J’ai toujours voulu avoir des enfants.
Et j’avais la certitude qu’un jour je vivrais aux côtés d’un homme formidable avec lequel j’en aurais. Cet homme idéal, c’est Louis! Je l’ai rencontré en mars 2002, lors d’un souper chez des amis. Après une soirée fort agréable à discuter et à rire avec lui, il n’y avait aucun doute, il me plaisait! À cette époque, j’avais 21 ans, il en avait 32. Cette différence d’âge ne nous a pas freinés puisque quelques jours après notre première rencontre, Louis me donnait les clés de son appartement et nous ne nous sommes jamais quittés depuis.

Plus notre relation devenait sérieuse, plus l’idée de fonder une famille nous paraissait séduisante.
En décembre 2005, pendant notre voyage de noces, nous avons décidé que je ne prendrais plus la pilule. Je suis tombée enceinte très rapidement. Louis et moi étions fous de joie! Mon emballement a cependant été de courte durée puisque les choses ont commencé à se gâter dès le début de la grossesse. Je ne me sentais pas bien. J’étais fatiguée, et surtout déprimée.

Chaque fois que nous annoncions la nouvelle autour de nous, j’assistais à une explosion d’enthousiasme de nos proches.
Je ne partageais malheureusement pas l’euphorie générale, mais je me gardais bien de le laisser paraître. Ma grossesse, vue de l’extérieur, se déroulait parfaitement: j’ai pris le bon poids au bon moment, je n’ai jamais eu de nausées, mon bébé s’est développé normalement.

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Physiquement, tout allait bien. Dans ma tête, toutefois, c’était une autre histoire…
Pour être honnête, j’ai détesté être enceinte. Je me sentais inconfortable dans mon corps. Je n’aimais pas du tout la sensation de porter quelque chose en moi, je me sentais envahie, à l’étroit, et ça m’angoissait profondément. C’était une préoccupation de tous les instants. Moi qui avais toujours été une fille dynamique, de bonne humeur et très sociable, je ne me reconnaissais plus: je pleurais tout le temps, sans raison, je dormais continuellement, je n’avais envie de rien faire ni de voir personne. Je terminais mes journées au bureau de peine et de misère. Le soir, quand je rentrais à la maison, j’étais épuisée et irritable. Heureusement, Louis a toujours été très patient à mon égard.

J’avais entendu dire que, après le premier trimestre de grossesse, les futures mamans retrouvaient la forme et devenaient très excitées à l’idée de donner la vie.
Ainsi, j’étais supposée être à l’affût du moindre mouvement ressenti dans mon ventre et m’intéresser à chacune des étapes du développement de mon bébé. Dans mon cas, rien de tout ça n’est arrivé! Je ne parlais jamais à ma bedaine, pas plus que je ne la caressais tendrement. Je ne lisais rien sur la grossesse ni sur l’accouchement et je dormais pendant les cours prénatals. Je n’avais pas envie de courir les boutiques ni de passer des heures à décorer la chambre du bébé; pas d’idée de prénom. Je broyais du noir et j’angoissais, point à la ligne. Évidemment, je me sentais coupable et je n’osais pas en parler, de peur d’être jugée. Même Louis ne connaissait pas l’ampleur de mon mal-être. Il croyait que j’étais fatiguée, sans plus.

Au bout de cinq mois de grossesse, chaque jour était devenu un supplice.
J’avais l’impression que je n’accoucherais jamais! Je me sentais de plus en plus ingrate de ne pas m’extasier devant le petit être qui prenait vie en moi. J’en concluais que je ne méritais pas d’être enceinte. J’avais peur du jour où mon bébé allait naître, peur d’être une mauvaise mère… Je croulais littéralement sous le poids de la culpabilité. J’ai alors décidé de me confier à ma meilleure amie. Pour ne pas l’inquiéter, je m’étais promis de ne pas être trop émotive, mais j’ai évidemment fondu en larmes dès que j’ai ouvert la bouche! J’étais inconsolable. Elle ne savait pas quoi dire. Elle m’a simplement écoutée et invitée à me vider le coeur: «Fais sortir le méchant, m’a-t-elle dit, tu vas te sentir mieux après!» Elle avait raison. Le malêtre est resté, mais le fait d’en avoir parlé m’a soulagée. Le lendemain, j’ai tout avoué à Louis. Je lui ai dit que j’étais malheureuse, anormalement déprimée, que je ne me sentais pas bien ni dans ma tête ni dans mon corps, et que je détestais être enceinte. Il était bouche bée. Il se sentait démuni mais, fidèle à lui-même, il est resté calme et s’est montré rassurant. Il me répétait souvent de ne pas m’inquiéter, que ça allait passer si je m’accordais du temps pour me reposer.

