, des enjeux liés à la santé mentale, des changements climatiques, du capitalisme. 

La culture populaire lui a répété toute son enfance qu’elle était investie de la mission de sauver le monde d’une hécatombe imminente.

Les conversations difficiles qu’on peine à avoir en politique, en affaires et dans l’espace public, les Z les portent comme si c’étaient des accessoires mode: changer d’opinion lorsqu’on dispose de nouvelles informations ne leur semble en rien révolutionnaire. Leur contact avec la jeunesse d’ailleurs se fait sans intermédiaire ni filtre, et ça ne peut que les ouvrir davantage sur l’Autre.

Et, je ne vous mentirai pas, ma fascination pour celles et ceux qu’on appelle les zoomers est empreinte d’une certaine crainte. On n’a rien à gagner à emmerder les gens qui n’ont rien à perdre. C’est une génération à la fois consciente depuis le berceau qu’on lui lègue plus de problèmes que de solutions et lucide quant au pouvoir qu’elle détient. Elle a assisté à l’ascension et à la chute d’innombrables vedettes aux tribunes personnelles colossales. Elle sait que sa voix peut traverser les frontières, mais que chaque tribune vient avec une responsabilité.

Le pouvoir traditionnel ne l’intimide pas. L’humour noir et l’auto-dérision lui coulent dans les veines. Ses trends vont trop vite pour le marketing de marque, qui s’acharne à l’imiter de façon boiteuse pour la séduire. Elle a le pouvoir non seulement d’exposer ce qui la révolte ou l’inspire, mais d’influencer l’attention que les médias traditionnels et le grand public portent aux sujets qui la soulèvent.

Oui, oui, cette génération vote peu, est avide de validation et essaie de ramener les pantalons taille basse. Elle portera, comme toutes les autres générations, le fardeau de ses travers. Moi, je suis de la génération des grèves étudiantes. Mais le temps entre les casseroles et le moment de s’inquiéter pour ses REER me semble s’être écoulé en l’espace d’un long soupir.

Même si j’aspire encore à un idéal de justice sociale, peut-être bien que j’ai passé l’âge de Rage Against the Machine, mais je refuse obstinément de ne voir en la relève que ses tares, comme pour me dédouaner des échecs de ma propre gang.

Manal Drissi est une chroniqueuse et une autrice exilée dans la forêt.

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