Il est beaucoup question de privilège depuis quelques mois, et c’est tant mieux. C’est essentiel de comprendre que même en ayant de bonnes intentions, on bloque régulièrement le chemin à des êtres tout aussi fantastiques que nous. Fantastiques, mais moins privilégiés en raison de diffé­rences d’origine, de genre, d’apparence, d’orientation sexuelle, de mobilité ou de portefeuille…

J’ai pour ma part compris que je faisais partie du problème après une chronique radio. Je discutais sur les ondes d’un mouvement féministe qui utilisait la vulve comme symbole de féminité. Je me demandais si, en résumant l’état de femme à une partie de son corps, on ne mettait pas de côté certaines personnes trans. J’avais mené des entrevues, je pensais avoir fait mes devoirs!

Pourtant, après ma chronique, quelqu’un m’a félicitée pour mon boulot en ajoutant que si ç’avait été une femme trans qui avait abordé ce sujet, et non moi, elle aurait sûrement «sonné trop fâchée»… Sa colère aurait été légitime, mais on préfère écouter les personnes qui sourient, tsé.

On n’est tellement pas habitué d’en­tendre les personnes marginalisées qu’on se braque aussitôt qu’on découvre une voie susceptible d’ébranler nos certitudes. En parlant à la place de femmes trans, je perpétuais un système qui favorise les femmes cisgenres, blanches, jeunes et réconfortantes. Je devais apprendre à ajouter des sièges autour de la table plutôt que de monopoliser l’espace.

Je vous laisse donc aux bons soins de la brillante journaliste Estelle Grignon.

J’aimerais d’abord répondre à une ques­tion: Pourquoi nous, les personnes trans, sommes­ nous en colère? Notre cause est particulière par rapport à celles d’autres communautés marginalisées. C’est qu’en plus de devoir nous battre pour nos droits, nous devons constamment nous battre pour faire reconnaître l’essence même de notre personne. Si bien que, selon moi, la communauté trans n’est pas tant fâchée que fatiguée.

Notre voix est submergée par celles de personnalités qui ont plus de portée, mais moins de connaissances. Chaque fois qu’une opinion transphobe est émise dans un journal ou à la radio, le travail est à refaire. Je côtoie énormément de gens qui n’ont jamais rencontré une personne trans, et il m’arrive souvent de devoir entamer le travail de déconstruction de leurs idées préconçues.

C’est que les conversations sur notre communauté se font trop fréquemment sans nous. Si une chaîne de télé faisait une table ronde pour discuter d’avortement et que les invités étaient tous des hommes cisgenres, le public s’en plaindrait. Il faudrait peut­-être qu’on s’indigne plus souvent lorsque la même situation se produit autour de l’identité trans.

Ma communauté est mal représentée dans les tribunes d’information, et elle l’est aussi dans la fiction. Les seuls per­sonnages trans que j’ai vus à l’écran en grandissant – presque jamais des hommes trans ou des personnes non binaires – étaient des victimes ou des vilains. Il y avait des gags visuels vulgaires dans lesquels des hommes «trompés» vomissaient après avoir embrassé une femme trans. Des prostituées confuses, burlesques. Des sous-­humains. Et les rôles de femmes trans étaient joués par des acteurs hommes, cisgenres.

Souvent, aucune personne trans n’est consultée avant qu’un projet aille de l’avant. On se permet allègrement de parler de nous sans au préalable nous parler.

Alors, ça se peut que nous soyons fatigués, voire fâchés. Mais les reven­dications sont bel et bien réelles. L’ignorance est bel et bien violente. La haine est bel et bien faucheuse. Les personnes trans, surtout les femmes de couleur, sont bel et bien plus susceptibles de se faire assassiner que les cisgenres.

Les personnes trans en position de pouvoir sont peu nombreuses. Nous avons donc besoin d’alliés. Nous avons besoin qu’ils s’éduquent, qu’ils nous défendent, qu’ils nous écoutent. Et nous avons besoin qu’ils respectent notre colère.

Lire aussi:

J’ai enfin compris que… L’amitié féminine me protégerait de tout
J’ai enfin compris que… l’enfance est faite de drames invisibles
J’ai enfin compris… La beauté du calme plat