Après cette confession, je me suis rendu compte que plus j’en parlais, mieux je me sentais.
Du coup, il n’était plus question de faire semblant! Quand on me demandait comment j’allais, je répondais la vérité. J’ai fini par rencontrer des femmes qui avaient vécu la même chose que moi. Lorsqu’elles me racontaient leur expérience, c’était toujours en catimini, du bout des lèvres. Elles avaient honte. Pourtant, elles me faisaient tellement de bien. Je me sentais moins seule. J’étais très émue de constater que ces femmes étaient maternelles et qu’elles aimaient leurs enfants. Les difficultés qu’elles avaient connues lorsqu’elles portaient leur bébé n’avaient rien à voir avec leur capacité à être de bonnes mamans. Pourquoi se sentir si honteuse de souffrir de dépression pendant une grossesse? D’où vient cette idée que les femmes aiment toutes être enceintes? De nos jours, la dépression postpartum n’est plus un tabou. Il est facile de trouver de la documentation sur ce sujet, alors qu’il n’existe à peu près rien sur la dépression pendant la grossesse. J’aurais tant aimé connaître une association qui soutient les femmes en difficulté psychologique durant cette période… 

J’ai traversé un peu plus sereinement les trois derniers mois de ma grossesse.
Je savais qu’il y avait une vie après tout ça, que mon bébé allait finalement naître. Moi qui espérais me libérer de ma bedaine deux semaines en avance, j’ai accouché deux semaines plus tard que la date prévue! L’accouchement a été provoqué et le travail a duré 25 heures. J’étais complètement épuisée. Dans les secondes qui ont suivi la naissance, le médecin a déposé mon enfant sur moi et je l’ai allaité. Je pleurais tellement qu’une infirmière m’a demandé si j’avais encore mal. J’aurais voulu lui expliquer que je ne pleurais pas de douleur, mais de fatigue, de joie et de soulagement. Je n’arrivais cependant pas à prononcer un seul mot. Je pleurais parce que mon bébé était blotti contre mon sein et que, déjà, je l’aimais.

Louis a pris deux mois de congé parental. Nous avions envie de vivre l’arrivée de notre enfant ensemble.
Deux jours après être rentrés à la maison, nous sortions à trois, en pleine tempête de neige, pour aller prendre un café. C’était magique. Je me sentais renaître. Par la suite, je prenais plaisir à intégrer une activité à chacune de nos journées: nous allions dîner au restaurant, visiter des amis, ou encore nous recevions chez nous. J’avais repris goût à la vie!

Ça fait maintenant 16 mois que j’ai accouché d’une adorable petite fille qui s’appelle Laura.
Ce sont sans contredit les 16 plus beaux mois de ma vie. Chaque matin, quand je l’entends gazouiller dans son lit, j’accours avec bonheur pour la cueillir comme la plus précieuse des fleurs. Sa présence est une source d’émerveillement quotidienne pour mon chum et moi.

Non seulement j’adore ma petite puce, mais je ne doute plus une seconde de mes aptitudes à être une bonne maman.
Dire que je me croyais indigne d’avoir un enfant… J’en veux maintenant un deuxième, peut-être même un troisième. On dit que chaque grossesse est différente. J’espère que c’est vrai. Si la dépression frappe de nouveau la prochaine fois que je serai enceinte, j’en parlerai avec mon médecin et j’irai chercher de l’aide auprès de professionnels. Je suis consciente que la grossesse risque encore d’être une étape douloureuse pour moi, mais ma petite Laura sera là pour me rappeler que pour rien au monde je ne me priverais du privilège de voir grandir mon enfant. Pour ça, je suis prête à faire bien des sacrifices!

PROPOS RECUEILLIS PAR HÉLÈNE BÉLANGER-MARTIN