C’est à ce moment que j’ai découvert mon identité autochtone, que je me suis assumé, émancipé.

Mes parents se sont séparés quand j’avais huit mois, et j’ai vécu toute ma jeunesse avec ma mère québécoise. Je me suis beaucoup cherché, sans trop savoir ce que je cherchais, justement. Puis, à partir du moment où j’ai rencontré mon père, j’ai pu établir des balises, trouver des repères. Il m’a présenté la famille Quoquochi, la communauté atikamekw de Wemotaci et le territoire de McTavish.

La découverte de ce fameux territoire a complètement changé ma vie.

Pour un autochtone, le territoire, c’est tout. C’est l’identité, la nourriture, la spiritualité, la liberté… Le territoire, c’est moi. Je suis le territoire. C’est difficile d’expliquer à une personne non autochtone le lien que les autochtones entretiennent avec le territoire. Il faut comprendre qu’ils sont animistes, ce qui veut dire qu’ils croient qu’un esprit existe dans tout ce qui vit. Et ce qui vit, ce n’est pas seulement ce qui a un cœur qui bat, c’est également l’eau, le feu, le vent, la terre, l’arbre, la feuille… Il y a de la vie partout! D’où l’importance d’avoir du respect envers ce qui nous entoure. L’autochtone fusionne avec la nature. C’est pour cette raison qu’on dit qu’il est le gardien de la terre.

Composer son histoire, une note à la fois

J’ai fait des études en musique classique, et j’ai composé plusieurs œuvres qui m’ont aidé dans ma quête identitaire. Ça m’a permis d’aller chercher, à l’intérieur et à l’extérieur de moi, ce que je pouvais faire pour définir un peu mieux qui j’étais. Au fil de mes découvertes, je me suis rendu compte qu’être métis, ce n’est pas être la moitié de l’un et la moitié de l’autre, c’est plutôt être l’un ET l’autre. Aujourd’hui, je suis donc l’un et l’autre à part entière.

J’ai terminé mes études universitaires en 1999, et j’ai déménagé dans la communauté atikamekw de Wemotaci pour enseigner la musique à l’école secondaire Nikanik. J’allais avoir 27 ans, j’étais jeune et fringant. Je partais à l’aventure… chez nous. La musique m’a fait le plus grand bien à l’adolescence, et je savais qu’elle aurait le même effet pour de nombreux élèves qui allaient se découvrir une passion. La musique offre la possibilité d’exprimer qui nous sommes, ce qui est fort important pour un ado. En fait, je parle de musique, mais ça peut être n’importe quelle forme d’art, pourvu que ce soit quelque chose qui nous fait vibrer. Car c’est la passion qui nous transforme.

Comme j’avais une formation classique, c’était important pour moi que les élèves écoutent et jouent de la musique classique: Mozart, Beethoven, Chopin. Je faisais aussi des arrangements musicaux d’œuvres connues pour que tous les élèves soient intéressés à jouer, car à la fin de chaque année, un concert était organisé pour mettre en vedette tous les élèves… même ceux qui manquaient un peu de pratique! Graduellement, l’orchestre qu’on avait formé a grossi, et on a donné des spectacles à La Tuque avec des artistes locaux, puis aux Rendez-vous autochtones, au milieu des années 2010, qui visaient à faire découvrir les artistes des communautés autochtones.

Bien des élèves ont marqué mes années comme enseignant en musique. La passion de la musique et des arts en général aura permis à Seskin de s’inscrire au cégep en musique; à Catherine de terminer un baccalauréat en arts visuels; à Marc-André de devenir le spécialiste de la sonorisation dans notre communauté; à Canouk d’être une référence en photographie et en création audiovisuelle. Tous sont des musiciens accomplis. La musique change vraiment des vies!

L’éducation avant tout

Après avoir enseigné la musique pendant plusieurs années, je suis maintenant directeur de l’école secondaire Nikanik. Même si je ne compose plus de musique, je m’amuse à dire que je compose l’école. Mon rôle est important, parce que l’éducation est la clé pour se relever du marasme dans lequel les communautés vivent depuis le scandale des pensionnats autochtones. Un génocide culturel qui a provoqué des troubles intergénérationnels dont elles subissent encore aujourd’hui les contrecoups.

Par exemple, à l’école secondaire où je travaille, les jeunes qu’on accueille vivent avec les conséquences des impacts de l’alcoolisme, de la toxicomanie, de la violence, et des abus physiques, psychologiques et sexuels qu’ont vécu leurs parents. Les pensionnats ont aussi entraîné une déresponsabilisation de leur part et un abandon de leur rôle. Durant de nombreuses années, il n’y a pas eu d’enfants dans les familles, alors les parents doivent réapprendre le sens du devoir parental. Et maintenant, on doit raccrocher les jeunes. Un à la fois.

Grâce à l’éducation, tout est possible. Et, collectivement, en tant que société, nous pouvons aussi nous sensibiliser à la situation actuelle et nous responsabiliser. Ça commence sur les bancs d’école… notamment par des livres d’histoire qui reflètent mieux le passé et la réalité actuelle des communautés autochtones. Ça peut se poursuivre par des échanges culturels entre les écoles secondaires des différentes villes et celles des communautés de la province pour qu’elles s’enrichissent mutuellement. C’est en combattant les préjugés et en se souvenant de l’apport des Premières Nations dans la construction du Québec d’aujourd’hui que nous pourrons bâtir le Québec de demain.

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